Amis du Diocèse du Sahara (ADS)
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De la Rédaction du site ADS, (maj du 8 janvier 2018)
page spéciale du 29 décembre 2017

 deces & Obsèques du pere maurice Borrmans
"Avec lui disparaît l’une des plus grandes figures du dialogue islamo-chrétien..."
Mgr Aveline président du Conseil pour
 les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux

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télécharger l'homélie du Père Diego Sarrio

Approches chrétiennes de l’islam
par P. Maurice Borrmans
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La messe des funérailles a eu  lieu le mardi 2 janvier 2018 à 14 h 30,  en l'église paroissiale de Bry-sur-Marne suivie de l’inhumation au cimetière de Bry. (caveau des P.B.)
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Père Maurice Borrmans (1925-2017), un ami du dialogue

Le Père Maurice Borrmans est décédé le mardi 26 décembre 2017 à Bry-sur-Marne, en la fête de saint Etienne. La messe des funérailles a eu lieu le mardi 2 janvier 2018 à 14 h 30, en l’église paroissiale de Bry-sur-Marne, suivie de l’inhumation au cimetière de Bry.

Chercheur infatigable, travailleur acharné, professeur exigeant, homme de prière

« Le père Maurice Borrmans, de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) est décédé hier midi, 26 décembre 2017, à Bry-sur-Marne. Il avait 92 ans. Avec lui disparaît l’une des plus grandes figures du dialogue islamo-chrétien.

Au nom de la Conférence des évêques de France, je tiens à exprimer ma profonde sympathie et mes sincères condoléances à sa famille, à ses nombreux amis musulmans et chrétiens, et bien sûr aux Pères Blancs, avec qui il a cheminé tout au long de sa vie à la suite du Christ. Chercheur infatigable, travailleur acharné, professeur exigeant, Maurice Borrmans vivait humblement, attaché au Christ, assidu à la prière, fidèle en amitié. Quand je suis allé lui rendre visite à l’hôpital, il y a une quinzaine de jours, il m’avait expliqué que, dès qu’il aurait son fauteuil roulant, il pourrait se remettre au travail, ne serait-ce qu’une heure le matin et une autre l’après-midi, ce qui lui permettrait de terminer deux projets d’édition que nous avions en commun !

Ce missionnaire dans l’âme, aussi à l’aise en français qu’en arabe, était passionné de rencontres et de dialogues. Son œuvre immense nous laisse un précieux héritage qu’il importe à mes yeux de recueillir, non seulement pour mieux comprendre l’islam et entrer en dialogue avec les musulmans, mais aussi pour mieux exprimer l’originalité de la foi chrétienne à l’aide de ses deux poumons d’Orient et d’Occident. Notre Église de France a grandement besoin, sur ces questions, de recueillir l’héritage de nos anciens pour mieux accomplir aujourd’hui sa mission.

Avec reconnaissance et dans l’action de grâces, confions notre frère Maurice Borrmans à la miséricorde du Seigneur ».

+ Jean-Marc Aveline, Évêque auxiliaire de Marseille

Président du Conseil pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux

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Le père Maurice Borrmans appartenait à la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). Né à Lille le 22 octobre 1925, il fit ses études de théologie à Lille et à Thibar en Tunisie. fut ordoinné prêtre le 1er février 1949. Docteur ès lettres de Paris-Sorbonne, il a vécu vingt ans en Algérie et en Tunisie. Il a enseigné le droit musulman et l’histoire des relations islamo-chrétiennes au Pontificio Istituto di studi arabi e d’islamistica (PISAI) de Rome. Directeur de la revue trilingue du PISAI, Islamochristiana  de 1975 à 2004, il a participé à de nombreux colloques islamo-chrétiens en diverses capitales de la Méditerranée. Il a notamment publié :

  • Codes de statut personnel et évolution sociale en certains pays musulmans, Ibla, 1963,
  • Statut personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours, 1977,
  • Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans, Cerf, 1981,
  • L’Islam, religion et société, Cerf, 1982, avec Mohammed Arkoun et Mario Arosio,
  • Jésus-Christ et les musulmans d’aujourd’hui, 1996, rééd. Desclée 2005,
  • Dialogue islamo-chrétien à temps et contretemps, Saint-Paul, 2002, 253 p., avec Annie Laurent
  • Jean-Mohammad Abd-El-Jalil, témoin du Coran et de l’Évangile, Cerf / Éditions franciscaines, 2004
  • Prophètes du dialogue islamo-chrétien, Louis Massignon, Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, Louis Gardet, Georges C. Anawati, Cerf, Collection L’histoire à vif, mars 2009
  • Jean-Mohammed Abd-el-Jalil – Paul-Mehmet Mulla-Zadé, deux frères en conversion : du Coran à Jésus, Correspondance 1927-1957, Cerf, mars 2009
  • Louis Gardet, philosophe chrétien des cultures et témoin du dialogue islamo-chrétien, 1904-1986, Cerf, 2010
  • Dialoguer avec les musulmans. Une cause perdue ou une cause à gagner ?, Pierre Téqui, 2011
  • Louis Massignon et le comité chrétien d’entente France-Islam, Karthala, 2014, avec André de Peretti
  • Prier 15 jours avec Louis Massignon, islamologue, Nouvelle Cité, 2016
  • Quatre acteurs du dialogue islamo-chrétien, Librairie philosophique J. Vrin, 2016

Il a annoté les correspondances de :

o   Christian de Chergé, Lettres à un ami fraternel, Introduction et édition du père Maurice Borrmans, postface du général Robert de Chergé. Bayard, 2015, 367 pages

o   Jacques Jomier, Confidences islamo-chrétiennes : lettres à Maurice Borrmans : 1967-2008, Chemins de dialogue, novembre 2016, avec Jean-Marc Aveline

Jusqu’à la fin de sa vie, il fut un témoin vivant de cette culture de la rencontre et de l’ouverture du cœur, chères au Pape François. Le SNRM perd un ami et un partenaire privilégié car il avait toujours soin d’attirer l’attention du Service sur une initiative de dialogue, un événement islamo-chrétien de première importance ou une publication à ne pas manquer.

audience 24 janvier 2015 osservatore Romano
                        50ème annniversaire pisai

 Audience du 24 janvier 2015 à l’occasion du 50ème anniversaire du PISAI (Photo Osservatore Romano)
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Un cheminement de dialogue
P. Maurice Borrmans



C’est en novembre 1945 que j’ai découvert l’Afrique du Nord : j’avais 20 ans et je devais y parfaire ma formation spirituelle et théologique à Maison-Carrée (Algérie) et à Thibar (Tunisie), ayant décidé de me joindre aux Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) pour réaliser un idéal entrevu grâce au Scoutisme et à l’Action Catholique au cours de mon adolescence et de mes études secondaires. J’avais été séduit par les projets maghrébins du Cardinal Lavigerie, archevêque d’Alger, le témoignage singulier du Père de Foucauld, l’ermite de Tamanrasset, et les confessions d’Ernest Psichari, petit-fils de Renan. Ce dernier n’avait-il pas retrouvé une foi pleinement chrétienne au cours de ses méharées militaires de Mauritanie ? Ses deux livres, Les voix qui crient dans le désert et L’appel du centurion, m’avaient plus particulièrement impressionné. Plus tard, je devais découvrir Louis Massignon et bien d’autres qui avaient retrouvé la foi de leur enfance grâce au « défi de l’Islam ». Y avait-il là quelque étrange mystère de la Providence ?

Ordonné prêtre en Tunisie, le 1er février 1949, j’ai alors entrepris une première arabisation de 2 ans à l’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA) de Tunis, puis des études supérieures à l’Université d’Alger (Licence ès Lettres) qui me permirent d’approfondir ma connaissance du Maghreb (histoire et civilisation) que je découvrais arabe et berbère tout à la fois, dans sa tradition islamique plus que millénaire et dans le cadre d’un monde où ne manquaient pas les présences européennes tant en Tunisie et en Algérie qu’au Maroc.

Dès octobre 1954, j’étais appelé à enseigner dans cet IBLA qui m’avait formé, tout en exerçant divers ministères et services auprès des chrétiens et des musulmans de Tunisie. En 1964, mon expérience tunisienne s’achevait avec le transfert de notre Institut d’études et d’enseignement à Rome où bien vite il prit le titre de Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica (PISAI). Le Pape Paul VI venait d’y créer unSecrétariat pour les Non Chrétiens avec lequel notre équipe a très vite collaboré à titre de consulteurs permanents. Accueillant désormais des étudiants venant du monde entier et les préparant à une licence en arabe et en islamologie, que ce soit en français ou en anglais, le PISAI se voulait ainsi au service de l’Église universelle, lui préparant des « acteurs de dialogue » dans l’esprit même du Concile.

Les spécialisations professorales m’ont alors amené à parfaire l’enseignement de la langue arabe, à présenter l’évolution moderne du droit musulman et à faire réfléchir sur l’histoire des rapports entre chrétiens et musulmans au cours de l’histoire. En février 1971, j’ai alors défendu mon Doctorat en Sorbonne, à Paris, avec une thèse sur Statut Personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours, y analysant le devenir du droit familial avant, pendant et après les indépendances.
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Entrée du PISAI (Institut Pontifical d’études arabes et d’islamologie) à Rome

C’est donc dans le cadre du PISAI que j’ai pu développer des collaborations éditoriales avec des professeurs musulmans qui venaient y enseigner. Ayant eu à éditer des documents pédagogiques d’Études Arabes à partir de 1962, j’ai été amené, en 1975, à créer la revue trilingue (français, anglais, arabe) du PISAI, Islamo-christiana, dont j’ai assuré l’édition annuelle jusqu’en 2004. Presqu’aussitôt le Secrétariat pour les non Chrétiens me chargea d’assurer une 2ème édition, augmentée et mise à jour, de son livre des Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans, ce qui fut fait en 1981, avec traductions en néerlandais, en allemand, en italien, en turc, en arabe et en anglais.

Par la suite, il m’est arrivé de publier, en 1982, avec le Pr. Mohamed Arkoun, nos réflexions sur Islam, religion et société, également en italien, ainsi que la traduction française des nouvelles philosophiques du Pr. Mohamed Aziz Lahbabi, Morsure sur fer (1979). Bien d’autres suivirent par la suite : Tendances et courants de l’Islam arabe contemporain (Egypte et Afrique du Nord) en collaboration avec le père Georges C. Anawati (1982), Islam e Cristianesimo : le vie del dialogo (1993), Dialogue islamo-chrétien à temps et contretemps (2002). Deux livres existent tant en français qu’en italien : Jésus et les Musulmans d’aujourd’hui (1996, rééd. 2005) et Prophètes du dialogue : L. Massignon, J.-Md Abd-el-Jalil, L. Gardet, G.C. Anawati (2009).

Collaborateur du Secrétariat romain devenu le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (CPDI), j’ai aussi été appelé à participer à de nombreuses rencontres islamo-chrétiennes de dialogue officiel.

Après la première, celle de Tripoli de Libye, en février 1976, il y eut celles de Tunis, de ‘Ammân, de Beyrouth, d’Athènes, de Rome, d’Istanbul, de Dakar, d’Alger, de Paris, de Rabat, de Bruxelles : autant d’occasion d’échanger sur certains thèmes communs avec des universitaires musulmans et de nouer des relations amicales permettant une meilleure compréhension réciproque. J’ai été amené très souvent à y présenter la foi chrétienne et à y parler de Jésus Christ dans un langage compréhensif pour les interlocuteurs. Il m’est aussi arrivé, à Rome, d’avoir à répondre à certaines requêtes du Vatican : ce me fut une joie, en 1985, d’avoir participé à la rédaction du discours de Jean Paul II aux jeunes musulmans de Casablanca (19 août). Et que dire des visites à Rome et à Assise avec des professeurs musulmans désireux de découvrir sur place ce que fut et ce qu’est le catholicisme !

Depuis 2004, je suis «en retraite » active, tout en continuant à vivre une spiritualité de contemplation et d’intercession, et à publier dans le domaine du dialogue. En collaboration avec le Pr. Hmida Ennaïfer de Tunis, un Mustaqbal al-hiwâr al-islâmî al-masîhî (L’avenir du dialogue islamo-chrétien) a été édité à Damas-Beyrouth en 2005. En Italie, un livret populaire à grand tirage, ABC per capire i musulmani (2007), récemment traduit et publié en français, Pour comprendre les musulmans (2010), devrait faciliter la compréhension chrétienne des musulmans. Pour mieux faire connaître l’un de mes maîtres, j’ai fourni, en français et en italien, un Jean-Mohamed Abd-El-Jalil, témoin du Coran et de l’Évangile, en 2004, ainsi que des correspondances utiles : Massignon – Abd-el-Jalil, Parrain et filleul (1926-1962), Correspondance, en 2007, et Deux frères en conversion, du Coran à Jésus, Correspondance 1927-1957 entre Mulla-Zadé et Abd-el-Jalil, en 2009. En janvier 2010, les Éd. du Cerf ont publié mon Louis Gardet, philosophe chrétien des cultures et homme de dialogue islamo-chrétien, et proposé plus tard tous les textes de Louis Massignon sur La Badaliya, au nom de l’autre (1947-1962). La mémoire collective des communautés chrétiennes se doit d’être ainsi informée de ce qu’ont fait les pionniers du dialogue islamo-chrétien au cours du XXème siècle. C’est pour cela qu’en 2011, un dernier livre a été publié, au titre provocateur, Dialoguer avec les musulmans, une cause perdue ou une cause à gagner ?

C’est dans une double perspective de témoignage et de dialogue que j’ai toujours situé mes amitiés avec de nombreux musulmans et rédigé mes articles adressés à mes frères chrétiens. Il est évident que les uns et les autres se trouvent être présents à ma prière quotidienne et surtout en cette Eucharistie où Jésus Christ rassemble tous ses frères en humanité.

J’essaie, à l’instar de Louis Massignon, de m’en faire les hôtes en reprenant la « triple prière d’Abraham » dans le cadre des trois Angelus quotidiens de la tradition catholique : le grandiose mystère de l’Incarnation du Verbe y est ainsi constamment médité en fonction d’une intercession suppliante en faveur de Sodome et de ses habitants, le matin, d’Ismaël et des musulmans, à midi, et d’Isaac et des Juifs, le soir. Louis Massignon disait le faire « dans cette mission d’intercession, où nous demandons à Dieu, sans trève ni cesse, la réconciliation de ces âmes chères, auxquelles nous voulons nous substituer fî l-badaliya, en payant leur rançon à leur place et à nos dépens ». Sans aller jusque là, il n’est pas interdit de penser qu’un surcroît de prière, de jeûne et d’aumône de la part des chrétiens n’obtienne enfin, comme il le disait, « qu’un plus grand nombre appartienne à l’âme de l’Église, vive et meure en état de grâce ».

