CHARLES DE FOUCAULD
commémoration en l'Eglise Saint Augustin de
Paris
lieu de conversion du Bienheureux Charles de
Foucaul
Hors conférence, une participante au
colloque remarquait que l' on parle - à juste titre - de
l'importance qu ' a tenu, entre autres et fortement , l'abbé
Huvelin dans la conversion et la conduite spirituelle de
Charles de Foucauld.
Elle a noté, que l'on devrait souligner
aussi que cette "conversion", cette "version
nouvelle"
de sa vie - s'est produite dans une église
qui porte le nom d'un des premiers évêques d'Algérie,
Saint Augustin... et que Frère Charles est venu
rejoindre et clore sa vie sur cette terre algérienne.
Merci de nous le rappeler.
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St Augustin, évêque d'Algérie
(statue en l'égliseSt Augustin)
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Intervenant
à Saint Augustin en octobre 2005 , Monseigneur
Maurice Bouvierl, postulateur de la cause de
béatification/canonisation de Charles de Foucauld et
auteur du livre "Le Christ de Charles de Foucauld",
situe historiquement cette figure remarquable et
explique en quoi elle
est un modèle pour les hommes et les femmes
d'aujourd'hui..
Il explique également ce que sont les
responsabilités du "postulateur" d'une cause de
béatification, ce qu'est
le processus par lequel quelqu'un "devient"
officiellement saint.
Enfin, Monseigneur Bouvier donne des clés pour
comprendre
ce qui est au coeur même de la spiritualité de
Charles
de Foucauld et comment cette spiritualité l'a aidé à
mieux vivre sa foi (un texte à méditer !).
Monseigneur Maurice Bouvier a donné
à la revueThéologia, une
interview que nous reproduisons ci-dessous
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Theologia
:
Vous avez été postulateur de la
cause de béatification-canonisation du Père de
Foucauld.
Pourriez-vous dire un mot sur les évènements
marquant
de sa vie ?
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Maurice Bouvier :
La vie de Charles de Foucauld, à bien des points de vue, n'a
pas été une vie ordinaire, mais le dynamisme qu'elle révèle
est éloquent. Quelques moments de son histoire, porteurs en
eux-mêmes d'un message, méritent d'être mis en évidence.
Charles de Foucauld est né à Strasbourg (France) le 15
septembre 1858. Il a une sœur Marie, de trois ans plus jeune
que lui, qui épousera en 1884 Raymond de Blic. Les deux
enfants deviennent orphelins en 1864. Charles a alors six ans.
Son grand-père maternel le recueille avec sa sœur et se charge
de leur éducation. Après la guerre de 1870 et l’annexion de
l’Alsace par l’Allemagne, il choisit pour eux la nationalité
française et vient
habiter à Nancy.
Charles continue ses études au lycée de cette ville. La
formation chrétienne de son enfance lui permet de faire une
fervente Première Communion en 1872, mais elle ne va pas être
assez solide pour l’aider dans son adolescence et, à partir de
1874, il perd la foi. Ayant choisi de devenir militaire, il
prépare
son entrée à l’Ecole de Saint-Cyr où il est admis
en 1876. Sous-lieutenant de cavalerie, il mène une vie assez
désordonnée, ce qui ne l’empêche pas de se montrer courageux
dans les opérations militaires auxquelles il participe dans
l’ouest de l’Algérie.
En 1882, il donne sa démission de l’Armée et entreprend
l’année suivante un voyage d’exploration dans le Maroc. La
réussite de cette périlleuse expédition qu’il réalise en onze
mois, déguisé en rabbin
et plongé dans le monde musulman, lui vaut honneurs et estime
et lui ouvre les portes du monde des géographes et des
explorateurs.
Mais il est habité alors par une quête religieuse. Sous
l’influence discrète de sa famille qu’il a retrouvée à Paris,
il cherche à avoir des cours de religion et demande l’aide
d’un prêtre pour être éclairé sur la religion catholique. Il
parle à ce prêtre, l’abbé Huvelin, à la fin octobre 1886, à
l’église Saint-Augustin à Paris. Au lieu de lui donner un
cours de religion, le prêtre, qui le guidera désormais,
l’invite à se confesser et à communier : pour Charles c’est la
conversion, un moment de grâce qui va le transformer pour la
vie. Résolu de ne plus vivre désormais que pour ce Dieu de
Jésus-Christ qui est venu à sa rencontre, il fait, à la
demande de son père spirituel, le pèlerinage de Terre Sainte.
Il y découvre quelle fut
la vie humble et cachée de Dieu incarné en Jésus, pauvre
ouvrier à Nazareth. Attiré par le désir de l’aimer et de
l’imiter de toutes ses forces, il décide de se faire moine
trappiste.
Entré au monastère de Notre-Dame-des-Neiges en 1890, en vue
d’aller s’enfouir pour toujours dans une pauvre Trappe de
Syrie, il cherche à avancer de plus en plus dans l’imitation
de la vie de Jésus à Nazareth. Cette recherche le conduit à
demander de quitter la Trappe, ce qui lui est accordé en
février 1897.
Suivant le conseil de l’abbé Huvelin, c'est à Nazareth qu'il
va vivre sa vocation personnelle. Ayant obtenu de loger à la
porte du couvent des Clarisses il se fait leur domestique. Il
vit ainsi en ermite dans la prière, la pauvreté et la
recherche de la volonté de Dieu sur lui. Au bout de trois ans,
ayant pris comme devise IESUS CARITAS (Jésus Amour) et comme
emblème un Cœur surmonté de la Croix, son désir d’imiter Jésus
dans sa Charité universelle lui fait accepter la perspective
du sacerdoce. Il s’y prépare à la Trappe de
Notre-Dame-des-Neiges et, le 9 juin 1901, il est ordonné
prêtre du diocèse de Viviers : c’est pourquoi il sera béatifié
avec la qualification de "prêtre diocésain".