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Photo de une : Présentation du livre de Jacques Jomier, Confidences islamo-chrétiennes : lettres à Maurice Borrmans : 1967-2008, le 1er février 2017 à l’Institut catholique de Paris (Copyright SNRM)

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(message transmis par Jacques Keryell)

Du Père Maurice Borrmans

Approches chrétiennes de l’islam

Les consciences chrétiennes et leur pensée théologique n’ont pas manqué de s’interroger et de se prononcer face au défi spirituel qu’ont été pour elles l’émergence de la religion musulmane et son affirmation politique au cours de l’histoire, dès lors que l’Islam rayonnait à partir des grandes capitales que furent Damas, Bagdad, Le Caire et Istanbul. Chrétiens syriaques et coptes à lui soumis désormais, chrétiens byzantins devenus orthodoxes et chrétiens latins demeurés catholiques à lui confrontés eurent tous à se prononcer sur l’islam comme religion au cours des âges. Le Père Jean-Marie Gaudeul s’est attaché à présenter, en deux volumes, sous un titre provocateur, Disputes ? ou Rencontres ?, ce que furent les regards croisés entre L’Islam et le christianisme au fil des siècles, comme l’indique le sous-titre1, tant du côté chrétien que du côté musulman. Avant lui, le Père Youakim Moubarac avait consacré ses Recherches sur la pensée chrétienne et l’Islam, d’abord Des origines à la prise de Constantinople2, puis Dans les temps modernes et à l’époque contemporaine3, y passant en revue les attitudes successives et diversifiées que les penseurs et les théologiens chrétiens ont adoptées vis-à-vis de l’islam à partir de 1453, siècle après siècle, jusqu’aux textes innovateurs du Concile Vatican II (1962-1965). C’est en fonction de ses premières Conclusions4 qu’il convient de commencer la présente réflexion théologique, tout en tenant compte des grandes orientations que la théologie chrétienne des religions non chrétiennes a développées au cours du XXème siècle. En 1976, le Père Joseph Gelot les résumait comme suit : la théologie dialectique protestante, la théologie de l’« accomplissement », la théologie de l’histoire spéciale et générale du salut, la théologie de la « sacramentalité »5. C’est d’ailleurs dans le cadre de ces mêmes orientations que se sont exprimés les principaux acteurs du dialogue islamo-chrétien au cours du dernier siècle, comme le signalent Dominique Avon en son ouvrage sur Les Frères prêcheurs en Orient. Les Dominicains du Caire (années 1910-1960)6 et Oissila Saaïdia dans son étude sur les Clercs catholiques et Oulémas sunnites dans la première moitié du XXème siècle7.

Quelles étaient donc les « conclusions » et les « propositions » qu’offrait le Père Y. Moubarac ?

Après avoir reconnu certaines « lacunes »8 de son texte, Y. Moubarac passait aux « acquisitions » et décrivait « les plus symptomatiques » d’entre elles : « Quels que soient les retours de flamme des nostalgiques de la chrétienté contre ‘l’ennemi héréditaire’, ou leurs intentions et leurs plans à l’encontre du ‘bloc inconvertissable’, il est certain que tant la politique du Saint-Siège que la doctrine de l’Eglise catholique semblent maintenant fixées en matière de rapports islamo-chrétiens ». Un certain consensus rassemble les chrétiens, toutes confessions confondues, selon « deux ordres de données autour desquels se rallient les esprits, non sans éviter encore les querelles ». Il y a d’abord « un assez large accord de la conscience chrétienne sur l’Islam comme ’religion de la Nature’ parfaitement respectable, à l’exception de telle ou telle manifestation de sa vie familiale ou sociale9 […]. Il n’est pas difficile non plus de dégager un minimum de données communément reçues désormais sur Mahomet et le Coran, bien que l’on soit encore apparemment assez réticent dans le Christianisme sur le premier sujet par rapport au second10 ». Ensuite, « il nous semble que c’est le domaine de la mystique musulmane où la pensée chrétienne aura fait le plus de chemin, non sans qu’il soit encore bordé d’écueils, tant à cause de la situation de la mystique en Islam, que des exigences de la foi chrétienne […]. Bref, il se trouve que la pensée chrétienne aura accordé à la mystique musulmane ce qu’elle a refusé à l’Islam. Cela est d‘autant plus significatif que l’Islam soi-disant traditionnel refuse sa mystique. Alors le problème fondamental est posé. Dans la reconnaissance de l’Islam, quel Islam finalement le Christianisme va-t-il reconnaître ? Disons alors que, si la pensée chrétienne s’est tellement interrogée jusqu’ici sur l’Islam et ne se soit pas encore fixée, cela peut être attribué à une multitude de causes, mais que la raison principale est le destin même de l’Islam toujours en tension et n’ayant pas encore reconnu sa vraie nature». A ces deux « acquisitions », il faut encore ajouter « deux séries de constatations positives » : « en Orient, la réponse chrétienne s’essaie toujours à la forme rationnelle » et fait « refleurir l’examen chrétien des Ecritures islamiques à la manière médiévale ».

Mais c’est en sa « problématique nouvelle » que Y. Moubarac proposait en partage les fruits de sa réflexion théologique, à la suite des « intuitions » glanées au cours de sa longue enquête auprès des penseurs chrétiens des temps modernes, parmi lesquels il privilégiait Forster, Leibniz, Asin y Palacios et Lammens11, avant de faire sienne l’approche spirituelle du Père Jean de Menasce et du cardinal Charles Journet. Pour le Père de Menasce, alors qu’il analyse, en bon thomiste, la théologie de Hendrik Kraemer, « le plus grand théologien protestant contemporain qui se soit intéressé à l’Islam », il est clair que « l’Islam, à n’en pas douter, est à ranger parmi les hérésies : la Révélation biblique, pour être mal connue, n’y est pas ignorée, elle y est formellement rejetée quant aux vérités essentielles : l’Incarnation et la Trinité ; mais c’est bien à la Révélation que le Coran entend se rattacher »12 si bien que Y. Moubarac peut dire, à ce sujet, qu’« on en revient là à la première page de la pensée islamologique chrétienne, c’est-à-dire à saint Jean Damascène » , puisqu’il fait sien « l’essai d’interprétation de l’Islam par Charles Journet » qui « s‘inspire de Jean de Menasce et d’autres encore». Pour ce faire, il s’attache « à un texte inédit de 1967 » où le cardinal Journet délivre sa pensée théologique13 en disant que « Le message de Mahomet, trésor suprême de l’Islam, c’est la révélation surnaturelle (c’est lui qui souligne) du Dieu unique et transcendant faite à Abraham, ouverte chez lui au mystère de la Trinité et de l’Incarnation rédemptrice, mais bloquée, stoppée, figée, lors du faux-pas d’Israël, et reçue par Mahomet, en vertu d’une méprise non coupable, comme anti-trinitaire et anti-chrétienne ; d’où la terrible et durable ambiguïté de ce message14 ». Il est évident, pour le cardinal, que Dieu ne saurait jamais être rendu responsable de cette « tragique méprise », d’autant plus qu’il formule aussitôt une « précieuse remarque » qui retient toute l’attention de Y. Moubarac : « La notion du Dieu unique et transcendant, mutilée dans l’Islam (et dans Israël), il suffira à Dieu d’envoyer sur elle un rayon de sa lumière pour l’ouvrir, la vivifier, la faire éclore en la notion d’un Dieu d’amour que les soufis (et les hassidim) ont pressentie, redécouverte et même proclamée »15. Et c’est bien dans cette ligne que Y. Moubarac poursuit alors sa « problématique nouvelle », en s’appuyant tant sur le Père Lagrange16 que sur Raïssa Maritain, laquelle se réfère, en son Journal, au constat final du cardinal : « Une seule certitude dans notre ignorance nous reste : Dieu sait ce qu’il permet17 ». C’est pourquoi Y. Moubarac, récusant toute fausse interprétation des propos du cardinal Journet18, entendait bien situer ainsi l’Islam dans le cours de l’histoire religieuse de l’humanité par « une prise de position globale et sans ambiguïté sur le message par lui transmis, ses ‘sources’ et son unité ».

Il a voulu expliciter tout cela, en 1976, dans son article « La pensée chrétienne et l’Islam. Principales acquisitions et problématique nouvelle » de la revue Concilium19 à laquelle il confiait ses « interrogations », tout en y intégrant la pensée du cardinal Journet, avant d’évoquer les « exigences et difficultés du dialogue ». Distinguant opportunément entre « approche théologique et sensibilité religieuse », il observe, chez ses contemporains chrétiens vivant « en pays d’Islam », « une primauté du contemplatif qui intègre l’existentiel et rachète aussi bien le politique que le théologique ». Refusant tout « historicisme abusif », il lui « paraît que l’ensemble des chapitres XII et suivants du 1er livre de la Bible devrait recevoir un traitement analogue à celui dont les chapitres I à XI ont fait l’objet » : « Tous sont exclus par le péché et tous rachetés par la grâce ». Y. Moubarac rejoindrait volontiers Mgr Georges Khodr, métropolite orthodoxe du Mont Liban, qui souhaite « corriger l’étroitesse apparente d’une christologie sotériologique limitée à l’histoire d’Israël et de l’Eglise par une mystériologie du Logos et de l’Esprit étendue à l’histoire universelle », laquelle pourrait voir dans l’Islam, au nom de toutes les autres religions, « une protestation commune à l’encontre d’un prérogativisme chrétien hérité du prérogativisme juif ». Comment donc Y. Moubarac envisageait-il encore, en 1988, « l’histoire du salut » au terme de ses luttes et de ses méditations ? Dans un colloque parisien sur les Chrétiens d’Orient, il y disait : « Ceux qui sont ici savent que je conteste fondamentalement la théologie de l’histoire du salut. J’ai passé trente ans de ma vie pour, je dirais, la rendre acceptable, en disant que cette histoire de salut dite judéo-chrétienne n’était pas exclusive, ni excluante, et qu’au moins elle devait s’élargir à l’Islam. Pendant trente ans donc on a fait de l’abrahamisme ; je dois déclarer, sans brûler ce que j’ai adoré, que je trouve ce schéma tout à fait ambigu ». Toutes considérations, positives ou désabusées, qui lui ont donc fait dire, à la suite de Roger Arnaldez, combien le dialogue islamo-chrétien s’avérait difficile, tout en étant inéluctable, tout en reconnaissant, de par ailleurs, que la pensée même de Louis Massignon demande à être précisée. En effet, celui-ci n’a pas manqué d’exprimer en ses écrits des intuitions prophétiques où certains aimeraient trouver une première expression théologique.


Louis Massignon et ses « visions théologiquement prophétiques »


Il est certain que Louis Massignon20, orientaliste catholique, a renouvelé par ses recherches et ses publications le regard des chrétiens sur l’islam après des siècles de polémiques où s’étaient épuisés de nombreux intellectuels et penseurs tant musulmans que chrétiens. Parmi ses nombreux livres et articles, quatre textes semblent exprimer au mieux sa « compréhension spirituelle » de l’islam. Il y a d’abord, en 1917, son Examen du ‘Présent de l’homme lettré’, où il entend réfuter ce Présent (Tuhfa)21, livre de polémique antichrétienne attribué au tunisien Ibn al-Torjoman, alias Anselmo Turmeda. Il y constate que l’apologétique musulmane « ne propose à l’homme que d’adhérer par sa raison à l’évidence de la religion naturelle […). Le but de la révélation coranique, selon lui, n’est pas d’exposer et de justifier des données surnaturelles jusqu’alors ignorées, mais de faire retrouver aux intelligences, en leur rappelant, au nom de Dieu, les sanctions temporelles et éternelles, la religion naturelle, la loi primitive, le culte très simple que Dieu a prescrit pour toujours, qu’Adam, Abraham et les prophètes ont tous pratiqué sous les mêmes formes, en convainquant les idolâtres, les juifs et les chrétiens, de l’évidence de cette loi divine qu’ils doivent reconnaître gravée dans leurs intelligences, lorsqu’ils en ont retranché toute vaine superstition22 […]. L’apologétique musulmane, qui part de l’impossibilité rationnelle d’une relation quelconque unissant Dieu, le créateur, à l’homme, une créature, scelle cette interdiction par le texte même dont révélation a été faite à Mohammed : c’est le texte de la Parole divine23 ». Et L. Massignon d’insister sur ce caractère de l’islam en toutes ses manifestations : « La révélation coranique est présentée comme la loi naturelle, c’est-à-dire la loi éternelle dirigeant, vers la fin qui leur est propre, les actes et les mouvements des hommes, telle qu’elle se formule pour la raison. Elle se dit, comme elle, universelle, immuable et absolue24 ». En bref, « l’Islam a voulu prouver, contre toutes les idolâtries, que la religion primitive des patriarches, d’Adam à Noé et Abraham, suffisait à tous les besoins sociaux de l’homme, en commandant à sa raison d’adorer le Dieu unique de la Loi naturelle, par la foi, à jamais25 ». Tel serait donc, pour L. Massignon, selon cet Examen qui ne fut publié, sur sa volonté expresse, qu’après sa mort, le rôle contestataire ou prophétique que l’Islam historique aurait rempli depuis quatorze siècles et se devrait de réaliser encore demain.

C’est en 1935, dans la deuxième de ses Trois Prières d’Abraham26, intitulée L’Hégire d’Ismaël, que L. Massignon concède que, « revendication militante de la pure transcendance, résurgence mystérieuse du culte patriarcal antérieur au Décalogue mosaïque et aux Béatitudes, dénudation du désert27 […], l’Islam est presque un schisme abrahamique, comme Samarie et le talmudisme furent des schismes mosaïques, comme l’orthodoxie grecque fut un schisme postchalcédonien28 ». Il y voit « une réponse mystérieuse de la grâce à la prière d’Abraham pour Ismaël et les Arabes 29». Poursuivant alors ses intuitions aussi riches que généreuses, il considère que l’Islam « par un mouvement d’involution temporelle, par une remontée vers le plus lointain passé, inversement symétrique à l’attente messianique grandissant chez les juifs d’Isaïe à Hérode, énonce la clôture de la révélation, la cessation de l’attente (car il est) antérieur, son seulement à la Pentecôte, mais au Décalogue30 » : il exprime « avec une naïveté encore plus primitive que celle de l’enfant 31», un message qui se présente « en niveleur, au ras de la religion naturelle, de tout épanouissement dogmatique surnaturel 32», se réduisant, en fin de compte, comme le comprend le Père Michel Hayek, « à la vertu morale de religion », de sorte que l’Islam serait ainsi, toujours selon celui-ci, une « religion naturelle ravivée par une révélation prophétique »33, ce qui donnerait au Coran et à Muhammad des privilèges hors pair : le premier participerait de la révélation, d’une certaine manière, et le second serait alors un « prophète négatif »34.

En 1948, dans un article Le signe marial de la revue Rythmes du monde35, L. Massignon s’attache à justifier la sincérité de Muhammad, à rappeler qu’il y a des saints en Islam et à considérer celui-ci comme un défi mystique adressé aux chrétiens. « Le Coran, écrit-il, admet que la générosité divine dépassera la nature (dans ses récompenses) et ne tolère pas que les insertions libres, par la grâce, du mystère divin dans les créatures (mystère unique où les chrétiens discernent trois mystères, Trinité, Incarnation et Rédemption), insertions qui sont surnaturelles, soient rabaissées au vocabulaire équivoque des relations naturelles, par des dénominations ambivalentes comme celles de la communication des idiomes ». Et de conclure l’article en affirmant qu’« on peut dire que l’Islam existe, et continuera à subsister, parce que de foi abrahamique, pour contraindre les chrétiens à retrouver une forme de sanctification plus dépouillée, plus primitive, plus simple, à laquelle les musulmans n’atteignent que rarement, j’en conviens, mais par notre faute, parce que nous ne la leur avons pas encore montrée en nous, et qu’ils l’attendent de nous, du Christ ».

C’est enfin dans une lettre adressée, en 1958, à Mme R. Charles-Barzel, que celle-ci reproduit dans son livre Ô Vierge puissante36, que L. Massignon précise sa pensée. « Il faut vous souvenir, y dit-il, que les musulmans n’ont pas encore reçu de Dieu toutes les grâces, privées ou sacramentelles, dont les chrétiens détiennent le redoutable privilège. Redoutable pour eux, s’ils en mésusent en méprisant les musulmans à qui Dieu ne les a pas données ». En effet, ajoute-t-il, « dans l’histoire de l’humanité, nous avons trois périodes religieuses : 1) l’état de nature, blessé par le péché d’Adam, correspondant à l’époque patriarcale ; 2) l’état légal, qui commence au décalogue du Sinaï ; 3) l’état évangélique, qui commence au Christ et à la Pentecôte. Il est absurde de discuter avec un juif croyant, comme s’il était arrivé à l’état évangélique ; il en est encore à la Loi de crainte ; de même, il est absurde de discuter avec un musulman comme s’il était arrivé, soit à l’état légal, soit à l’état évangélique ». Et de conclure : « L’Islam est encore à l’état patriarcal, au temps d’Abraham ; et le fait que Mahomet l’a prêché six cents ans après la Pentecôte, que le Coran nomme Moïse et Jésus, fils de Marie, n’empêche pas l’Islam d’en être à l’état patriarcal, assez primitif, où la conscience morale, admirablement éclairée sur l’obéissance à Dieu, premier servi, et sur l’interdiction de l’idolâtrie, est encore crépusculaire sur la polygamie, le concubinat, le rapt et les ruses de guerre ».

Telles sont les intuitions spirituelles de L. Massignon, pour lequel l’Islam semblerait donc être « une religion naturelle ravivée par une révélation prophétique » en ce sens qu’elle emprunte à la tradition judéo-chrétienne l’essentiel de son vocabulaire et une partie simplifiée de son enseignement. L’Islam aurait-il pour mission de rappeler à tous « la religion des origines » ou faudrait-il le situer «  dans l’alliance transhistorique conclue avec les ‘fils d’Adam’, aussi bien que dans l’histoire de la révélation spéciale commencée avec Abraham ? ». Comment situer la grande aventure spirituelle de l’Islam dans l’ensemble des recherches religieuses de l’humanité et dans la révélation progressive d’un Dieu qui entend dire aux humains ce qu’Il est en son Verbe qui se révèle en Jésus-Christ ?


Vers une approche diversifiée de l’Islam par les témoins du dialogue


Certains ont voulu conclure de cet « abrahamisme » de L. Massignon que l’Islam serait une voie parallèle de salut pour les musulmans, s’originant dans la bénédiction d’Abraham à Ismaël et participant donc d’un dessein positif divin à cet effet. Ce ne serait qu’à la fin des temps qu’une convergence eschatologique ferait du retour de Jésus la manifestation plénière de ce dessein, bien qu’il ne soit en rien précisé s’il s’agit du retour dont parle l’Islam ou de l’avènement final qu’attend la foi chrétienne (ambiguïté maintenue !). Etait-ce aller trop loin ? L’exaltation des exclus « en Ismaël » par L. Massignon ne les mettrait-elle pas, à terme, hors des promesses faites à Abraham ? C’est pour clarifier les réponses à ces questions que le Père Georges Anawati37, son ami dominicain égyptien, écrivit à L. Massignon, en 1955, une lettre qui peut encore servir de guide en ce domaine délicat. « Est-ce à moi, lui disait-il, de vous rappeler le ‘mystère’ de l’Islam et les redoutables problèmes qu’il pose à la conscience chrétienne quand on essaie ‘de sonder les desseins de Dieu’ à son égard ? Comment dès lors ne pas admettre, une fois sauvegardées, avec intransigeance, les questions de base, qu’il puisse y avoir des divergences d’interprétations parmi les théologiens et les spécialistes de l’Islam ? Il y a un vaste domaine de ‘questions disputées’ où chacun s’efforce de voir clair dans la mesure de ses moyens. Allons-nous risquer, par un attachement passionné à notre interprétation de tel ou tel point subsidiaire de doctrine, de compromettre la position de base, si péniblement acquise (i.e. l’attention sympathique et efficace accordée par l’Eglise aux problèmes soulevés par l’existence de l’Islam) et provoquer un coup de barre malheureux ? Jetterons-nous l’anathème sur ceux de nos frères, de nos amis qui ne partagent pas entièrement notre point de vue ? »38.

Le fondateur de l’Institut Dominicain d’Etudes Orientales du Caire devait expliciter sa pensée, trente ans après, en distinguant trois courants catholiques d’interprétation théologique de l’islam dans sa conférence de Fribourg (Suisse)39 du 15 novembre 1985 : «Un courant minimaliste, surtout préconciliaire, qui ne voit dans l’Islam que ce qui heurte les dogmes chrétiens. Ce courant est devenu anachronique. Un courant maximaliste qui reconnaît, d’une façon ou d’une autre, le prophétisme de Mahomet et le caractère révélé du Coran. Les bases d’une telle interprétation sont fragiles, à la fois du point de vue historique et du point de vue exégétique et théologique. La majorité des islamisants catholiques préfèrent suivre une via media. Tout en montrant beaucoup de sympathie pour les musulmans et une grande ouverture pour le dialogue, cette voie marque les divergences radicales qui séparent les deux religions. Elle précise soigneusement l’objet du dialogue, ses conditions et ses limites. Les partisans de cette tendance estiment qu’il est prématuré de porter un jugement théologique sur l’Islam (pas de ‘théologie indiscrète’). Il faut le prendre comme un fait et continuer de l’étudier dans sa complexité même, à la fois religion, communauté, culture et civilisation ». Ce faisant, le Père G. Anawati rejoignait la question que posait le Père Y. Moubarac : « Quel Islam finalement le Christianisme va-t-il reconnaître ? », puisque celui-ci constatait que, « si la pensée chrétienne ne s’est pas encore fixée (à son sujet), la raison principale est le destin même de l’Islam toujours en tension et n’ayant pas encore reconnu sa vraie nature ». Car de quel islam le chrétien se voit-il invité à se prononcer ? De l’islam de la Loi coranique et de sa pratique orthodoxe, de l’islam de la sagesse philosophique et de son éthique humaniste, ou de l’islam du soufisme des mystiques et de la dévotion des confréries ? Il est certain que l’approche théologique de ces trois « islam-s » ne peut qu’être des plus différenciées, à moins que l’on ne se contente d’une approche unitaire de ce qu’ils ont de commun au plan du credo, des rites et de la morale, et c’est bien en ce sens, semble-t-il, que s’est prononcée la Déclaration conciliaire de Vatican II quand il s’agit des musulmans. Certes, cette Déclaration Nostra Aetate inspire aujourd’hui, en partie, la théologie des religions non chrétiennes40, mais qui ne voit que l’Islam y a une place singulière, car à la différence de celles qui sont préchrétiennes, il est seul à s’y présenter comme postchrétien, ce qui n’est pas sans poser plus d’un problème. C’est pour y mieux répondre que le Secrétariat romain pour les non chrétiens, devenu le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux en 1988, a proposé peu à peu ses documents explicatifs en la matière : Attitude de l’Eglise catholique devant les croyants des autres religions (10 mai 1984), Dialogue et annonce : réflexions et orientations concernant le Dialogue interreligieux et l’Annonce de l’Evangile (19 mai 1991), celui de la Commission théologique internationale : Le christianisme et les religions (octobre 1996), celui Dominus Jesus de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (6 août 2000), Sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise. Si l’ensemble de ces documents semblent représenter le patrimoine commun de tous ceux qui sont aujourd’hui engagés dans le dialogue islamo-chrétien, il est certain que la position minimaliste, maximaliste ou médiane quant à l’approche qu’ils se font de l’islam du point de vue théologique dépend aussi en grande partie du choix qu’ils font entre les diverses hypothèses que la critique historique propose quant aux origines de l’Islam en ses dimensions religieuses, culturelles et politiques41.


Quels seraient donc ces minimalistes aujourd’hui ?

Certains d’entre eux contestent, à leur manière, l’existence même de la Déclaration conciliaire sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes. Alain Besançon, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, qui est bien connu pour son livre des Trois tentations dans l’Eglise42, estimait en 1999 que les conditions d’un véritable dialogue entre chrétiens et musulmans ne sont pas réunies, car, disait-il, « le dialogue requiert deux partenaires. Les deux doivent s’engager à la condition essentielle de chercher la vérité en commun. Il me semble qu’en ce moment les musulmans ne sont pas décidés à signer le pacte de bonne foi qui rend possible le dialogue ». Il en serait toujours de même aujourd’hui et c’est le texte même de la Nostra Aetate qui, par lui, est remis en question, car pourquoi avoir ainsi privilégié l’islam plus que l’hindouisme ou le bouddhisme? En effet, invité à participer au Synode des Evêques pour l’Europe en octobre 1999, il a bien précisé quelle était sa « thèse théologique : l’islam est la religion naturelle du Dieu révélé »43. D’où ses « trois thèses » qui semblent être celles des minimalistes de toutes sensibilités : « Les chrétiens ont grand tort de considérer l’islam comme une religion simpliste, élémentaire, une ‘religion de chameliers’. C’est au contraire une religion extrêmement forte, une cristallisation spécifique du rapport de l’homme à Dieu, parfaitement opposée au rapport juif et chrétien, mais non moins cohérente. Les chrétiens ont tort d‘estimer que l’adoration par l’islam du Dieu unique d’Israël les rend plus proches d’eux-mêmes que les païens. En fait, comme le prouve l’histoire de leurs relations, ils en sont plus radicalement séparés à cause du mode d’adoration de ce même Dieu. Il s’ensuit que, dans leur effort pour comprendre les musulmans et ‘dialoguer’ avec eux, les chrétiens doivent s’appuyer sur ce qui demeure de religion naturelle, de vertu naturelle, au sein de l’islam. Et avant tout de s’appuyer sur la nature humaine commune qu’ils partagent avec eux. Mais le Coran, à la différence d’Homère, Platon ou Virgile, ne peut être considéré comme une preparatio evangelica ».  Et A. Besançon d’ajouter : « Quel scandale y a-t-il à reconnaître dans l’Islam un ennemi ? Il se donne ouvertement pour ennemi du nom chrétien et c’est, après tout, son droit […]. Le commandement évangélique d’aimer ses ennemis suppose précisément que la distinction est faite entre les ennemis et les amis ». Mais c’est le texte de la Constitution Lumen Gentium qu’il juge critiquable, d’autant plus que le Catéchisme de l’Eglise catholique en a omis un mot important44 : «Le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, juge des hommes au dernier jour » (§ 16).  Elle laisse supposer que « la foi d’Abraham pourrait également contenir in nuce une autre foi que la foi de Moïse et la foi chrétienne », ce qui est évidemment impossible pour celle-ci45. Le Père Edouard-Marie Gallez, dans son livre Le malentendu islamo-chrétien46, semble être tout autant critique vis-à-vis des textes dont il a été parlé plus haut et de tous les efforts de dialogue interreligieux tentés depuis un siècle. Il aimerait que les musulmans prennent acte de sa thèse47, à savoir que l’Islam est une « dérive du judéo-christianisme primitif » dont certains membres, les judéo-nazaréens, auraient communiqué plus tard leur idéal messianiste à Mahomet. C’est pour cela qu’il demande un « changement de cap » intégral du regard chrétien sur l’islam, parce que celui-ci est « post-chrétien » et ne saurait donc jamais être traité comme « les religions pré-chrétiennes ». Pour cette raison, ce que dit le § 2 de Nostra Aetate à leur propos48 ne peut s’appliquer à l’islam en tant que tel, ce qui diminue d’autant toute perspective de dialogue interreligieux. Et d’accuser alors Louis Massignon et ses disciples de « relativisme théologique » et d’être « à l’origine des dérives syncrétiques des relations entre l’islam et le monde chrétien »49.

Plus proches de la voie médiane mais toujours soucieux de mettre en avant la grande différence entre christianisme et islam quant au mystère de Dieu, de l’homme et de l’histoire, d’autres chrétiens mettent en doute le avec nous du texte conciliaire déjà cité, alors que d’autres, maximalistes, en font un grand cas. C’est le cas du Père François Jourdan et des professeurs Rémi Brague, Marie-Thérèse Urvoy et Dominique Urvoy, ainsi que de beaucoup d’autres, comme Mme Annie Laurent, lesquels risquent ainsi de réduire le dialogue au seul domaine des collaborations humaines possibles. Pour clarifier les textes auprès des chrétiens qu’ils estiment mal préparés au dialogue interreligieux, ils ont le souci d’insister sur les différences fondamentales entre christianisme et islam : ce qu’ils auraient de commun spirituellement se révèlerait très vite des plus superficiels. D’où le titre des deux livres du Père François Jourdan, Dieu des Chrétiens, Dieu des musulmans, des repères pour comprendre50 et La Bible face au Coran (Les vrais fondements de l’islam)51, où l’auteur, à juste titre, dénonce la confusion qu’engendre le recours à un vocabulaire théologique chrétien pour parler des réalités musulmanes : « Mon seul propos, dit-il, est de mettre le doigt sur les différences doctrinales », tenant compte « des cohérences fondamentales des deux traditions », si bien qu’il en arrive à douter que l’on puisse dire que « nous avons le même Dieu ». Pour lui, « beaucoup d’expressions courantes et médiatiques sont maladroites ou carrément fausses sans que l’on s’en aperçoive »52. Et de conclure en disant qu’il faut avoir « le courage de se dire que nous ne sommes pas pareils (respect de nos identités réelles) » et que le dialogue vise à un « partenariat » dont, malheureusement, il ne précise aucunement quel peut en être le programme !