Pour faire rayonner l’Amour, la Charité divine,
et porter la présence eucharistique aux pauvres des régions
non-évangélisées, il pense aller au sud du Maroc, où il a
voyagé autrefois, et s’établit pour cela à Beni-Abbès, aux
confins algéro-marocains. En bordure de cette oasis, il
construit non pas un ermitage mais une fraternité,
c’est-à-dire une maison ouverte à tous : chrétiens, musulmans,
juifs… Il veut être pour chacun un frère et un ami. Disponible
aux pauvres, rachetant des esclaves, accueillant aux soldats
de la garnison, donnant l’hospitalité aux voyageurs de
passage, il passe, dans la nuit et tôt le matin, de longues
heures à la prière. Sur le mur de la chapelle, derrière
l’autel, il a dessiné une grande image du Sacré-Cœur "étendant
ses bras pour embrasser, serrer, appeler tous les hommes et se
donner pour tous". Il voudrait voir arriver à la Fraternité
des compagnons pour rayonner ensemble la Charité et
l’Evangile, pour vivre à plusieurs en "petits frères du
Sacré-Cœur de Jésus" selon un Règlement qu’il a rédigé à
Nazareth. Il souhaite de même l’arrivée de "petites sœurs" qui
témoigneraient par leur accueil et par les soins donnés de la
bonté du Cœur de Jésus. Mais personne ne viendra. Et le projet
vers le Maroc ne pourra pas se réaliser.
En 1904, il peut, grâce à un ami officier, se rendre dans le
sud algérien. Il sait qu’il est le seul prêtre en mesure
d’aller chez les Touaregs et de prendre contact avec leurs
tribus encore plus délaissées que la population de
Beni-Abbès. Il voit là un signe de Dieu, et Mgr Guérin, le premier
préfet apostolique du Sahara, accepte son installation
au Hoggar. Charles se fixe en 1905 à Tamanrasset, seul
Européen dans
ce village d’une vingtaine de huttes abritant quelques
familles touarègues. Les débuts sont difficiles et les
conditions de vie sont rudes. Peu à peu, il se fait admettre
et ce sont ces mêmes Touaregs qui l’aident lorsqu’il tombe
malade. Il restera seul dans ce qui est son "Nazareth", mais
d’être seul au milieu des gens lui paraît bon : "on y a de
l’action, même sans faire grand chose, parce qu’on devient du
pays, on est si abordable et si
tout petit". Il apprend leur langue pour se faire proche
d’eux, pour les comprendre et les reconnaître dans la dignité
et les
valeurs de leur propre culture. Pour protéger et conserver le
dialecte du Hoggar, il réalise, en voulant rester anonyme, un
travail linguistique et scientifique unique et considérable.
En 1911, il passe cinq mois sur le plateau de l’Assekrem, dans
un lieu où il espérait voir beaucoup de monde. Dans le
contexte de son temps, utilisant au mieux les ressources
apportées par la nation colonisatrice qu’est la France, il
cherche sans cesse à promouvoir le progrès humain,
intellectuel et moral des habitants du désert, les préparant
ainsi à découvrir un jour ce qui fait le secret de sa vie
religieuse. Il veut qu’en France on partage cette
responsabilité, et il envisage en ce but une "confrérie" qui
unirait toutes les bonnes volontés chrétiennes dans
un grand réseau au service des régions en cours de
développement et non touchées par le message évangélique. Venu
en France à trois reprises pour exposer et lancer son projet,
il pensait y revenir en 1915, mais la guerre de 1914 le
maintient au Sahara.
Les répercussions du conflit européen se
font sentir jusque là-bas. Peu à peu monte une rébellion
contre la présence de la France. Des tribus manifestent une
volonté d’émancipation, tandis que d’autres cherchent à
profiter des circonstances pour reprendre les razzias.
Conscient du danger,
Charles de Foucauld reste sur place pour protéger la
population
et servir l’avenir de ce qui est devenu "son pays". En 1916,
il construit
une maison fortifiée qui servirait de refuge pour les gens de
Tamanrasset en cas d’attaque, et, à la demande de ses voisins,
il vient y habiter.
C’est là qu’il est surpris par un groupe de rebelles au soir
du 1er décembre 1916, saisi dans un guet-apens, et ligoté
pendant qu’on pille sa demeure. Son jeune gardien de 15 ans
paniqué par l’arrivée soudaine de deux soldats tire sur lui à
bout portant. Charles de Foucauld meurt, victime isolée d’une
violence locale… D’autres, ce soir-là, tombent sur les fronts
de la
première guerre mondiale.
Theologia :
Quelles sont les responsabilités d'un postulateur
d'une cause de béatification ?
|
Maurice Bouvier :
La postulation d'une cause de béatification-canonisation est
l'organisme établi par celui ou ceux qui demandent la
béatification d'un serviteur ou d'une servante de Dieu. Selon
les cas il y aura
un seul postulateur ou un postulateur et des
vice-postulateurs, voire
d'autres collaborateurs comme un archiviste.
Le postulateur est tenu tout d'abord d'adresser une requête en
vue de l'ouverture de l'enquête diocésaine à l'Evêque
compétent pour l'entreprendre, c'est-à-dire celui du diocèse
sur le territoire duquel est décédé le serviteur ou la
servante de Dieu. A l'appui de sa requête il doit fournir une
liste de témoins ayant bien connu le serviteur de Dieu, qui
seront à interroger par le tribunal diocésain (ou la
commission d'enquête) que met en place l'évêque compétent.
Pour ce qui concerne le Père de Foucauld, la requête a été
envoyée à Mgr
Nouet qui était préfet apostolique de Ghardaïa. L'évêque
actuel de Laghouat, en résidence à
Ghardaïa, Mgr Claude Rault, est toujours le premier
responsable de la cause puisque c'est son diocèse qui continue
de se porter demandeur de la béatification.
Le postulateur doit aussi présenter à l'évêque les écrits déjà
imprimés du serviteur de Dieu et rechercher tous les livres et
articles où il est parlé du serviteur de Dieu ; il recueillera
aussi par la suite tous les écrits du serviteur de Dieu même
non imprimés et devra en établir des copies authentiques. Il
peut lui-même suggérer à l'évêque diocésain le nom de tel ou
tel théologien qui pourra être chargé de l'examen de ces
écrits, étant entendu que le promoteur de justice aura lui
aussi son mot à dire pour cette désignation.