Le professeur Rémi Brague, spécialiste des Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam53, propose une approche analogue dans l’ensemble de ses publications philosophiques et plus spécialement en ses deux livres Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres54 et Qui est le Dieu des chrétiens ?55 Les différences sont radicales entre christianisme et islam : le recours sous forme univoque à un même vocabulaire religieux ne peut qu’engendrer la confusion. Certes, « le chrétien ne peut s’enfermer dans un splendide isolement et refuser de reconnaître ce que les autres sagesses et traditions religieuses peuvent enseigner de juste et de vrai. En sens inverse, le risque existe de tomber dans un relativisme qui n’a, en fait, que l’apparence du dialogue ». C’est pour cette raison que les professeurs Marie-Thérèse et Dominique Urvoy, enseignant l’islamologie respectivement à l’Institut catholique de Toulouse et à l’université de Toulouse-II, ont jugé utile de publier, sous le titre de La mésentente, un Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien56 qui « montre comment, à défaut d’entendre les mêmes choses sous les mêmes mots, règne une mésentente qui ne peut satisfaire que le désir de reconnaissance du monde occidental et la volonté de revendication du monde musulman. Tiraillé entre l’affection et l’aversion, l’échange ne relève plus alors de la lucidité, mais de l’accommodement des sensibilités ». Avant d’en faire la démonstration à propos des « 50 entrées cruciales » de leur dictionnaire, ils s’en expliquent dans leur Introduction, car l’institutionnalisation du dialogue islamo-chrétien a pu développer tout ce qui « permet une action commune » tandis que les « questions de fond » continuent à faire problème : « Le dialogue islamo-chrétien se prolonge ainsi souvent en une discussion entre chrétiens : d’une part des chrétiens ‘tout court’, désireux d’une bonne entente avec les musulmans, sans plus ; et, de l’autre, des chrétiens islamophiles qui sont prêts à des concessions de fond ». On peut trouver un discours semblable dans les écrits de Madame Annie Laurent et des amis du mouvement d’Aide à l’Eglise en Détresse (AED), à partir de l’analyse qu’ils font de la situation difficile des minorités chrétiennes dans les pays islamiques, qu’il s’agisse de Vivre avec l’islam ?57 ou d’Enquêtes sur l’islam en hommage à Antoine Moussali58, lui qui affirmait qu’« il n’est de dialogue vrai que celui qui se déroule en vérité ; ce qui évitera bien des malentendus, des déceptions amères et des confusions regrettables, et amènera à l’acceptation de l’autre différent ».


Quelle est alors la position des maximalistes ?

Tout aussi soucieux de dialogue, ils entendent conclure des textes du magistère catholique, interprétés univoquement et littéralement, que toutes les religions historiques appartiennent au même dessein de salut et que l’islam s’y révèle être la plus proche du christianisme, sous bien des aspects. Désireux, dans leur générosité, de valoriser toujours plus ce que chrétiens et musulmans ont en commun de valeurs humaines et religieuses, ils sont prêts à considérer leurs croyances et leurs expériences comme semblables, ce qui les amène, comme le signalait le Père G. Anawati, à « reconnaître la mission prophétique de Mahomet et le caractère révélé du Coran », ce qui n’est pas sans avaliser alors un certain relativisme en théologie des religions. Que penser, par exemple, de l’attitude du Père Paolo Dall’Oglio, disparu en Syrie alors qu’il y tentait une médiation en faveur de deux évêques disparus en 2013? Son livre, au titre ambitieux Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus59, n’est pas sans poser bien des questions. Dépassant les vues de L. Massignon qui l’ont fasciné, il pense pouvoir « être musulman avec les musulmans » et reconnaître le travail de l’Esprit de Dieu dans l’expérience religieuse musulmane. Se voulant membre d’une « Eglise de l’Islam », il déclare que « nous n’allons pas vers des assimilations réciproques ni de mélanges équivoques, mais vers un horizon partagé sur lequel des synthèses capables de pluralisme dans la communion se projettent ». Surévaluant « les relations abrahamiques », convaincu de « la sincérité de la vocation prophétique de Muhammad60 » et attribuant à l’Islam un lien fondamental avec la tradition biblique, il interprète donc les textes du magistère en faveur de « la prophétie de Muhammad » et de « la révélation en Islam » au nom d’une parfaite inculturation spirituelle. D’autres disciples de L. Massignon ont pensé pouvoir élaborer, à partir de ses intuitions spirituelles, une théologie de voies parallèles qui se présenterait comme suit : tout comme, à partir d’Abraham, le fils selon la chair, Isaac, a donné le peuple juif héritier de la promesse, de qui est né le sauveur, Jésus Christ, l’Isaac selon l’esprit, et donc le christianisme, de même l’autre fils selon la chair, Ismaël, aurait donné le peuple arabe, de qui serait né le prophète Muhammad, l’Ismaël selon l’esprit, et donc l’islam, chrétiens et musulmans étant tous destinés à un même salut eschatologique. Déjà le chanoine Charles Ledit, avec son Mahomet, Israël et le Christ61, s’insérait dans cette ligne « concordiste » : se fondant sur les nombreuses « traces » de références évangéliques dans le Coran, « il voit dans ‘la vocation guerrière de l’islam naissant’ un élément du plan de la Providence, dont la mission contemporaine est la défense armée de l’humanité contre l’extension de l’athéisme »62. Mais qu’en est-il alors de la théologie sous-jacente aux travaux de Denise Masson qui s’est rendue célèbre par une traduction du Coran63 des plus appréciées ? Elle a en effet publié Le Coran et la Révélation judéo-chrétienne : études comparées64, gros travail dont le Père G. Anawati dit de l’auteur que, « pratiquement, sans s’en apercevoir, elle en vient à traiter le Coran comme s’il était ‘révélé’, homogène à la Bible : […] Elle semble croire que l’on doit pouvoir retrouver dans le Coran, à condition d’y projeter la lumière chrétienne, la plupart de nos mystères ». En relation épistolaire avec L. Massignon, elle en aura sans doute épousé les idées audacieuses quant à son appréciation de l’islam. Mais c’est surtout le Père Giulio Basetti-Sani, franciscain italien, converti de la polémique la plus rude à l’accueil le plus condescendant par L. Massignon lui-même, qui semble en avoir dépassé les conclusions théologiques. Dans son dernier livre, L’Islam nel piano della salvezza65, il voit dans l’Islam une « préparation évangélique », le Coran devant être lu à l’instar de l’Ancien Testament comme une pré-annonce cachée de Jésus et Muhammad étant, selon lui, le « dépositaire d’une révélation partielle » en tant que prophète envoyé par Dieu aux Arabes et aux juifs pour les amener du paganisme au monothéisme puis « à la pleine manifestation de Marie et de Jésus », déjà « en germe » dans le Coran. Ainsi donc l’attitude maximaliste n’hésite pas à aller très loin dans son accueil de Mahomet, passant de sa subjective sincérité à son authentique mission prophétique, et donc du Coran et de son contenu comme participant d’une réelle révélation.

Le Pr. Gäde, sous une autre forme, tendrait à faire de même avec sa « théologie intérioriste des religions » pour mieux dépasser « l’exclusivisme, l’inclusivisme et le pluralisme relativiste », comme il s’en explique dans son livre « Adorano con noi il Dio unico »66. Ce faisant, il souligne mieux que tout autre où se situent les questions plus ou moins irrésolues qui engagent le choix minimaliste, maximaliste ou médian de la présente recherche théologique. Pour lui, « tout exclusivisme étant désormais ‘dépassé’, l’inclusivisme réussit à valoriser les religions non chrétiennes en leur reconnaissant une vérité partielle et fragmentaire, mais néanmoins incomplète, (tout en étant soupçonné) d’arrogance et d’eurocentrisme ». Quant à la théologie « pluraliste » qui considère toutes les religions comme « égales de jure », elle ne le satisfait pas, car cette « intention positive de valoriser toutes les religions comme véritables expressions d’une manifestation divine n’est en effet réalisable qu’en relativisant la prétention propre à chacune d’avoir la vérité ». Pour lui, chaque religion est « insurmontablement vraie » : « les religions monothéistes fon des promesses de salut insurmontables », en ce sens que « seul,le Verbe (Logos) incarné, sommet de la création, exerce une fonction médiatrice auprès des religions » : en chacune d’elles, plus ou moins voilée ou cachée, il y a donc « promesse de salut et de communion avec Dieu ». Dépassant Rahner, il affirme donc que « toutes les religions sont des voies de salut ». Constatant que le Coran communique une chose que seul Dieu peut communiquer », à savoir « la miséricorde et la bonté de Dieu, la promesse de salut » et « la communion avec Dieu », il en conclut donc que « Muhammad (est) un prophète de Dieu, même pour les chrétiens » et que, malgré les imprécisions du Coran et de l’islam concernant ce salut et cette communion, la religion musulmane est bien « insurmontablement vraie ». Qu’elle soit « voie de salut », beaucoup l’accepteraient, mais est-elle « moyen de salut » comme l’est Jésus- Christ en christianisme ? On aimerait plus de précisions pour fonder théologiquement l’affirmation, ce qui n’est pas le cas.

Les travaux et les publications du Groupe de Recherches Islamo-Chrétien (GRIC) pourraient s’insérer en partie dans cette perspective maximaliste tout en se voulant également de « voie moyenne »67.  Fondé par le Père Robert Caspar et le Professeur Abdelmajid Charfi à Tunis, en 1978, il a su maintenir un rythme annuel de rencontres68 et se renouveler plus ou moins au cours des années. Faut-il ici en rappeler les ouvrages successivement édités ? Il y a eu d’abord, en 1987, un livre qui fut bien vite traduit en anglais, en italien et en arabe Ces Ecritures qui nous questionnent (La Bible et le Coran)69, puis, en 1993, Foi et justice (Un défi pour le christianisme et l’islam)70, ainsi que, en 1996, Pluralisme et laïcité (Chrétiens et Musulmans proposent)71, suivi, en 2000, de Péché et responsabilité éthique dans le monde contemporain72, et enfin, en 2003, Chrétiens et Musulmans en dialogue : les identités en devenir73. L’origine, la nature et la charte du GRIC ont été présentées par le Père Robert Caspar en 197874, un premier bilan en a été tenté par le Pasteur Jean-Paul Gabus sous le titre « L’expérience du dialogue islamo-chrétien dans le cadre du GRIC »75 et une déclaration commune des membres du GRIC a fait entendre sa voix au seuil du 3ème millénaire, « Croire au lendemain d’un changement de siècle »76. Mais c’est dans Ces Ecritures qui nous questionnent que les membres chrétiens du GRIC ont exprimé leur approche de l’islam en formes variées. S’agissant du Coran, le Père R. Caspar précise que « c’est le contenu du message délivré sur Dieu, sur l’homme, sur les relations entre Dieu et les hommes et les relations des hommes entre eux qui sera notre premier critère ». Mais, dit-il, quel en est le « système de référence » ? « On répond habituellement : le critère de la conformité ou de la consonance […] avec le message chrétien », au titre de « la cohérence de la foi chrétienne avec elle-même »77. Et d’ajouter : « Cette vision de la révélation a donné lieu à une littérature abondante sur les ‘valeurs chrétiennes des religions non chrétiennes’. Elle revient à sélectionner dans les autres religions ce qui paraît conforme aux doctrines et aux pratiques chrétiennes et à y voir les ‘pierres d’attente’ pour une pleine adhésion à la foi en Jésus-Christ. Nous ne nions pas la légitimité de cette approche. Mais, pour notre part, nous n’entendons pas nous y enfermer. D’abord, notre expérience nous a montré combien cette vue est insupportable à nos amis musulmans. Cette ‘récupération’ des valeurs de leur religion à partir de nos catégories, ce clivage mis par nous entre ce qui en est ‘valable’ et ce qui ne l’est pas, leur semble une atteinte à leur foi et à leur vie religieuse. Mais cela ne serait pas une raison suffisante pour dépasser cette vision, si elle était la seule possible pour la foi chrétienne et liée essentiellement à elle ».

Allant plus loin, le Père R. Caspar, sans recourir à la catégorie de « chrétien anonyme » de Karl Rahner, distingue avec celui-ci entre une « révélation générale », pour les nations et les religions, et une « révélation spéciale », pour le monde de la tradition judéo-chrétienne. Car la question est posée : « Peut-on penser que Dieu laisse l’immense majorité des hommes, dans l’espace et dans le temps, sans se communiquer à eux de quelque façon ? » C’est alors qu’il fait siennes les considérations sur lesquelles les membres du GRIC se sont mis d’accord : « Toute ‘Parole de Dieu’ passe toujours par une expression humaine […]. C’est cette finitude de toute expression humaine de la Parole de Dieu, sans oublier le péché de l’homme, qui peut expliquer, croyons-nous, les divergences des révélations […]. C’est pourquoi nous ne pensons pas devoir retenir le critère de concordance de toute révélation avec la révélation en Jésus-Christ, telle qu’elle a été transmise par les Apôtres et par l’Eglise ». Et d’ajouter les remarques suivantes : « Dieu seul dans sa déité est absolu. L’événement Jésus-Christ est indépassable. Ce qui nous est dit de Dieu et de cet événement Jésus-Christ nous l’est dit en langage humain (qui a un caractère ‘théandrique’ unique). Le Nouveau Testament ne nous en dit qu’une partie »78. Et de conclure : « Que reste-t-il de ce critère du contenu du message ? Il réside, croyons-nous, dans la qualité du message sur Dieu et sur l’homme, inévitablement perçue à partir de l’expérience chrétienne. Mais sans qu’on exige d’une autre expression de la ‘Révélation’ plus de ‘pureté’ que pour la Bible et sans que tout y soit jugé à l’aune de la doctrine chrétienne ». A cela s’ajoute encore « l’autre critère qui nous a paru essentiel, celui de la fécondité du message pour les hommes. ‘On juge l’arbre à ses fruits’. On doit donc pouvoir reconnaître dans la vie individuelle et collective des hommes d’hier et d’aujourd’hui l’influence de ce message ; ce qu’on pourrait appeler des fruits de sainteté »79. Toujours selon lui, la fécondité du message coranique se manifeste dans le passage de beaucoup de peuples du polythéisme au monothéisme, dans les trésors de vie religieuse et spirituelle de la littérature musulmane et dans les aventures métaphysiques ou surnaturelles des mystiques et des saints de l’islam. Pour toutes ces raisons, il estime que le chrétien « peut légitimement reconnaître dans le Coran une Ecriture exprimant une Parole de Dieu », mais encore lui faut-il « rendre compte de ce phénomène à partir de sa propre foi ».

C’est alors qu’il résume l’ensemble de ses réflexions en offrant au choix des disciples de Jésus-Christ « quelques approches possibles ». 1. Il y a d’abord « une approche existentielle » : « Elle consiste à vivre concrètement la contradiction sans pouvoir pour l’instant la surmonter dans une vision plus large. Il s’agit alors, pour le chrétien, de vivre pleinement de sa propre Ecriture, d’en découvrir sans cesse les richesses infinies […] et, en même temps, de reconnaître la validité et l’origine divine des Ecritures dont vivent ses amis musulmans, en renonçant, au moins provisoirement, à voir comment ces deux vérités peuvent trouver place dans une vision d’ensemble cohérente du dessein divin tel que nous le comprenons à la lumière de notre Ecriture ». 2. Il y a ensuite « une approche classique » qui tient compte de la distinction que fait la théologie scolastique entre « deux sortes de révélations ou prophéties : celle qui fait connaître la vérité divine et celle qui a seulement pour but de ‘diriger les actes humains’ ».80. 3. Il y a enfin « un élargissement de la révélation comme histoire et comme sens » et cet « élargissement de la révélation peut prendre deux formes : un rappel de notre propre Révélation ; une reconnaissance d’une autre expression de la Parole de Dieu, avec ce qu’elle a de différent avec la Parole de Dieu en Jésus-Christ ». Dans le premier cas, le chrétien pourrait dire avec le Père Cl. Geffré81 que « l’islam est pour moi un rappel prophétique de la confession de foi initiale d’Israël : ‘Tu adoreras un seul Dieu’. La révélation coranique m’invite à relire la révélation biblique qui trouve son accomplissement en Jésus-Christ en soulignant l’absolu du Dieu unique et en me gardant de tout péché d’idolâtrie ». En ce sens, ajoutait-il, « je n’hésite pas à dire que la révélation dont Mohamed est le messager est une Parole de Dieu, qui m’interpelle dans ma foi. Je ne dis pas que le Coran est la Parole de Dieu, mais j’accepte de dire qu’il y a dans le Coran une confession de foi au Dieu qui me concerne comme chrétien et qui m’invite donc à considérer Mohamed comme un authentique témoin du Dieu auquel je crois ». Ou bien faire sien le deuxième cas envisagé, à savoir reconnaître dans le Coran « une autre expression de la Parole de Dieu » ? Mais comment ? Les explications fournies à ce propos, par le texte du Père Caspar, sont loin d’être satisfaisantes pour beaucoup, car si elles ouvrent certaines perspectives (« unicité révélée comme mystère » et non pas comme « élaboration philosophique »), elles réaffirment aussi les divergences fondamentales entre christianisme et islam quant au mystère de Dieu et à celui de son acte créateur. Faudrait-il encore situer « ces contradictions non pas dans l’ordre de la Parole de Dieu en Dieu, mais dans celui des paroles humaines inévitables et nécessaires pour que la Parole de Dieu soit entendue et reçue par les hommes par le biais de leur propre langage » ?

Entre minimalistes et maximalistes, la via media

Certains membres du GRIC ont pensé que c’était aller trop loin dans la recherche théologique : ils ont cru devoir s’en tenir à « l’approche à la fois classique et existentielle » qui est celle de la majorité des penseurs chrétiens actuels qui se retrouvent volontiers avec ce que le Père Joseph Gelot et le pasteur Jean-Paul Gabus ont exprimé en appendice à Ces Ecritures qui nous questionnent82. « Je suis bien d’accord, déclare le Père Gelot, sur le fait qu’il n’y a pas de ‘révélation directe’, que la révélation suppose toujours une médiation humaine, qu’il n’y a pas, dans les Ecritures, de ‘Parole de Dieu à l’état pur’. Mais on ne souligne pas suffisamment que cette constatation ne peut pas être appliquée par un chrétien de la même manière à la révélation chrétienne et à la révélation coranique. Le chrétien doit être attentif à respecter pleinement, dans la manière dont il parle, le mystère de la Personne même de Jésus […]. Il est en Personne la Parole de Dieu, le Verbe du Père, et c’est précisément pour cela que sa parole humaine (parole humaine de La Parole), bien sûr créée, bien sûr de ce fait limitée, a une plénitude telle que seule elle est capable d’introduire l’homme à la plénitude de ce que celui-ci peut entrevoir, durant le temps de la foi, du mystère de Dieu. Tout l’Evangile de Jean, pour ne parler que de lui, ne fait que le redire ». Quant au pasteur Gabus, il trouve que l’expression « le sens de l’Ecriture » est ambiguë car « le texte, fût-il révélé, n’est jamais porteur du sens, sous-entendu dans nos traditions théologiques respectives, voulu ou proposé par Dieu […]. Le sens d’un texte est toujours l’effet d’une rencontre entre un lecteur et le texte […]. Je souscris certes entièrement aux deux critères de jugement (le contenu du message et la fécondité de ce message, mais) ce qui me gêne, c’est que toute la discussion soit centrée sur l’unité du Dieu transcendant […]. Je ne ressens pas la révélation coranique comme simplement différente de la révélation biblique : je la ressens sous certains aspects comme incomplète, inachevée, de même d’ailleurs que la révélation biblique ».

Ces deux témoignages disent assez combien demeurait difficile sinon téméraire l’entreprise du GRIC pour ne pas parler des autres auteurs signalés comme maximalistes. La via media semble bien avoir été et être encore celle qu’ont choisie les Papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François en leur magistère solennel et en leur ministère pastoral ainsi que la plupart des acteurs engagés dans les diverses institutions du dialogue islamo-chrétien. Qu’il suffise de relire les encycliques, les discours et les messages des premiers83 et les publications, les revues et les déclarations des seconds84. C’est bien selon cette via media que furent rédigées les premières recherches du Secrétariat romain « pour les non chrétiens »85 ainsi que ses premières Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans86 avant que celles-ci ne soient mises à jour quelques années plus tard87. Qu’il s’agisse des responsables et de leurs collaborateurs, on prend acte des différences fondamentales qui n’en restent pas moins au cœur de la difficile rencontre entre chrétiens et musulmans, que l’on s’y réfère au « choc des théologies » comme l’envisage le Père Emilio Platti dans la revue du MIDEO du Caire88 et dans ses livres ou que l’on explore ce qu’en dit la science des religions sur le caractère irrémédiable des différences théologiques, anthropologiques et sociologiques, comme le constatent le Dictionnaire des monothéismes : judaïsme, christianisme, islam89 et l’étude sur Les religions monothéistes des années 1880 aux années 200090 de Dominique Avon

L’apport du Père J. Gelot et du pasteur Gabus était d’autant plus important qu’à la lumière de l’ensemble des textes de Vatican II et des actes du Magistère à ce sujet, il est alors possible pour chacun de conjoindre l’attitude existentielle et l’attitude classique évoquées par le Père R. Caspar, tout en s’efforçant d’élargir son appréciation du Coran en tenant compte de ce qu’il apporte spirituellement à ses partenaires en dialogue dans leur approche du mystère de Dieu. N’est-il pas le seul « viatique spirituel » dont disposent les musulmans, de fait, en leur pèlerinage terrestre pour répondre aux questions lancinantes que se pose tout homme responsable de son destin personnel? L’islam en sa triple dimension de Loi, de Sagesse et de Mystique n’a pas fini de poser à la réflexion chrétienne bien des questions lancinantes auxquelles il est difficile de répondre avec de simples constats historiques ou de rapides formulations dogmatiques. C’est bien là ce que nous disent les « prophètes » ou les « acteurs » du dialogue islamo-chrétien au terme de leurs études et de leurs méditations. On l’a vu dans le cas de Massignon et de Moubarac tout comme dans celui de Caspar et d’Anawati. C’est également l’attitude commune que vivent les témoins de ce dialogue en harmonie avec l’enseignement des Eglises et de leurs institutions, telle celle du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux de Rome et celle du Secrétariat pour les Relations avec l’Islam de Paris. Dans l’esprit même qui animait la vie du bienheureux Charles de Foucauld91, l’ermite de Tamanrasset et l’ami de Massignon, on pourrait évoquer ici bien des livres qui en sont des transpositions significatives, en fonction des lieux et des temps : Eglise en Islam, méditation sur l’existence chrétienne en Algérie et Chrétiens en Algérie, un partage d’espérance de Mgr Henri Teissier92, Signs of Dialogue, Christian Encounter with Muslims et Dieu rêve d‘unité, Les catholiques et les religions : les leçons du dialogue de Mgr Michael L. Fitzgerald93, Chrétiens et musulmans : adversaires ou partenaires ? et Les religions, source de discordes ou de paix ? du Père Michel Lelong94, Per un discernimento cristiano dell’islam. Storia e Teologia, de Mgr Mariano Crociata95, De Babel à Pentecôte. Essais de théologie interreligieuse du Père Claude Geffré96, Figures et lieux de la sainteté en christianisme et en islam du Père Louis Boisset97, Pour une théologie chrétienne des religions du Prof. Michel Younès98, Chrétiens et Musulmans, frères devant Dieu ? du Père Christian Van Nispen tot Sevenar99, Cento domande sull’islam du Père Samir Khalil100, Rencontre sur l’autre rive : François d’Assise et les Musulmans et Assise ou Lépante ? Le défi de la rencontre du Père Gwénolé Jeusset101, et A Christian View of Islam. Essays on Dialogue du Père Thomas Michel102 .

Le Pr. Roger Arnaldez, pour sa part, conscient de l’apport humaniste de l’islam classique et de son ankylose interprétative au seuil de la modernité, mais également convaincu de la nécessité du dialogue entre chrétiens et musulmans, prenait acte des « divergences profondes entre l’islam et le christianisme », le Dieu de l’islam étant « transcendance du commandement » et le Dieu des chrétiens, « transcendance d’amour »103. Le Père Jean-Mohammed Abd-el-Jalil reconnaissait, en 1965, que « l’Islam, la religion la plus universelle après le christianisme, fondée après celui-ci et prenant vigoureusement position par rapport à lui (est) la religion qui, sur certains points, paraît plus proche du christianisme que le judaïsme et cependant la plus ferme face aux mystères chrétiens » et prenait acte de ce que, « du côté chrétien, des efforts sérieux sont faits pour situer l’Islam dans l’histoire religieuse de l’humanité et pour rendre compte de son contenu sans le défigurer »104. Quant à Louis Gardet, philosophe chrétien des cultures, il se gardait bien d’avancer quelque hypothèse théologique en ce dernier domaine, insistant sur un travail préalable de connaissance approfondie de l’expérience religieuse du partenaire musulman105. Et Arnaldez de dire de lui : « Ses jugements sur l’Islam ont un certain caractère dialectique : volontairement favorables et sans restriction aucune, quand il s’agit pour lui de s’opposer à des opinions fausses ou partiales concernant la religion du Prophète ; mais critiques, au sens philosophique du mot, chaque fois qu’il s’agit de mettre en relief une différence importante avec le christianisme, soit dans le domaine de la théologie spéculative, soit dans le domaine de la théologie mystique »106. Enfin, le Père Jacques Jomier lui-même, dont nul ne saurait mettre en doute sa connaissance impartiale du Coran et son amour pour les musulmans, concluait ainsi ses travaux : « La différence provient de l’enseignement même des textes sacrés respectifs […] Alors que l’islam se veut le rétablissement de la religion patriarcale toujours valable et refuse tout autre type de monothéisme que le sien, le christianisme enseigne qu’il y eut un progrès dans la révélation […], mouvement spirituel qui atteindra son sommet avec le Christ […]. Le plus juste ne serait-il pas de dire que Dieu, dans le Coran, est fondamentalement le Dieu de la théologie naturelle ? En outre, il s’est engagé dans l’histoire telle que le Coran la rapporte ; par miséricorde, il a pris l’initiative de guider l’homme, dans sa faiblesse, et de lui montrer comment canaliser ses passions pour accomplir le bien et éviter le mal […]. Le Coran n’admet pas que Dieu ait appelé l’homme plus haut que le niveau d’une théologie naturelle »107.

Comment ne pas remarquer alors une étrange connivence entre toutes ces opinions de penseurs chrétiens de traditions philosophiques et d’écoles théologiques fort diverses et ce qu’exprimaient les 38 « représentants de l’islam » de l’Académie de ‘Ammân dans leur Lettre ouverte à Benoît XVI en personne, du 16 octobre 2006, puis les 138 « personnalités musulmanes », rassemblées dans le cadre de la même Académie, dans leur Lettre adressée un an plus tard, le 13 octobre 2007108, à tous les responsables des diverses Eglises et communautés chrétiennes du monde entier ? Les premiers spécifiaient, en effet, au § 6 de leur Lettre qu’ « on ne saurait reprocher à Muhammad de n’avoir rien apporté de ‘fondamentalement nouveau’, puisqu’il avait pour mission de répéter le message primordial du pacte adamique : ‘On te répète seulement ce qui a déjà été annoncé aux Envoyés venus avant toi’ (41, 43), dit le Coran, qui ajoute : ‘Dis : Je ne suis pas un innovateur parmi les Envoyés’ (46, 9). La Lettre rappelle ainsi que, ‘selon le dogme musulman, tous les véritables prophètes ont prêché la même vérité à des peuples différents et en des temps différents. Les lois peuvent être différentes, mais la vérité est immuable ». Les auteurs de la Lettre des 138 allaient plus loin en lui donnant pour titre un verset du Coran, « Ô Gens du Livre, venez-en à une parole commune entre nous et vous » (3, 64) et en affirmant que le véritable monothéisme commun à tous consiste dans « le double amour de Dieu et du prochain », en référence aux affirmations répétées des Ancien et Nouveau Testaments et à quelques versets du Coran ou dits du Prophète de l’Islam. Cette auto-présentation de l’Islam s’avérait ainsi correspondre assez bien à la compréhension que les chrétiens de toutes tendances se font de la religion des musulmans. Le fait est que nombreux sont les penseurs et les théologiens musulmans qui affirment, aujourd’hui comme depuis toujours, que l’islam est la religion de la nature originelle, voire ontologique, et quelle est celle de la raison, ne comportant ni mystère ni surnaturel.


Conclusion

              L’approche chrétienne que l’on a tenté d’évoquer dans la variété des attitudes qui vont des plus minimales au plus maximales peut donc prendre en compte le meilleur de ce qu’ont pressenti ou déclaré les penseurs et les théologiens engagés dans le dialogue islamo-chrétien109. Ils sont nombreux et beaucoup se reconnaîtraient volontiers dans cette via media évoquée par le Père G. Anawati et ceux qui furent, avec lui, les premiers acteurs de ce même dialogue, surtout ceux dont les témoignages ont été rassemblés dans un livre récemment paru, qui a pour titre Christian Lives Given to the Study of Islam110. Tous, y compris L. Massignon et le Père Y. Moubarac, voient dans l’islam une « religion naturelle » qui correspondrait à la vertu morale naturelle de justice, laquelle a pour nom la vertu de religion quand il s’agit des rapports de justice entre la créature et son Créateur. Qui plus est, il s’agit d’un monothéisme qui reprend, à sa manière, le message essentiel du Dieu unique et transcendant de la tradition judéo-chrétienne, ce qui n’est pas sans grandeur. Et la méditation du Cardinal Journet permet d’en mesurer toute la valeur en même temps que les limites qui sont autant d’obstacles à la pleine révélation du Dieu de Jésus-Christ. Si cette « religion naturelle » est dite « ravivée par une révélation prophétique », encore faut-il bien s’entendre sur cette dernière expression plutôt ambiguë, car on ne saurait jamais considérer l’Islam comme partie intégrante de la « révélation biblique ». Mais qu’en serait-il alors de Mahomet et du Coran ? Les historiens s’interrogent encore beaucoup sur le Prophète de l’Islam, sa personnalité, sa sincérité et son authenticité, et certains théologiens lui reconnaîtraient même, avec le Père Robert Caspar, un charisme, intellectuel ou pratique, temporaire ou définitif, qui lui garantirait une certaine mission de type prophétique au sens large. Le fait est que le Coran s’exprime en un langage biblique qui semble faire de lui une paraphrase des livres des deux Testaments, surtout en leur partie sapientielle, tout en évoquant l’exemple de soumission (islâm) de 21 personnages bibliques parmi les 25 prophètes dont il parle en ses 114 sourates. C’est donc une partie de l’enseignement révélé de la Bible qui se trouve ainsi repris et réinterprété au minimum par le Coran et la Tradition de l’Islam, lequel se présente essentiellement comme une « religion prophétique », voire « mono-prophétique » puisque la place de Muhammad y est primordiale. Par là même, une certaine vie spirituelle lui est offerte pour être transmise, ainsi « ravivée », à ceux et à celles qui y adhèrent en toute bonne foi. Et voilà qui laisse le champ libre aux théologiens pour se prononcer plus ou moins positivement sur les chances que l’Islam offre ainsi, par son enseignement, aux musulmans de toutes sensibilités pour qu’ils répondent aux sollicitations de l’ Esprit Saint en leur for interne en vue du salut qui leur est assuré en et par Jésus-Christ.