En fait, c'est une collaboration loyale entre le postulateur
et le promoteur de justice qui permet de faire avancer
l'enquête diocésaine. Habituellement, le postulateur est
chargé de transmettre tout le dossier d'enquête diocésaine à
la Congrégation pour les causes des saints à Rome. Jusqu'aux
réformes de Paul VI et de Jean Paul II le postulateur devait
se faire assister d'un avocat (consistorial ou rotal) dès que
le dossier parvenait à Rome. Aujourd'hui il lui est seulement
demandé d'apporter son aide (ou de trouver quelqu'un qui
apporte son aide) au rapporteur spécial nommé par la
Congrégation pour les causes des saints dans la phase
apostolique ou romaine de la procédure.
Aujourd'hui encore, c'est au postulateur qu'il appartiendra
ensuite de demander la désignation de ce rapporteur spécial,
sous la direction duquel il rédigera, le moment venu, un
rapport sur la vie, la renommée de sainteté et les vertus du
serviteur de Dieu (Positio super vita et virtutibus). Ce
rapport contient nécessairement deux parties : une biographie
critique du serviteur de Dieu et un
exposé tendant à montrer que le serviteur de Dieu a pratiqué
de façon héroïque les principales vertus chrétiennes
(tant théologales que morales) et celles qui lui sont plus
particulières, par exemple la pauvreté.
Tout au long de la procédure le postulateur est
chargé de trouver, avec ses mandants, le financement des
diverses
enquêtes. Il lui est demandé de tenir régulièrement
les comptes de la cause.
Le postulateur doit prendre soin de tenir une liste des
faveurs qui lui sont signalées comme ayant été obtenues par
l'intercession du serviteur de Dieu. Une fois obtenu le décret
sur l'héroïcité des vertus, ou même avant, il s'efforcera de
trouver parmi les faveurs signalées une guérison que des
témoins sérieux présentent comme miraculeuse. Il devra
adresser à l'évêque compétent une demande d'examen approfondi
de cette guérison par audition de témoins et consultation
d'experts.
Une fois l'enquête diocésaine terminée, il la déposera à la
Congrégation pour les causes des saints qui demandera l'avis
d'experts médicaux. Si cet avis est favorable, le postulateur
demandera la constitution d'une commission théologique en vue
d'examiner si cette guérison est
bien miraculeuse et si elle peut être attribuée à
l'intercession du serviteur de Dieu. A cet effet il rédigera
une "positio super miraculo". Si l'avis de la commission
théologique
est favorable, il revient à la Congrégation de se prononcer
à son tour. Si la Congrégation confirme l'avis des
théologiens, elle propose au Saint Père la reconnaissance de
ce miracle.
Si le Saint Père est d'accord avec les conclusions de la
Congrégation il reconnaîtra le miracle et pourra décréter la
béatification du serviteur de Dieu.
Pour les martyrs, qui ne méritent ce titre de "martyrs" que si
leur mort-martyre est dûment établie à
la suite d’un Procès particulier, nommé Procès
sur le martyre, la procédure veut que, pour ces témoins
privilégiés de l’Evangile, il n’est pas nécessaire
de prouver l’existence d’une faveur "miraculeuse" accordée par
leur intercession, leur mort violente pour le Nom de Jésus
ayant
toujours été considérée comme leur entrée
dans la gloire de la Résurrection.
Quand tous ces procès, qui tous ensemble constituent une
"Cause de canonisation", ont été menés validement et sont
reconnus tels, et quand tous ont reçu une conclusion positive,
la Cause est achevée.
Alors l’Autorité suprême de l’Eglise catholique, qui se
réserve dans un cas de canonisation le jugement définitif,
peut affirmer solennellement que la réputation de sainteté qui
entoure le nom de tel serviteur ou de telle servante de Dieu
est justifiée, que le peuple de Dieu peut en toute vérité
continuer à le vénérer et que le témoignage laissé par ce
chrétien ou cette chrétienne est bien l’expression d’une
"parole de Dieu" pour aujourd’hui.
Concrètement, son nom est ajouté dans la
liste des saints, dans ce catalogue ou canon, dit aussi
"martyrologe",
et ce "saint" peut recevoir les honneurs d’un culte public. On
dit
aussi qu’il est "mis sur les autels", c’est-à-dire qu’il peut
être représenté dans les églises par des statues,
des tableaux ou bannières, que ses reliques peuvent être
honorées publiquement, que sa fête, ou sa mémoire
annuelle, ordinairement fixée au jour anniversaire de sa mort
(le martyrologe parle alors de son "dies natalis" ou jour de
sa naissance
au ciel) peut être célébrée, avec une messe
et un office propre.
Depuis des siècles l’Eglise a prévu qu’avant la canonisation,
un délai pouvait être légitimement respecté, celui dit de la
béatification. Le culte rendu au "bienheureux" n’est pas,
alors, encore autorisé universellement mais reste dans les
limites du diocèse ou des diocèses où il a vécu et où il est
mort. Logiquement cependant, la béatification appelle la
canonisation et le culte élargi à toute l’Eglise.
Actuellement, l’étape entre la béatification et la
canonisation est considérée comme franchie quand la réputation
du "bienheureux" est universellement répandue, que sa
postérité spirituelle est un bien de toute l’Eglise, que des
faveurs sont obtenues partout en son nom et qu’un nouveau fait
de type "miraculeux" lui est attribué. C’est pourquoi la
Cause, désignée simplement d’abord comme Cause de
béatification, était déjà en réalité la Cause de canonisation.
Au Vatican, la Congrégation qui est en charge de ce genre de
Procès a d’ailleurs comme titre : la Congrégation pour les
Causes des Saints (jadis : Congrégation des Rites).
C'est pourquoi aussitôt après la béatification de Charles de
Foucauld qui aura lieu à Rome dans la basilique St Pierre le
dimanche 13 novembre 2005, la Postulation pourra envisager la
canonisation. Dans ce but, elle invite déjà celles et ceux qui
désirent cette canonisation à prier Dieu
pour obtenir des grâces par l’intercession du Père de
Foucauld, dans l’espoir qu’une faveur reçue puisse un jour
être
déclarée miraculeuse et hâter sa canonisation.
Une image avec une prière est distribuée
en ce but ; on peut se la procurer gratuitement soit à la
Postulation Charles de Foucauld, via di Acque Salvie 2, Tre
Fontane,
I - 00142 ROMA, soit à Images du Père de Foucauld, L’Etang
–Neuf, 41210 SAINT-VITRE.