C’est là une approche qui, semble-t-il, ne saurait être taxée de syncrétisme ou de relativisme. Le Père Y. Moubarac le confessait lui-même, au cours d’une interview donnée à l’hebdomadaire La France catholique du 26 novembre 1971 : « Je ne crois pas que, dans l’optique de quelque religion que ce soit, on puisse parler de ‘deux’ Révélations ; la Révélation, si Révélation il y a, ne peut être qu’une, tout comme le dessein de Dieu sur le monde. D’où la prétention de toutes les grandes religions à l’universalité et la mission catholique de l’Eglise, dans le but de rassembler l’humanité dans l’obéissance à l’Evangile. D’où le grand problème actuel et tout au moins l’opposition apparente entre la mission, au sens classique du terme, et l’oecuménisme qui prétend s’en tenir au dialogue ». Comment voyait-il donc la recherche commune de la « vérité révélée » ? « La rencontre des religions, disait-il, est une convergence, chacune d’elles doit en être rendue plus transparente à elle-même et le plus fort ne sera pas celui qui aura rendu les autres a quia. L’avenir du christianisme, à mon avis, c’est d’agir précisément comme un ‘révélateur’ sur les autres religions, d’en être lui-même profondément influencé au sens où le disait Monchanin, à propos de la théologie de l’Esprit, et de proposer alors au monde croyant une image où tout homme, quelle que soit sa foi ou son incrédulité, finisse par se reconnaître en confessant Dieu ». C’est bien dans cette perspective qu’il convient alors de relire les textes de Vatican II (Lumen Gentium, § 16, et Nostra Aetate, § 3) et ceux du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, ainsi que le discours de Jean-Paul II à Casablanca, le 19 août 1985. N’y disait-il pas que « nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie les valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu […]. La loyauté exige aussi que nous reconnaissions et respections nos différences. La plus fondamentale est évidemment le regard que nous portons sur la personne et l’œuvre de Jésus de Nazareth. Vous savez que, pour les chrétiens, ce Jésus les fait entrer dans une connaissance intime du mystère de Dieu et dans une communion filiale à ses dons, si bien qu’ils le reconnaissent et le proclament Seigneur et Sauveur. Ce sont là les différences importantes, que nous pouvons accepter avec humilité et respect, dans la tolérance mutuelle ; il y a là un mystère sur lequel Dieu nous éclairera un jour, j’en suis certain. 3Chrétiens et musulmans, nous nous sommes généralement mal compris, et quelquefois, dans le passé, nous nous sommes opposés et même épuisés en polémiques et en guerres. Je crois que Dieu nous invite, aujourd’hui, à changer nos vieilles habitudes. Nous avons à nous respecter, et aussi à nous stimuler les us les autres dans les œuvres de bien sur le chemin de Dieu ».

Père Maurice Borrmans,  69110 Sainte Foy lès Lyon,

Texte français de sa « lectio magistralis » lue en traduction italienne abrégée à l’Université Urbaniana de Rome, le 27 octobre 2015, à l’occasion du « conferimento della Laurea honoris causa in Missiologia ».


1 Rome, PISAI, Collection « Studi arabo-islamici del PISAI », n° 12, 1998, Vol. l : Survol historique, 379 p., et Vol. II : Textes témoins, 398 p.

2 C’est-à-dire de 610-632 à 1453. C’était l’objet de sa thèse de doctorat de 3ème cycle en études islamiques à Paris IV-Sorbonne, soutenue en 1969, polycopiée, dont la Conclusion a été publiée dans sa Pentalogie islamo-chrétienne, Beyrouth, Cénacle libanais, 1972, tome 3, pp. 211-227. Pour mieux connaître la vie et l’œuvre de Youakim Moubarac, cf. Georges Corm, Youakim Moubarac, un homme d’exception, Beyrouth, Librairie Orientale, 2004, 568 p., et, par les soins de Jean Stassinet, Youakim Moubarac, Lausanne, Les Dossiers H, Editions L’Age d’Homme, 2005, 607 p.

3 C’est-à-dire de 1453 à nos jours. C’était l’objet de sa thèse de doctorat d’Etat en études islamiques à Paris IV-Sorbonne, soutenue en 1972 et publiée à Beyrouth, Publications de l’Université libanaise, 1977, XXII et 612 p., dont la Présentation est reprise dans sa Pentalogie islamo-chrétienne, tome 5, pp. 271-280.

4 Cf. aux pp. 523-555.

5 Cf. son article « Vers une théologie chrétienne des religions non chrétiennes », in Islamochristiana, 2 (1976), PISAI, Roma, pp. 1-57 : « La théologie dialectique protestante, pour laquelle foi et religion s’opposent, le péché pervertit radicalement l’homme et les religions sont le refus du salut, ou tout au moins radicalement impuissantes à y contribuer. Dans le sillage de ce courant s’inscrit de façon originale la pensée du théologien catholique Jean Daniélou. La théologie de l’« accomplissement », pour laquelle les religions non chrétiennes ne sont pas médiations de salut, mais peuvent être préparation à accueillir la révélation de l’unique histoire du salut, et trouver dans cet accueil leur accomplissement. La théologie de l’histoire spéciale et générale du salut, pour laquelle les religions non chrétiennes sont un élément fondamental de l’histoire générale du salut et sont, en tant que telles et par elles-mêmes, médiations de salut. La théologie de la « sacramentalité », pour laquelle les religions non chrétiennes ne font pas, ou pas pleinement, partie de l’unique histoire du salut, mais peuvent être médiations de salut en vertu des dispositions personnelles de leurs fidèles, non par elles-mêmes » (pp. 27-28).

6 Paris, Cerf, 2005, 1029 p. Il y sera fait référence sous le sigle Les Frères.

7 Paris, Geuthner, 2004, 462 p. Il y a sera fait référence sous le sigle Clercs.

8 Il confesse, en effet, qu’il y aurait bien des études complémentaires à faire quant à certains des penseurs qu’il a trop vite interrogés : Pascal, Voltaire, Renan, puis Grotius et Gibbon, Boulainvilliers et Carlyle, Forster et Newman, Lawrence d’Arabie et S.C. Chew, Pietro Della Valle et Varthema, etc… Quant aux « écrivains proprement religieux et qui se sont intéressés à l’Islam de près, écrit-il, nous distinguons deux sortes de penseurs. Ce sont ceux qui ont fait, bien qu’occasionnellement, métier de l’étudier, pour s’attacher ensuite, soit à le réfuter, soit à le défendre », ce qui lui permet d‘évoquer Vivès, Michel Nau, Michel Servet, de Lugo, Leibniz, et, parmi les contemporains, Toynbee, Americo Castro, Zaehner, Cuttat, René Guénon et Dermenghem, sans parler des nombreux penseurs arabes chrétiens par lui signalés. Et de faire alors une proposition : « Il y aurait une œuvre à la fois plus simple et plus conséquente à entreprendre : ce serait une sorte de Bibliander remis à jour. Et d’abord le Bibliander tel quel. On se sera rendu compte qu’en fait cette œuvre est une anthologie de la littérature médiévale européenne concernant l’Islam, augmentée des préfaces des grands Réformateurs et de l’éditeur lui-même […]. Mais il suffirait alors que le travail soit entrepris, pour que le regain certain de réflexion théologique sur l’Islam que nous enregistrons dans l’actualité, puisse repartir sur de nouvelles bases. Il se passerait pour l’ensemble de cette réflexion ce qui s’est passé dans notre propre cas. Après un essai de réflexion personnelle sur l’Islam, que nous avons voulu reporter sur l’oeuvre de Massignon, estimée révolutionnaire en la matière, comme aux Textes de Vatican II, documents absolument originaux pour la pensée chrétienne à ce sujet, nous avons voulu assortir notre réflexion d’un simple status questionis qui n’était dans notre estimation qu’un préliminaire. Le préliminaire est devenu depuis lors essentiel et l’analyse historique, nécessaire à toute réflexion ultérieure ».


9 « On voit, ajoute ici l’auteur, qu’on suivrait sur cette piste tout ce qui a pu être dit au moins depuis Abélard sur l’Islam entendu comme une position philosophique et pouvant de ce fait être assimilé à une sorte d’alliance primitive ou d’Economie de la Nature ».

10 C’est toute la p. 535 qu’il conviendrait de lire ici à propos du fondateur de l’Islam, dont la sincérité est plus particulièrement reconnue (cf. R. Arnaldez et son Mahomet ou la prédication prophétique (présentation, choix de textes, bibliographie), Paris, Seghers, 1970, 187 p. (rééditions 1975 et 1979).

11 Le premier « reconnaît à l’Islam non seulement un rôle auprès des nations païennes, mais sur le Christianisme lui-même » ; le second considère que l’Islam aura été « comme le propagateur d’une doctrine religieuse et morale non seulement révélée à Moïse, mais encore proposée par Jésus (Economie de la Nature) » ; le troisième « reconnaît à l’Islam tant philosophique que mystique, et tous deux profondément religieux et orthodoxes, une exemplarité singulière dans l’édification de la chrétienté » ; le quatrième voit dans l’Islam un « retour à un Judaïsme exclusivement sémitique ».

12 Extrait par Y. Moubarac du livre du Père de Menasce, Permanence et transformation de la mission, Paris, Cerf, 1967, 192 p., aux pp. 120-122, et reproduit en sa thèse aux pp. 543-544.

13 Il s’agit d’un document dactylographié de 16 p., qui a pour titre « L’islam » et qui semble être une reprise, plus élaborée, de sa communication aux Journées Romaines de septembre 1960. Pour celles-ci, cf. Maurice Borrmans, « L es ‘Journées Romaines’ et le dialogue islamo-chrétien », in Islamochristiana, Roma, PISAI, 30 (2004), pp. 111-122. « Mais, constate Y. Moubarac, ce texte est précédé d‘un autre sous l’interrogation : Qui est membre de l’Eglise ? et ces deux réflexions spécialisées se réfèrent à deux visions plus vastes, l’une spirituelle, dans des Entretiens sur la grâce, et l’autre proprement théologique, puisqu’il s’agit de cette véritable somme que constitue la Théologie du Verbe Incarné » (p. 545).

14 Cf. p. 545 de la thèse et p. 14 du document « L’islam ». Et le cardinal de préciser, à la même page : « Le contenu du message, nous venons de le dire, c’est la notion du Dieu unique et transcendant, manifesté originairement à Abraham dans la lumière prophétique de la révélation biblique, mais devenue, dans le miroir déformant d’une méprise commune à Israël et à l’Islam, antitrinitaire et antichrétienne. Ce n’est pas une simple notion philosophique de Dieu, c’est une notion religieuse primitivement révélée, - et qui garde un puissant prestige, - qui est ainsi saccagée » (pp. 545-546 de la thèse).

15 Cf. p. 15 du document « L’islam » et pp. 547-548 de la thèse.

16 Et son étude Le messsianisme chez les Juifs, 150 a.C. à 200 ans après, Paris, Gabalda, 1909, ici cité par Y. Moubarac en sa p. 308.

17 Cf. Journal de Raïssa, p. 345. D’où l’étrange conclusion du Cardinal : « Aujourd’hui l’Islam couvre le cinquième de l’humanité. C’est une bénédiction, si l’on pense aux peuples qui, sans cela, pourraient être animistes, polythéistes, panthéistes, surtout athées. C’est une tristesse, si l’on pense aux peuples qui, sans cela, pourraient être chrétiens. Redisons ici la parole d’il y a un instant : Dieu sait ce qu’il permet » (p. 16 du document « L’islam » et p. 548 de la thèse).

18 « L’Islam n’est pas né d’un influx juif » est-il alors affirmé à la p. 549 de la thèse , contre les thèses de Zacharias, et « on ne considère plus alors l’Islam comme un ismaélitisme », car il relève d’un « abrahamisme fondamental » (« connaturalité du Prophète arabe avec Abraham »).

19 Aux pp. 39-56 d’un numéro spécial (n° 116) de cette revue internationale de théologie, intitulé Chrétiens et musulmans, après y avoir présenté, avec Guy Harpigny, « L’Islam dans la réflexion théologique du christianisme contemporain » (pp. 28-38).

20 Pour le bien connaître en sa vie et son œuvre, cf. Jean Morillon, Massignon, Ed. Universitaires, 1964, 126 p. ; Pierre Rocalve, Louis Massignon et l’Islam, Institut Français de Damas, 1993, 208 p. ; Christian Destremau et Jean Moncelon, Massignon, Paris, Plon, 1994, 449 p. ; Maurice Borrmans, Prophètes du dialogue islamo-chrétien : L. Massignon, J.-Md Abd-el-Jalil, L. Gardet, G.C. Anawati, Paris, Cerf, 2009, 257 p. ; ses études et ses articles ont été rassemblés par les soins de Youakim Moubarac, in Opera Minora, Beyrouth, Dar al-Maaref, 1963, 3 vol., 2193 p. et 115 pl., et par ceux de Christian Jambet et de ses collaborateurs, in Ecrits mémorables, Paris, Laffont, 2009, 2 vol., I, 926 p., et II, 1015 p.

21 Louis Massignon, Examen du ‘Présent de l’homme lettré’ par Abdallah Ibn al-Torjoman (suivant la traduction française parue dans la Revue de l’Historie des Religions, 1886, tome XII), Rome, PISAI, 1992, 134 p.

22 Cf. p. 38. Cette apologétique musulmane, y poursuit-il, «  se montre littérale et destructrice, tandis que l’apologétique chrétienne est réelle et vivifiante […]. Son seul but est de faire retrouver aux intelligences l’évidence de la foi en les faisant accéder au texte d’un livre. Elle n’a pas à en spécifier le sens, ni pour les dogmes à définir, ni pour les vertus à pratiquer. Elle en tire simplement quelques règles juridiques pour le gouvernement extérieur de la société ; attentive aux intelligences seules, elle tolère avec indulgence les misères habituelles de la chair, les fautes cachées qui ne provoquent pas de désordres publics. Elle ne scrute pas les consciences. Elle exige le moins possible, car la révélation n’apporte à l’intelligence qu’une évidence naturelle et ne promet au corps qu’une récompense limitée » (pp. 39-40).

23 Cf. p. 42. L. Massignon dit encore, à ce sujet : « Le Qoran est supérieur à Mohammed : l’essentiel de toute réédition du message divin, rappelant aux hommes cette religion naturelle qui doit orienter tous les actes de leur nature comme un instinct d’ordre social, n’est pas de montrer, par un exemple personnel et vivant, comment pratiquer la Loi, mais d’en rappeler les sanctions […]. L’apologétique musulmane présente le Qoran comme le texte authentique de la Loi divine positive, qu’elle considère comme fixée dès le début ne varietur pour tous les peuples, notamment par la loi mosaïque. Elle conçoit la révélation mosaïque comme une simple réédition de la révélation primitive, destinée à tous les peuples » (pp. 44-46).

24 Cf. p. 47. Car, précise ici L. Massignon, « toute raison humaine, de droit naturel, peut déchiffrer elle-même, du premier coup, et énoncer tout le code de la loi naturelle, Décalogue du Sinaï, ou Sermon sur la Montagne, en commençant par son premier article, réduit, puisqu’il s’agit d’un acquiescement intellectuel pur, au shemâ Israël, au devoir d’énoncer l’unité divine. Et ce premier article est le seul indispensable pour la béatitude éternelle. La révélation coranique rappelle à tous les hommes qu’ils portent gravée, dans leur raison, la loi naturelle, qui leur est nécessaire et suffisante ». Il s’ensuit donc « qu’en Islam Dieu est inconnaissable en son essence et que tout ce qu’Il demande à l’homme, c’est d’accepter les termes révélés qui décrivent les attributs divins, sans y chercher un moyen de le comprendre, et de pratiquer dans toute sa vie la Loi révélée qui exprime Ses ordres, sans y chercher un moyen de s’unir à Lui. La question de savoir ce que Dieu est en Lui-même ne doit pas être posée » (p. 47).

25 Cf. p. 60. Et L. Massignon d’ajouter : « L’Islam a voulu prouver, contre le judaïsme, que la Loi de Moïse était bonne pour tous les peuples et tous les temps, et que, pour l’observance de ses règles rigoureuses, la foi suffisait […]. L’Islam a voulu établir, contre l’Eglise, que l’amour n’était voulu de Dieu que pour les hommes entre eux, que c’était chose trop prostituée parmi eux pour que Dieu voulût être aimé d’eux pour Lui-même à jamais. Il a voulu exclure de la béatitude des élus toute vision intuitive de l’essence divine, et de leur sainteté toute union transformante, réduire enfin leur éternité au contentement de la chair et à la pensée pure de l’intelligence ; c’est l’enfer, avec la peine du dam, sans la peine des sens » (p. 60).

26 Le texte définitif des Trois prières d’Abraham a été publié intégralement par les soins de Daniel Massignon en janvier 1998, aux Editions du Cerf, à Paris (196 p.) et c’est à lui qu’il est ici renvoyé. La Prière sur Sodome fut tirée à 110 exemplaires de 32 p., Ed. Chirat, en 1930, et connut une 2ème édition corrigée, polycopiée, de 24 p., à Paris, en 1949. L’Hégire d’Ismaël fut publiée à Tours, en 1935, à 300 exemplaires, de 73 p., et Le Sacrifice d’Isaac ne fut pas publié à part. On sait que les trois prières furent ensuite publiées, sous forme très abrégée, dans la revue Dieu vivant, Cahier 13, Paris, Seuil, 1949, pp. 13-28.

27 Cf. p. 140.

28 Cf. p. 107.

29 Cf. p. 141.

30 Cf. p. 107

31 Cf. p. 97.

32 Cf. 105.

33 Cf. Michel Hayek, « Louis Massignon face à l’Islam », pp. 188-199, in Cahier de l’Herne, Louis Massignon, cahier dirigé par Jean-François Six, Paris, 1970, 520 p. et 18 pl.

34 Car, écrit-il encore, « pour être un prophète ‘faux’, il faut prophétiser positivement à faux. Une prophétie positive est généralement choquante pour l’entendement, étant un renversement prédit des valeurs humaines. Mais Mohammed, qui a cru de façon effrayante à ce renversement total, ne peut être qu’un prophète négatif, il l’est bien authentiquement. Il n’a jamais prétendu être un intercesseur ni un saint, mais il a affirmé qu’il était un Témoin, la Voix qui crie, dans le désert, la séparation des bons et des mauvais, le Témoin de la séparation ».

35 Paris, n° 3, 1948-1949, pp. 7-16. C’est ainsi que L. Massignon y précise : « Il faut nous souvenir que les musulmans n’ont pas encore reçu de Dieu toutes les grâces privées ou sacramentelles dont les chrétiens détiennent le redoutable privilège. Redoutable, s’ils en mésusent en méprisant les musulmans à qui Dieu ne les a pas données. L’Islam rappelle à la chrétienté et à Israël que le potentiel d’intercession des noms de leurs prophètes et de leurs saints demeure accessible à tous et n’est pas monopolisable par leur égoïsme au service de leurs privilèges. L’Islam a aussi le droit d’invoquer Moïse, comme Maître de la Suprme Extase et Marie de Nazareth comme ‘Conception Immaculée’».

36 Paris, La Colombe, 1958, 150 p. C’est à la p. 59 que la lettre de L. Massignon est reproduite.

37 Pour sa vie et son œuvre, cf. surtout Jean-Jacques Pérennès, Georges Anawati (1905-1994), Un chrétien égyptien devant le mystère de l’islam, Paris, Cerf, 2008, 366 p.

38 Cité par Dominique Avon, in Les Frères, p. 612.

39 Intitulée « L’Islam à la croisée des chemins : impasse ou espoir ? », 15 novembre 1985, pp. 26-27 du tiré-à-part, Editions universitaires de Fribourg, reprises du livre de D. Avon, Les Frères, p. 948.

40 Nombreuses sont les études et les publications qui ont été éditées à son sujet. Qu’il suffise de citer ici, entre autres, Jacques Dupuis, Jésus Christ à la rencontre des religions, Paris, Desclée, 1989, 343 p. et Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, 1997, 655 p. ; Mariano Crociata (ed.), Per un discernimeno cristiano sull’islam (storia e teologia), Roma, Città Nuova, 2006, 208 p. ; Massimo Rizzi, Per un discernimento cristiano dell’islam, Genova-Milano, Marietti, 2008, 203 p. ; Karl J. Becker & Ilaria Morali, Catholic Engagement with World Religions, New York, Orbis Books, 2010, 605 p. ; Michel Younès, Pour une théologie chrétienne des religions, Paris, Desclée de Brouwer, 2012, 250 p. 

41 La place manque ici pour analyser la relation qu’il y aurait, chez certains, entre ce choix et leur regard théologique sur l’islam. On pourrait affirmer, avec Mgr Dorra Haddâd, que l’Islam naissant serait le rejeton d’une secte judéo-chrétienne sans que cela ne mette en cause tous les efforts de dialogue entrepris depuis Vatican II, mais à vouloir mettre au centre du dialogue la thèse même du Père Gallez qui tend à prouver que l’Islam est « une dérive du judéo-christianisme primitif » (cf. son livre Le Messie et son prophète. Aux origines de l’islam), on voit mal comment on pourrait alors « dialoguer » dans le sens souhaité par le même Concile.

42 Paris, Calmann-Lévy, 1996, 224 p. Sa Préface commence ainsi : « Les trois tentations dans l’Eglise dont je veux parler sont la tentation antidémocratique, la tentation démocratique, la tentation de l’islam […]. Il est possible de décrire la première tentation, car nous disposons d’un certain recul historique. La deuxième est problématique, parce que la démocratie est un phénomène riche, mystérieux, que nous y sommes immergés, que nous ignorons où elle nous mène […]. Sur la troisième, l’attrait de l’islam, je ne risque que des hypothèses ». Pour lui, cette « tentation de l’islam » était ainsi analysée (pp. 149-222) : « 1. Trois approches types : Saint Jean Damascène ou l’incompatibilité, Manuel II Paléologue ou les trois lois, Nicolas de Cues ou la recherche du point sublime ; 2. Statut de l’islam : L’islam comme religion révélée, L’Islam comme religion naturelle, Mutilation, l’une par l’autre, de la nature et de la révélation ; 3. Dans la France contemporaine : L’école de la concordance, De propaganda fede islamica, L’attirance pour l’islam, Les voies de la conversion, Le bon angle ».

43 Cf. son article « L’islam », in Commentaire, Paris, n° 107, automne 2004, pp. 589-596, où il reconnaît que « la difficulté et la gêne qu’éprouvent les chrétiens et les juifs pour le (l’islam) ranger dans le groupe des religions naturelles viennent de ce qu’il professe croire en un seul Dieu, éternel, tout-puissant, créateur, miséricordieux. Ne reconnaît-on pas alors la première des Dix Paroles adressées à Moïse, le premier commandement ? »

44 C’est le mot avoir qui manque dans le Catéchisme, celui qui justement insiste sur l’aspect subjectif musulman de cette foi, ce qui n’est pas sans importance du point de vue théologique.

45 Critiquable donc du point de vue chrétien, elle l’est aussi « du point de vue musulman, puisque pour celui-ci « Abraham est déjà musulman, au même titre qu’Adam, Noé, Moïse et Jésus. Bien loin que Mahomet ait eu la foi d’Abraham, c’est Abraham qui a eu la foi de Mahomet ».

46 Paris, Salvator, 2012, 222p. Cf. notre recension détaillée in Islamochristiana, PISAI, Roma, 38 (2012), pp. 344-347.

47 Le Messie et son prophète. Aux origines de l’Islam, Editions de Paris, 2005, tome I : De Qumrân à Muhammad, 524 p. ; tome II : Du Muhammad des califes au Muhammad de l’histoire, 582 p. Cf. la recension qu’en a faite Valentino Cottini in Islamochristiana, PISAI, Roma, 32 (2006), pp. 324-326.

48 A savoir : « L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ». Ce paragraphe ne serait donc valable que pour les « religions pré-chrétiennes ».

49 Comme il le laisse entendre en son article « Influence de Massignon et impasses islamologiques », in Liberté politique (La nouvelle revue d’idées chrétienne), n° 54, sept. 2011, pp. 107-120.

50 Paris, L’oeuvre, 2007, 208 p. Dans sa recension du livre (in Islamochristiana, 34 (2008), pp. 309-311), Etienne Renaud fait observer qu’il manque « à l’auteur quelque chose de fondamental : un minimum de sympathie, et même d’empathie pour l’islam […], cette conviction que, dans l’islam, les croyants peuvent faire une profonde expérience de Dieu, et cela dans un contexte doctrinal très différent de la foi chrétienne ».

51 Paris, L’œuvre, 2011, 140 p. En huit chapitres, l’auteur y démontre la différence essentielle qui existe entre christianisme et islam, qu’il s’agisse d’alliance biblique, d’auteur inspiré, de continuité testamentaire, d’accueil de la raison, de tradition interprétante, de contenu révélé, de clôture de la révélation et d ‘un « après » celle-ci. Ce faisant, F. Jourdan n’y considère qu’un « islam essentialiste » alors que les textes de l’Eglise envisagent d’abord l’expérience religieuse du musulman sincère.

52 A le bien entendre, « non seulement les islamologues et les exégètes se contredisent entre eux, mais un même auteur peut (parfois) se contredire comme le pape lui-même, ou évoluer comme le père Geffré […], que peut penser alors le non-spécialiste troublé dans sa foi devant pareille cacophonie et incohérence des spécialistes ».

53 C’est le sous-titre de son livre Au moyen du Moyen Âge, Paris, Ed. de la Transparence, 2006,

54 Paris, Flammarion, 2008.

55 Avec Jean-Pierre Batut, Paris, Salvator, 2011.

56 Pais, Cerf, 2014, 352 p. Et l’Introduction d’ajouter, à propos du « climat de tension entre une grande sollicitation du côté chrétien et la tendance à la raideur du côté musulman » et des « glissements intellectuels » et des « compromissions » théologiques : « Si les thèmes classiques de la confrontation entre islam et christianisme demeurent vivaces dans les pays musulmans, et par voie de conséquence dans une bonne partie de la population musulmane immigrée en Occident où ils nourrissent une polémique revendicative, seuls quelques-uns de ces thèmes peuvent être repris tels quels du point de vue chrétien actuel (la question de la Parole de Dieu, celle de la falsification des textes, etc.), ce qui n’exclut pas, néanmoins, certains éclairages nouveaux apportés par les développements exégétiques et théologiques ».

57 C’était le début du titre de son livre, précisé par (Réflexions chrétiennes sur la religion de Mahomet), publié à Versailles, Ed. Saint-Paul, 1996, 286 p., titre qui fut repris tel quel par les Actes d’un colloque de l’AED, publiés à Paris, en 2010, 187 p. (cf. leurs recensions in Islamochristiana, respectivement 23 (1997), pp. 285-287) et 36 (2010), pp. 429-431).

58 Publiées sous la direction d’Anne-Marie Delcambre, Joseph Bosshard et alii, Paris, Desclée de Brouwer, 2004, 326 p. Le Père Antoine Moussali (1921, Antoura - 2003, Amiens), lazariste libanais, a longtemps enseigné, servi et rayonné à Damas, à Alger et en France, dans le cadre du dialogue entre chrétiens et musulmans. Cf. ses livres La Croix et le Croissant : le christianisme face à l’islam, Ed. de Paris, 1997, 118 p., Judaïsme, Christianisme et Islam : étude comparée, Ed. de Paris, 2000, 492 p. et Sept nuits avec un ami musulman, Ed. de Paris, 2001, 159 p. (et leurs recensions in Islamochristiana, respectivement 24 (1998), pp. 255-257, 26 (2000), pp. 284-285, et 28 (2002), p. 314.

59 Paris, Ed. de l’Atelier, 2009, 190 p., avec la collaboration de Eglantine Gabaix-Hialé. Cf. la recension qu’en fait Giuseppe Scattolin in Islamochristiana,35 (2009), pp. 343-347. Fondateur de la communauté œcuménique de Deir Mar Moussa en Syrie, le Père Paolo, jésuite, était docteur en théologie avec une thèse sur L’espérance en Islam (1990).

60 « L’expérience de Muhammad, affirme-t-il, est celle d’une personne croyante dans le Dieu unique qui a exercé une fonction, au moins du point de vue phénoménologique, prophétique. Il a donné naissance à une innombrable communauté croyante qui eut ainsi accès à la foi dans le Dieu unique et miséricordieux par la brûlure de l’âme du Prophète, par sa vocation, par son itinéraire existentiel, qu’on ne peut jamais séparer du récit coranique » (pp. 101-102).

61 Paris, Ed. de la Colombe, 1956, 178 p. Cf. ces lignes significatives : « Nous découvrons le sens mystérieux de la vocation d’Ismaël : De Marrakech à Sumatra, il ceinture le monde athée… Si l’Eglise de Jésus doit remettre le glaive au fourreau et accepter le martyre, telle n’est pas la condition d’Ismaël qui ne saurait rengainer sans trahir ».