Theologia :
En quoi est-ce que le Père de Foucauld est un
modèle pour les hommes et les femmes de notre époque
?
|
Maurice Bouvier :
Le message du Père de Foucauld ne s'adresse pas
seulement à des convertis mais il est plus facilement accepté
par ceux qui, comme lui, entreprennent d'approfondir leur
connaissance de Jésus de Nazareth en lisant, relisant et
méditant l'Evangile. Je pense ici aux réflexions de
théologiens lyonnais sur les recommençants et à une lettre
pastorale du Cardinal Martini invitant, il y a quelques
années, ses diocésains à repartir de l'Evangile.
Le contact que Charles de Foucauld désire avoir en permanence
avec Celui qui est son "Modèle Unique", son Frère bien-aimé
dont il veut être le "petit frère", se réalise de façon
privilégiée par son amour de l’Evangile et de l’Eucharistie.
Il a passé de longs moments à lire et à méditer l’Evangile où
il retrouve les paroles et les exemples de Jésus qu’il veut
imiter et suivre par amour, et il conseille à ses amis de
mettre dans leur vie ces moments d’intimité avec le Seigneur :
"Il faut
tâcher de vous imprégner de l’esprit de Jésus en lisant et
relisant, méditant et reméditant sans cesse ses paroles et ses
exemples : qu’ils fassent dans nos âmes comme la goutte d’eau
qui tombe et retombe sur une dalle toujours à
la même place...". Il a aussi passé de longs moments devant
le Saint Sacrement où sa foi lui dit que Jésus est présent
avec toute sa puissance de salut pour le monde. Ainsi Charles
de Jésus a-t-il été fidèle à ces "deux tables" où, selon la
foi de l’Eglise, Jésus continue sa présence
au milieu des siens "tous les jours jusqu’à la fin des temps".
La figure de Jésus qui le séduit et qu’il veut imiter, c’est
celle de "l’Ouvrier, fils de Marie" (cf. Marc, 6, 3) vivant à
Nazareth la vie simple et ordinaire de ses contemporains et de
ses compatriotes. Il est particulièrement frappé par
l’abaissement qui entoure l’Incarnation du Fils de Dieu :
"Dieu, l’Etre infini, le Tout-Puissant se faisant homme, le
dernier des hommes". A partir de cette découverte qui est une
grâce de révélation qui lui est faite, il parle ainsi de ce
qu’il ressent comme étant son appel, sa vocation : "J’ai bien
soif de mener enfin la vie que je cherche depuis plus de sept
ans, que j’ai entrevue, devinée, en marchant dans les rues de
Nazareth que foulèrent les pieds de notre Seigneur, pauvre
artisan perdu dans l’abjection et l’obscurité." et il se donne
ce programme de vie : "Pour moi, chercher toujours la dernière
des dernières places, pour être aussi
petit que mon Maître, pour marcher avec Lui, pas à pas,
en fidèle disciple, pour vivre avec mon Dieu qui a vécu
ainsi toute sa vie et m’en donne un tel exemple dès sa
naissance."
J’avoue que j’ai été heureux de découvrir, ce qu’écrivait
Notre St Père, Benoit XVI, alors qu'il était archevêque de
Munich : "Juste au moment où le sentimentalisme autour de
Nazareth était florissant, le vrai mystère de Nazareth a été
découvert, de façon nouvelle, dans son contenu le plus profond
sans que les contemporains s’en aperçoivent. Ce fut Charles de
Foucauld qui, à
la recherche de la 'dernière place', trouva Nazareth. Pendant
son pèlerinage en Terre Sainte, c’est le lieu qui l’a le plus
marqué : il ne se sentait pas appelé 'à marcher à
la suite de Jésus dans sa vie publique. C’est Nazareth qui le
saisit au plus profond du cœur' (M. CARROUGES, Charles de
Foucauld, explorateur mystique, Cerf, 1958, p. 93). Il voulait
suivre le Jésus silencieux, pauvre et travailleur. Il voulait
accomplir à la lettre la parole de Jésus : 'Lorsque tu es
invité, va te mettre à la dernière place' (Lc 14, 10). Il
savait que Jésus lui-même avait donné l’explication de cette
parole en la vivant le premier ; il savait que, avant même de
mourir sur la croix, nu et sans le moindre bien, Jésus avait
choisi à Nazareth la dernière place" (Le Dieu de Jésus-Christ,
traduit de l’allemand par Yves et Marie-Noëlle de TORCY,
Communio-Fayard, 1977).
Le cardinal Ratzinger poursuivait ainsi son exposé du mystère
de Nazareth : "Charles de Foucauld, en marchant sur
les traces des 'mystères de la vie de Jésus', a trouvé le
travailleur Jésus. Il a rencontré le véritable 'Jésus
historique'. En 1892, au moment où Charles de
Foucauld travaillait à Notre-Dame-du-Sacré-Cœur [à
Akbès], parut en Europe le livre de Martin Kähler qui fit
date, Der sogennante historische Jesus und der geschichtliche,
biblische Christus (N.d.T. : Le Jésus dit de l’histoire et le
Christ historico-biblique). Ce fut un premier sommet dans le
débat sur le Jésus de
l’Histoire.
"Frère Charles, dans sa trappe de Syrie, n’en savait rien.
Mais en entrant dans l’expérience de Nazareth, il en apprit
davantage que ce que cette savante discussion peut mettre en
lumière. Là-bas, dans la méditation vivante sur Jésus,
une nouvelle voie s’ouvrit par là même pour l’Eglise. Car
travailler avec le travailleur Jésus et se plonger dans
'Nazareth',
cela servit de point de départ à l’idée comme à la réalité du
prêtre au travail. Ce fut pour l’Eglise une redécouverte de la
pauvreté. Nazareth a un message permanent pour l’Eglise. La
Nouvelle Alliance ne commence pas au Temple, ni sur la
Montagne Sainte, mais dans la petite demeure de la Vierge,
dans la maison du travailleur, dans un des lieux oubliés de la
'Galilée des païens', dont personne n’attendait rien de bon.
Ce n’est qu’à partir de là que l’Eglise pourra prendre un
nouveau départ et guérir. Elle ne pourra jamais fournir la
vraie réponse à la révolte de notre siècle contre la puissance
de la richesse si, en son sein même, Nazareth n’est pas une
réalité vécue" (op. cit.).
On ne saurait souligner mieux l'actualité du message de
Charles de Foucauld au plan théologique. Avant Vatican II
Charles de Foucauld a contribué à une meilleure prise de
conscience du sérieux de l'Incarnation. Jésus de Nazareth,
présenté comme le Frère Universel, est source de salut pour
tous les hommes par le seul fait que par son
incarnation il entre dans les relations de la solidarité
humaine. Le témoignage de Charles de Foucauld a préparé un
approfondissement de la vocation missionnaire de l'Eglise et a
contribué à rendre possible la rencontre entre les diverses
religions illustrée par l'invitation que leur a faite Jean
Paul II à participer à la prière d'Assise en 1986. La récente
rencontre à Lyon organisée par la communauté Sant’Egidio se
situe, me semble-t-il, dans la même ligne : l'Eglise continue
Jésus de Nazareth
en oeuvrant pour l'unité de l'humanité.
En ce domaine, Charles de Foucauld n’a pas cherché d’abord à
théoriser ; il lui a suffi de réfléchir au contenu de sa foi,
qui le pousse à imiter Jésus et donc à aimer les pauvres par
amour pour lui. Une méditation sur le chapitre 25 de
l’évangile selon saint Matthieu, datée de 1898, nous fait
découvrir comment il a été amené à considérer chaque homme
comme "membre de Jésus" :
"Jésus est la tête de l’Eglise, l’Eglise est le corps de
Jésus, tous les fidèles sont les membres de Jésus, les
infidèles eux-mêmes, tant qu’ils sont vivants, sont d’une
certaine manière, d’une manière éloignée mais réelle, les
membres de Jésus puisqu’ils appartiennent à l’Eglise comme sa
matière éloignée. Tous les hommes sont donc, les uns à un
titre, les autres à un autre, les membres de Jésus… Tous,
d’une manière ou d’une autre, font partie de son corps… Ce
qu’on fait au corps, à un membre quelconque, on le fait à la
tête (si on marche sur un pied, ma tête dit : 'Vous me faites
mal')… Donc tout ce qu’on fait à un membre quelconque de
Jésus, à un humain quel qu’il soit en bien ou en mal, on le
fait à Jésus… Après avoir considéré cela, dit l’abbé de Rancé,
il n’y a plus à demander quelle règle il faut suivre dans la
conduite envers le prochain, dans l’aumône par exemple, il n’y
a plus qu’à avoir de la foi " (Extraits des saints Evangiles
sur l’imitation de Notre-Seigneur, l’amour du prochain, la
pauvreté et l’abjection, publiés in Petit Frère de Jésus,
Nouvelle Cité, p. 92).
En plus des éléments pauliniens sur les membres du corps, l’on
trouve la citation d’une règle énoncée par l’abbé de Rancé,
pour lequel la façon de regarder le prochain et de se lier à
lui dépend de l’adhésion de foi à Jésus lui-même. J’ai cru
important de
signaler cet emprunt fait par Frère Charles au réformateur
des Trappistes car il souligne l’origine théologale de la
fraternité
qu’il désirera vivre plus tard en Algérie. On retrouve
le même lien entre la foi et la charité dans une méditation
écrite en 1896 à la petite trappe de Cheichlé, près Akbès en
Syrie (une des Méditations sur l’Evangile au sujet des
principales vertus, parues in L’Esprit de Jésus,
2ème édition, Nouvelle Cité, Montrouge, 2005,
p. 160-161), donc bien longtemps avant son ordination
sacerdotale et
son départ pour l’Algérie.
Le 7 janvier 1902, il confiera à Mme de Bondy ce qui lui tient
à cœur pour sa vie à Beni-Abbès : "Je veux habituer tous les
habitants chrétiens, musulmans, juifs
et idolâtres, à me regarder comme leur frère, le
frère universel. Ils commencent à appeler la maison ‘la
Fraternité’ et cela m’est doux" (Frère Charles de Jésus,
Œuvres spirituelles, Anthologie, éditions du Seuil, Paris,
1958, p. 39).
Charles utilise un langage affectif, mais plein de saveur
évangélique, sur Jésus, sur le Sacrement de l’Eucharistie, sur
le Sacré-Cœur, sur l’Eglise. Il voit en l’Eglise l’Epouse de
Jésus qui désormais parle en
son nom ; il reprend souvent ces paroles de Jésus à ses
apôtres et à leurs successeurs : "Qui vous écoute, M’écoute
!". Charles de Foucauld propose ainsi un visage, aimable et
proche, du Dieu de Jésus. Il rappelle l’humilité des signes
par lesquels Dieu se donne à nous, sans triomphalisme, mais
dans la bonté et la beauté de Jésus qui va jusqu’au bout de
l’Amour : sa mort en croix et son côté ouvert confirment
"qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour
ceux
qu’on aime".
Mais ce n’est pas seulement par son discours que Charles de
Foucauld nous dit Dieu incarné en Jésus de Nazareth et nous
aide à revisiter les Evangiles, c’est aussi par l’exemple de
sa vie.
S’il adore Jésus présent dans l’Eucharistie, il le contemple
aussi dans les pauvres auxquels Dieu en Jésus de Nazareth
s’est identifié. Il se met fraternellement au service de ces
"petits" dont parle Jésus, et nous renvoie ainsi à la qualité
de nos relations et de nos rapports avec les autres. Il nous
rappelle que "tout ce qui est fait à un petit, c’est à Jésus
qu’on le fait, et tout ce qu’on omet de faire au prochain,
c’est à Jésus qu’on le refuse".
Plein d’une ardeur missionnaire qui embrasse loin et large, mû
par une volonté de fraternité et de service, il ressent, face
à ces tâches, ses propres faiblesses. Sans cesse en projet, il
connaît des échecs, comme il connaît aussi les difficultés de
la prière, et celles de la nuit spirituelle. Et lui qui, dès
son enfance, avait éprouvé de grandes souffrances et de vives
blessures, mourra douloureusement, dans la solitude et sans
résultat apparent.