62 Cf. tout ce qui Dominique Avon du chanoine Ledit, in Les Frères, pp. 853-854.

63 Essai d’interprétation du Coran inimitable, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1967, 1087 p., avec une Préface par Jean Grosjean qui n’hésite pas à y dire que « le texte coranique est un sacrement : il apporte la grâce de le croire. Sa naissance fut un miracle » et que « les chrétiens (du Moyen Orient), se souvenant de ce que Rome leur avait infligé au nom du culte impérial, puis au nom des dogme occidentaux, regardèrent le triomphe de l’Islam comme une revanche de Dieu ». Cette traduction du Coran a été plusieurs fois éditée avec le texte arabe en vis-à-vis, par Dar al-kitab allubnani, Beyrouth, « revue par Dr. Sobhi El-Saleh », ainsi en 1977, 889 p. (français) et 889 p. (arabe), et LXIV p. de notes. Certains trouvent cette traduction très « christianisante ».

64 Paris, Adrien Maisonneuve, 1958, 2 vol., 830 p., réédité et corrigé sous le titre Monothéisme coranique et monothéisme biblique (Doctrines comparées), Paris, Desclée de Brouwer, 1976, 821 p.

65 San Domenico di Fiesole, Ed. Cultura della Pace, 1992, 358 p. Ce livre ne faisait que reprendre, préciser et finaliser les précédents, The Koran in the Light of Christ (Islam in the plan of History of Salvation), Chicago, Francican Herald Press, 1977, 223 p. ; Maria e Gesù, figlio di Maria, nel Corano, Palermo, Ila Palma, 1989, 218 p. Le Père Giulio a également publié de nombreux livres sur Saint François d’Assise, l’islam et les musulmans, considérant le dialogue islamo-chrétien comme étant le premier charisme des franciscains (à cause de Damiette et de L’Alverne).

66 Roma, Ed. Borla, 2008, 323 p.

67 Le travail sérieusement continué pendant plus de 25 ans par le Groupe de Recherches Islamo-Chrétien (GRIC) mérite d’être signalé pour l’exemplarité de sa méthode et la qualité de ses apports, puisqu’il a su rassembler des universitaires chrétiens et musulmans de Tunis, Rabat, Paris et Beyrouth, pour des études poursuivies ensemble et synthétisées en des publications qui sont désormais autant d’ouvrages de référence.


68 Cf. Islamochristiana, PISAI Rome, successivement, 5 (1979, pp. 289-290) ; 6 (1980), pp. 228-230 ; 7 (1981), pp. 246-247 ; 8 (1982), pp. 238-239 ; 9 (1983), pp. 265-266 ; 10 (1984), pp. 213-215 ; 11 (1985), pp. 220-221) ; 12 (1986), pp. 204-206 ; 13 (1987), pp. 198-200 ; 14 (1988), pp. 283-285 ; 15 (1989), pp. 208-210 ; 16 (1990), pp. 233-235 ; 17 (1991), pp. 214-215 ; 18 (1992), pp. 258-259 ; 19 (1993), pp. 244-245 ; 20 (1994), pp. 226-227 ; 21 (1995), pp. 167-168 ; 22 (1996), pp. 225-226 ; 23 (1997), p. 187 ; 24 (1998), pp. 150-151 ; 25 (1999), pp. 192-193 ; 28 (2002), pp. 185-186 ; 29 (2003), pp. 219-220 ; 30 (2004), pp. 197-198 ; 32 (2006), pp. 247-248 ; 33 (2007), pp. 208-209 ; 34 (2008), pp. 221-223 ; 37 (2011), pp. 191-192.

69 Paris, Centurion, 1987, 159 p. ; en anglais, The Challenge of the Scriptures : The Bible and the Qur’ân, New-York, Orbis Book, 1989, 104 p., en italien, Bibbia e Corano: Cristiani e Musulmani di fronte alle Scritture, Assisi, Citadella, 1992, et en arabe al-Kutub al-samâwiyya allatî tusâ’ilu-nâ, Tarâbulus, Lubnân, Markaz al-dirâsât al-masîhiyya l-islâmiyya, Jâmi‘at al-Balamand, 2004.

70 Paris, Centurion, 1993, 325 p.

71 Paris, Bayard/Centurion, 1996, 265 p., qui développait un article documenté du GRIC, « Etat et religion » publié dans Islamochristiana, PISAI, Rome, 12 (1986), pp. 49-72.

72 Paris, Bayard, 2000, 261 p.

73 Paris, L’Harmattan, 2003, 390 p.

74 Cf. Robert Caspar, « Le Groupe de Recherches Islamo-Chrétien (GRIC) », in Islamochristiana, PISAI, Rome, 4 (1978), pp. 175-186. La « Charte » du GRIC y est fournie en sa version française : pour sa version anglaise, cf. Islamochristiana, 6 (1980), pp. 230-233, et pour sa version arabe, cf. Islamochristiana, 10 (1984), pp. 20-24.

75 Cf. Islamochristiana, PISAI, Rome, 19 (1993), pp. 117-124.

76 Cf. Islamochristiana, PISAI, Rome, 28 (2002), pp. 13-33, après avoir formulé un « Appel du GRIC : Le dialogue islamo-chrétien, une nécessité et une aventure » au lendemain du 11 septembre 2001, in Islamochristiana, 28 (2002), pp. 186-187.

77 « Si nous croyons que Dieu nous a parlé en Jésus-Christ, précise-t-il, comment pourrions-nous admettre une autre Parole par Dieu qui ne serait pas conforme à cette Parole fondatrice de notre foi ? ‘Dieu ne peut se contredire’ ».

78 Pour lui, il y a aussi « deux autres degrés de relativité (ce qui est tout autre que le relativisme) : « D’une part, si l’Ecriture est close pour les chrétiens, son sens n’est pas totalement dévoilé. Il ne le sera qu’à la fin des temps. D’autre part, sur la communication de la Parole de Dieu par l’Ecriture chrétienne pèsent des éléments relativisant propres à toute communication en langage humain ».


79 Dans « le cas du Coran », précise R. Caspar, il y a indubitablement une « expérience profonde de Dieu ». Et « le contenu du message délivré » est « l’unicité du Dieu transcendant », « lointain et proche » tout à la fois, dont la Seigneurie est universelle. Quant aux affirmations anti-chrétiennes du Coran, « on a remarqué depuis longtemps que les formulations des dogmes ainsi niés ne sont pas celles de la foi orthodoxe et ne sauraient l’atteindre. Certains ont été jusqu’à dire que la négation de fausses formulations serait implicitement l’affirmation des vraies ». Sans aller jusque-là (« l’unicité du Dieu transcendant selon la conception coranique entraîne le refus du Dieu incarné et le refus du Dieu un et trine »), on pourrait dire que « nous sommes en présence d’une foi commune au Dieu unique et transcendant, mais selon deux conceptions du monothéisme différentes et inconciliables ». Il est alors inutile de s’interroger sur les sources, car « aucun texte ne s’explique par ses sources, mais par l’emploi qu’il en fait dans la perspective et avec l’accent qui lui sont propres ».


80 R. Caspar lui-même, en 1960, « situait le Coran comme une révélation, non pas ‘constitutive’ du dépôt révélé, clos à la mort du dernier Apôtre, ni ‘explicative ex officio’, ce qui est le rôle du Magistère, ni au sens propre ‘explicative ex spiritu’, comme c’est le cas des grands inspirés à l’intérieur de l’Eglise, mais dans un sens ‘analogue’, étant situé à l’extérieur du christianisme, et ‘partiel’, pour la part de vérité qu’il contient ». Mais en 1987, il concède qu’« il n’y a pas d’objections à faire à ces attitudes classiques, mais on peut se demander si elles rendent bien compte de l’unité du Coran, si elles ne le découpent pas trop en tranches […] et si elles ne favorisent pas une ‘théologie de l’exclusion’ ». Il s’avère que cette « approche classique » correspond à la via media dont parlait le père Anawati et semble inspirer beaucoup des chrétiens actuellement engagés dans le dialogue islamo-chrétien, comme on s’en rendra compte un peu plus loin.

81 Comme ce fut le cas lors du Colloque islamo-chrétien de Carthage, en 1979, sur les Sens et niveaux de la révélation. Il devait développer plus tard sa réflexion sur le sujet dans son ouvrage intitulé De Babel à Pentecôte. Essais de théologie interregieuse, Paris, Cerf, 2006, 365 p.


82 Cf. pp. 152-155 de Ces Ecritures qui nous questionnent (La Bible et le Coran), Paris, Centurion, 1987, 159 p.

83 Cf. Le dialogue interreligieux dans l’enseignement officiel de l’Eglise catholique (du Concile Vatican II à Jean Paul II (1963-2005), Documents rassemblés par Mgr Francesco Gioia, Editions de Solesmes, 2006, 1700 p.

84 La consultation régulière du Bulletin du Secrétariat pour les Non Chrétiens devenu le Pro Dialogo du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, de la revue Islamochristiana du PISAI de Rome, des Mélanges de l’IDEO du Caire, de Chemins de dialogue de l’ISTR de Marseille, des divers documents relevant de Se Comprendre (Paris), Encounter, (PISAI, Rome), Cibedo (Frankürt), etc…nous en illustre le contenu globalement « médian ».

85 Cf. Maurice Borrmans, «Aux origines du Conseil Pontifical pour ler Dialogue Interreligieux », pp. 129-145, in Mission in Dialogue, Essays in Honour of Michael L. Fitzgerald, Edited by Catarina Belo and Jean-Jacques Pérennès, Les Cahiers du MIDEO -5-, Louvain-Paris, Peeters, 2012, 244 p. 

86 Roma, Editrice « Ancora », 1969, 161 p., oeuvre conjointe des Pères Joseph Cuoq et Jean-Mohammed Abd-el-Jalil ainsi que de Louis Gardet, qui connut aussitôt des traductions en anglais, en espagnol et en italien.

87 En 1981, sous le même titre, par Maurice Borrmans, Paris, Cerf, 191 p., avec traductions en allemand, en néerlandais, en arabe, en turc, en anglais et en italien.

88 Cf. son article « Islam et Occident, choc de théologies ? » in MIDEO 24 (2000), pp. 347-378, et ses livres Islam… étrange ?, Paris, Cerf, 2000, 320 p., L’Islam, ennemi naturel ?, Paris, Cerf, 2006, 301 p. et Islam, Friend or Foe ?, Louvain-Paris, Peeters-W.B.Eerdmans, 2008, 267 p.

89 Paris, Seuil, 2013, 702 p., édité par Michon Cyrille et Moreau Denis.

90 Paris, Ellipses, 2009, 359 p.

91 Cf. Annunziata di Gesù, Charles de Foucauld et l’islam, Bose-Magnano, Ed. Qiqajon, 2005, 260 p. et la thèse pour le Doctorat d’Etat (Paris-Sorbonne) de Louis Kergoat, Charles de Foucauld et l’islam : politique et mystique, 1988, polycopié, vol. I : 229 p., vol. II : 207 p.

92 Respectivement Paris, Centurion, 1984, 216 p. et .Paris, Desclée de Brouwer, 2002, 228 p.

93 Respectivement Zamboanga City (Philippines), Silsilah Publications, 1992, 245 p. et Paris, Bayard, 2005, 216 p.

94 Respectivement Paris, L’Harmattan, 2007, 221 p. et Paris, Nouvelles Editions Latines, 2013, 181 p.

95 Roma, Città Nuova, 2006, 208 p.

96 Paris, Cerf, 2006, 365 p.

97 Beyrouth, Presses de l’Université Saint-Joseph, 2010, 223 p.

98 Paris, Desclée de Brouwer, 2012, 247 p.

99 Paris, Ed. de l’atelier, 2004, 189 p.

100 Genova, Marietti, 2001, 146 p.

101 Respectivement Paris, Editions Franciscaines, 1996, 254 p. et Paris, Editions Franciscaines, 2014, 244 p.

102 New York, Orbis Book, Maryknoll, 2010, 214 p.

103 Cf. ma Préface (pp. 7-28) à la 2ème édition de ses Aspects de la pensée musulmane, Paris, Vrin, 2015, pp. 7-28.

104 Dans son introduction à Islam, civilisation et religion, cahier n° 51, Recherches et débats du Centre Catholique des Intellectuels Français, juin 1965, Paris, A. Fayard, p. 7.

105 Cf. Maurice Borrmans, Prophètes du dialogue islamo-chrétien : Louis Massignon, Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, Louis Gardet, Georges C. Anawati, Paris, Cerf, 2009, 257 p. : respectivement pp. 7-44, 5-74, 75-112, 113-248, et Louis Gardet (1904-1986), philosophe chrétien des cultures et témoin du dialogue islamo-chrétien, Paris, Cerf, 2010, 370 p.

106 Ibidem, p. 97.

107 Cf. tout ce qu’il dit dans la Conclusion de son livre, Dieu et l’homme dans le Coran, l’aspect religieux de la nature humaine joint à l’obéissance au Prophète de l’islam, Paris, Cerf, 1996, 240 p.

108 Cf. les chapitres qui leur sont consacrés in Maurice Borrmans, Dialoguer avec les Musulmans : une cause perdue ou une cause à gagner ?, Téqui, 2011, 325 p., ainsi que les dossiers dûment constitués et publiés in Islamochristiana, 32 (2006), Dossier Regensburg, pp. 273-297, et 33 (2007), 33 (2007), Dossier « Open Letter of 138 Muslim Religious Leaders », pp. 241-288.

109 A côté des quatre « prophètes du dialogue islamo-chrétien » signalés plus haut, un autre volume à paraître chez Vrin offrira la pensée de quatre autres artisans de ce dialogue, Roger Arnaldez, Robert Caspar, Jacques Jomier et Youakim Moubarac. Du Père R. Caspar, on peut d’ailleurs lire son Pour un regard chrétien sur l’islam, Paris, Cerf, 1989, réédité en 2007, Paris, Bayard, 210 p., et surtout son Traité de théologie musulmane, tome I : Histoire de la pensée religieuse musulmane, Rome, PISAI, 1987, 495 p., particulièrement son ch. VI, « Le prophétisme de Muhammad et l’inspiration du Coran : problème de théologie chrétienne » (pp. 75-116).

110 Edited by Christian W. Troll, s.j. and C.T.R. Hewer, New York, Fordham University Press, 2012, 303 p., où l’on trouve l’essentiel de la pensée des deux éditeurs et de Kenneth Cragg, Maurice Borrmans, Sigvard Von Sicard, Lucie Pruvost, Jan Slomp, David B. Burrell, Arij Roest Crollius, Etienne Renaud, Michael L. Fitzgerald, Jean-Marie Gaudeul, Paul Jackson, Christian Van Nispen Tot Sevenaer, Andreas D’Souza, Michel Lagarde, Christopher Lamb, Patrick Ryan, Thomas Michel, Sebastiano D’Ambra, Giuseppe Scattolin, Emilio Platti, Jane Mcauliffe, Francesco Zannini, Daniel Madigan, Joseph Ellul, Felix Körner, et David Marshall.



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