Ces deux expériences, celle d’une vie fraternelle à partager
avec tant d’hommes et de femmes au destin difficile, et celle
d’une vie d’épreuves à recevoir comme la Croix "où nous
étreignons Jésus qui y est attaché", sont toujours sur nos
routes et sur la route de l’Eglise. Elles font partie du
projet de vie de tout chrétien appelé à être "un Evangile
vivant".
Theologia:
Pourriez-vous nous parler de la
spiritualité de Charles de Foucauld ? De ses œuvres
?
|
Maurice Bouvier
Le message délivré par Charles de Foucauld est contenu dans ce
qu’il a vécu, dans ce qu’il essayé de faire. Il
est aussi dans les nombreuses pages qu’il a
rédigées et où il a laissé s’exprimer la saveur de son
expérience spirituelle. Près de 100 ans après sa disparition,
on est loin d’avoir inventorié toute la richesse de son
témoignage. Il est permis cependant
d’en repérer certains éléments majeurs présentés ici
brièvement sous quelques citations de ses lettres à son ami
Henry de Castries :
"Je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre
que pour Lui." (14 août 1901)
Ce qui est premier depuis sa conversion jusqu’à
la fin de sa vie, c’est la fidélité absolue, et sans aucune
reprise, à l’amour passionné qu’il donne à Jésus. Charles
avait la chance d’avoir un cœur capable d’aimer jusqu’à
l’extrême. Dès qu’il est mis par grâce en présence du mystère
de Dieu vivant en Jésus-Christ, il devient brûlant d’amour
pour lui. Cet amour pour Jésus, son "bien-aimé Frère et
Seigneur", n’avait d’ailleurs rien d’un sentiment dans lequel
il se serait plongé avec délices narcissiques ; cet amour
était une volonté. Moins de cinq mois avant sa mort, il écrit
: "L’amour consiste, non à sentir qu’on aime, mais à vouloir
aimer". Cette volonté d’aimer
Jésus l’amène à son imitation, à vouloir penser,
dire et faire ce que Jésus aurait pensé, dit et fait dans les
diverses circonstances de la vie. Charles de Foucauld résume
bien son projet spirituel dans ces lignes de 1902 à son ami de
lycée Gabriel Tourdes : "L’imitation est inséparable de
l’amour, tu le sais : quiconque aime veut imiter. C’est le
secret de
ma vie : j’ai perdu mon cœur pour ce JESUS de Nazareth
crucifié il y a 1900 ans et je passe ma vie à chercher à
L’imiter autant que le peut ma faiblesse".
"Dieu est si grand ! il y a une telle différence entre Dieu et
tout ce qui n’est pas Lui !" (14 août 1901)
Charles de Foucauld est un homme qui a toujours cherché à
sortir des sentiers battus, en véritable créativité, au point
d’avoir, surtout dans sa jeunesse, un goût certain pour la
provocation. Or dans l’événement décisif que fut sa
conversion, on peut dire que c’est Dieu qui est venu le
provoquer, en se mettant sur sa route. Son voyage au Maroc
était déjà comme un défi que l’aventurier se lançait à
lui-même et à ceux qui le connaissaient ; et Dieu l’avait pris
au mot en lui permettant d’être touché par le choc des
croyants de l’Islam : "L’Islam a produit en moi un profond
bouleversement…la
vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la continuelle
présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus
grand et de plus
vrai que les occupations mondaines: 'ad majora nati sumus'
(nous sommes
nés pour des choses plus hautes)…"
Une mystérieuse tension entre ces deux "partenaires", lui et
son Dieu, devait ainsi marquer tout son itinéraire
spirituel. L’essentiel de la sainteté de Charles de Foucauld
ne consisterait-il pas dans ce difficile apprentissage de la
confrontation
à l’Autre et de l’abandon continuel à Lui ? N’est-ce
pas là l’histoire de toute liberté humaine face au Dieu
de Jésus-Christ ? Avec ses limites personnelles, avec des
tâtonnements et des évolutions, qui montrent que la sainteté
est une montée incessante vers la Perfection qui
est en Dieu seul, Charles de Foucauld est tout proche de notre
mode d’être : les changements, les renouvellements, les
recommencements sont des
traits déterminants de la culture contemporaine.
"Ici je suis le confident et souvent le conseiller de mes
voisins." (8 janvier 1913)
Une autre caractéristique de sa sainteté, c’est le concret et
le réalisme de son engagement d’homme, repris, transformé et
soulevé par le souffle et le feu de
l’Esprit. Charles de Foucauld est toujours très engagé et très
"présent" dans les situations où il vit. C’est quelqu’un qui
entre à plein dans ce qu’il voit ou écoute, dans ce qu’il
décide et entreprend, dans ce qu’il comprend des questions qui
arrivent. Il s’insère dans son aujourd’hui avec une intensité
exceptionnelle. Il le fait avec toutes ses compétences
intellectuelles (on peut le constater dans son livre sur sa
reconnaissance au Maroc ainsi que dans ses recherches sur la
langue des touaregs) avec toutes ses capacités techniques,
avec son appréciation juste des situations et des besoins :
c’est ainsi, par exemple, qu’il enseigne aux femmes à
tricoter, qu’il fait venir des semences pour les jardins de
Tamanrasset… Il le fait
avec son tempérament propre, parfois avec des excès dus
à sa nature, à son passé, et à sa formation, mais toujours
avec conviction, bonne volonté, ardeur et courage. Avec ces
prédispositions intérieures, on ne s’étonne pas qu’il ait été
attiré par la vie de Nazareth :
Jésus s’y était signalé par la prise en compte, totale
et lucide, de l’ordinaire, du quotidien, de l’humain, du réel.
Déjà avant d’être converti, le jeune Charles manifestait
cette orientation de vie ; la grâce de la conversion n’a pas
détruit sa nature, mais en a élevé les tendances. Sa manière à
lui de devenir un saint a été
de pousser très loin ce réalisme de la vocation humaine
dynamisée par l’Amour ; sa sainteté porte en elle des marques
de simplicité, de vérité, d’authenticité ; elle témoigne de ce
que peut faire l’Amour divin en quelqu’un qui veut vivre à
fond l’expérience de l’existence humaine commune.
"C’est le travail préparatoire à l’évangélisation, la mise en
confiance, en amitié, apprivoisement, fraternisation…" (17
juin 1904)
Charles de Foucauld a choisi une terre difficile pour être
missionnaire, à contre-courant d’une recherche de réussite,
d’efficacité, de fécondité. Cette fécondité, il le sait, elle
est dans la Croix de Jésus, dans la faiblesse des moyens
humains. Il vivra la mission comme une passion, dans les deux
sens de ce mot : il accepte de donner sa vie jusqu’à mourir
comme le grain mis en terre, et il aime passionnément Jésus,
dont il voudrait "crier l’Evangile sur les toits", et les
hommes ses frères, dont il veut être sauveur avec Jésus.
Le mystère de l’Evangile auquel il se ressource
souvent est celui de la Visitation. Il aime contempler cette
scène : Marie, dès qu’elle a reçu Jésus en elle,
va le porter chez sa cousine Elisabeth, et Jésus, encore dans
le sein de sa mère, sanctifie Jean-Baptiste avant sa
naissance. Charles aussi veut se rendre "en hâte" vers ceux à
qui il veut faire connaître l’Amour, "comme Jésus est allé à
eux en s’incarnant". Il croit au rayonnement caché de
l’Eucharistie où Jésus se donne pour la vie du monde ; il
devient lui-même, par son engagement, comme une présence
vivante de ce pain partagé pour nourrir les pauvres et les
petits. Il privilégie le dialogue, le respect de l’autre et de
son
patrimoine culturel et religieux. Il imagine même un réseau
fraternel de tous les baptisés : des prêtres, des religieux,
des religieuses, des laïcs, qui seraient volontaires pour une
vie simple selon l’Evangile, et pour une prise en charge
responsable des "plus délaissés". Il souhaite à chacune et à
chacun de ces volontaires de l’Amour d’avoir un cœur de "frère
universel" comme Jésus, dans l’enracinement et l’engagement
concret de leur "Nazareth".
Toutes ces priorités qu’il met en œuvre spontanément sur le
terrain de sa mission saharienne peuvent fournir un nouvel
élan à la vocation missionnaire aujourd’hui. Nous ne
sommes plus dans le contexte historique dans lequel Charles de
Foucauld
voulait vivre en "frère universel", mais on peut s’inspirer de
ses intuitions à l’heure du dialogue interreligieux, de la
mondialisation,
du partenariat : aujourd’hui encore, pour défendre les droits
de l’homme, il n’est pas inouï de mourir pour la justice ;
aujourd’hui encore, certains acceptent de rester là où
existent
des fractures sociales, ethniques, religieuses, et d’autres
optent
pour partager la misère des victimes des disparités
économiques,…y compris dans ces pays d’ancienne chrétienté qui
sont tout autant "pays de mission".
"Pour les enfants de l’Eglise, c’est, même dans des défaites
apparentes, le Te Deum perpétuel, parce que Dieu est avec
nous." (13 juillet 1903)
Une foi totale en Celui qu’il nomme le Maître de
l’impossible permet à Charles de Foucauld de regarder toutes
les situations, même catastrophiques, dans la confiance. Cette
vision d’espérance est particulièrement remarquable
quand il parle du témoignage à rendre à l’Evangile
et de l’ampleur de la Mission. Dépassant la devise de ses
jeunes
années "Jamais arrière" qui peut devenir utopique, il
comprend devant les épreuves de l’Eglise, devant l’immensité
de la moisson et le manque d’ouvriers, que si la conquête
apostolique est irréalisable à vues humaines, il ne faut
prendre
appui que sur les promesses faites par Jésus à ses Apôtres. Se
souvenant de la réalisation historique du plan de Dieu, il
admire comment ce plan s’est réalisé à travers des
impasses : "Le manque de foi n’est pas aussi universel qu’il
semble
être. Elie aussi se croyait seul, et Dieu s’était réservé
d’autres âmes qu’il ignorait et qui n’avaient pas fléchi
le genou devant Baal" écrit-il à son ami de Castries
le 14 août 1901. Souvent aussi une citation du prophète Daniel
(9, 25) revient dans son analyse des événements : "c’est 'in
angustia temporum' qu’a été reconstruite Jérusalem".
"L’angoisse des temps" à laquelle il fait allusion pendant sa
présence au Sahara et qu’il expérimente concrètement dans ses
projets et ses relations, correspond aux temps difficiles
vécus alors en France par les congrégations religieuses et par
les diocèses. Pour Charles de Foucauld aussi, les temps sont
rudes.
Ils le seront toujours pour l’avenir de la foi, pour l’avenir
de l’Eglise. Un siècle après lui, on ne peut que revenir aux
sources où il alimentait sa confiance et qu’il exprime dans ce
passage d’une lettre à de Castries où il lui décrit les
confins algéro-marocains : "Puisse JÉSUS régner en ces lieux
où son règne passé est si incertain ! Sur la possibilité de
Son règne à venir ma foi est invincible : Il a répandu Son
Sang pour tous les hommes, Sa grâce est assez puissante pour
éclairer tous les hommes, 'Ce qui est impossible aux humains
est possible à Dieu' ; Il a
commandé à ses disciples d’aller à tous les hommes
: 'Allez par toute la terre prêcher l’Evangile à toute
créature'
; et St Paul a ajouté 'la charité espère tout'…
J’espère donc de tout mon cœur pour ces musulmans, pour ces
arabes, pour ces infidèles de toutes races…" (16 juin 1902). A
un monde qui hésite, à une Eglise qui peine et qui souffre,
à des chrétiens qui seraient tentés de perdre confiance,
le message de Charles de Foucauld pourrait bien être aussi
celui
de ne pas avoir peur !
Theologia :
Est-ce que le fait de "fréquenter" Charles de
Foucauld vous a aidé à mieux vivre l’Evangile ?
|
Maurice Bouvier :
Ayant découvert la spiritualité du Père de Foucauld dès le
séminaire à travers le livre du Père Voillaume Au cœur des
masses, j’ai vite pris conscience que j’aurais besoin d’être
entouré de frères prêtres pour accomplir les tâches du
ministère sacerdotal et
éviter de me laisser submerger tant par ces tâches que
par les soucis qu'entraînaient les études de droit canonique
que je commençais un an après mon ordination. C'est ainsi
que tout naturellement j’ai demandé à faire partie de l'union
sacerdotale Jésus Caritas devenue ensuite la "Fraternité
sacerdotale Jésus Caritas".
J'ai pu ainsi réserver du temps pour la lecture
de l'Evangile et l'adoration eucharistique, dont je devais
rendre
compte à la réunion mensuelle de fraternité. Par
ailleurs l'exemple de Charles de Foucauld a stimulé mon désir
d'acquérir la compétence nécessaire pour accomplir les charges
que l'autorité diocésaine voulait me confier. Quand j'ai été
nommé responsable diocésain de
la pastorale des migrants, je me suis inscrit à des sessions
de
formation pour la pastorale en monde ouvrier. Je dois dire
cependant que
mes études de droit canonique m'avaient préparé à
affronter les problèmes de la pastorale actuelle. Devenu
avocat agréé
auprès de l'officialité régionale de
Lyon, j'ai eu sous les yeux l'exemple de Frère Charles se
rendant
accueillant à toutes les misères humaines et cela m'a aidé
à rester fraternel face à des personnes désireuses
de régulariser leur situation matrimoniale mais que je devais
engager
à ne pas présenter des requêtes en vue de demander
la déclaration de nullité d’ un premier mariage car elles
me paraissaient manquer de fondements. Après la promulgation
du
nouveau code de droit canonique, j'ai obtenu d'aller suivre
les cours assurés
par le studio de la Rote à Rome en vue d'être plus efficace
dans ma collaboration à l'officialité de Lyon.
Durant mes années de travail à Rome au service de divers
organismes chargés d'apporter leur aide au gouvernement de
l'Eglise universelle, j'ai eu la chance de nouer des liens non
seulement avec la Fraternité sacerdotale mais aussi avec des
Petites sœurs de Jésus et avec l'association féminine dénommée
"fraternité Charles de Foucauld". J'ai apprécié
leur mode de présence aux plus pauvres et je peux dire que je
me suis efforcé d'accomplir mes taches de canoniste dans un
esprit de service des pauvres. Par ailleurs pour préparer la
positio
dans la cause de béatification de Charles de Foucauld, je
devais
me rendre presque chaque semaine à la maison des petites sœurs
à Tre Fontane, ce qui me permettait de participer à leur
adoration eucharistique. Grâce à elles j'ai gardé en moi le
goût de la lecture de l'Evangile et de la prière prolongée
devant le Saint Sacrement. J'ai constaté en plusieurs
circonstances que d'autres prêtres travaillant au Vatican
aimaient aussi se rendre à Tre Fontane pour s'associer à la
prière des Petites sœurs.
S'il est exact que toutes ces fréquentations des disciples de
Charles de Foucauld m'ont aidé à une attitude plus
fraternelle, je crois pouvoir dire que, par le fait même, j'ai
été aidé à mieux vivre l'Evangile.
Tombes de Mgr Guérin,
(••)le premier
préfet apostolique("évêque") du Sahara, qui
accepte l'installation de Charles au Hoggar.
et de Mgr
Gagnon, (••)
évêque du Sahara, inhumé en juin 2004,
prédecesseur de Mgr Claude RAULT
|
Mgr Bouvier a
exposé les différentes étapes qui mène à la la
béatification de Frère Charles, estimant qu'elle
intervient au moment choisi.. le Concile Vatican II et
son souffle permettant en particulier de donner une
dimension ecclésiale et pastorale très approprié à la
spiritualité et l'exemplarité de Charles La
revue reprend les étapes de la béatification que nous
vous indiquons ci-dessous
|
Historique de la Procédure de la
Cause de Canonisation de Charles de Foucauld |
1er décembre 1916 :
Mort de Charles de Foucauld à Tamanrasset (Algérie) sur le
territoire de la Préfecture apostolique de Ghardaïa.
Phase diocésaine
16 février 1927 :
Ouverture par Mgr Nouet, Préfet apostolique de Ghardaïa, du
Procès informatif sur la vie, les vertus et la renommée de
sainteté du Serviteur de Dieu.
- Début des auditions des témoins de la vie de Charles de
Foucauld.
- Début de la recherche de ses écrits.
- Les procès diocésains rogatoires pour recueillir les
témoignages durent jusqu’en 1939.
- La collecte des écrits et les travaux sur les écrits durent
jusqu’en 1945.
- L’activité de la Postulation de la Cause est ralentie durant
la guerre 1939-1945.
10 février 1947 :
Clôture à Ghardaïa du Procès informatif et de la phase
diocésaine.
11 avril 1947 :
Dépôt à Rome auprès de la
Congrégation des Rites des actes des Procès diocésains
sur la vie, les vertus et la renommée de sainteté, des
actes du Procès de non-culte, et de la copie officielle des
écrits du Serviteur de Dieu.
D’autres écrits, parvenus à la Postulation après juin 1946,
seront déposés à Rome dans les années suivantes.
Phase romaine
1947-1956 :
La révision des écrits et l’examen des
procès diocésains sont faits par la Congrégation
des Rites. (Ces travaux sont arrêtés en 1956 lors du
conflit entre la France et l’Algérie.)
30 mars 1967 :
Reprise à Rome des travaux concernant la Cause.
1er juin 1968 :
Décret d’approbation des écrits du Serviteur de Dieu Charles
de Foucauld.
13 avril 1978 :
Décret de Paul VI décidant l’introduction de la Cause auprès
de la Congrégation pour les Causes des Saints et le passage à
l’ultime phase de l’instruction sous son autorité.
18 mai 1979 :
Décret de conformité du Procès de non-culte.
17 novembre 1979 :
Dispense d’un Procès apostolique, mais la Congrégation pour
les Causes des Saints demande un complément de recherche
historique devant aboutir à la rédaction d’un Rapport sur la
vie, la renommée de sainteté et les vertus de
Charles de Foucauld (Positio super vita et super virtutibus).
1980 :
La Postulation commence les travaux historiques en vue de ce
Rapport.
21 juin 1991 :
Décret de validité des procès diocésains tenus de 1927 à 1939.
25 juillet 1995 :
Dépôt par le Postulateur auprès de la Congrégation pour les
Causes des Saints du Rapport demandé. Un examen de ce Rapport
par une commission théologique est prévu en vue de conclure ou
non à la pratique héroïque des vertus du Serviteur de Dieu.
Juin 2000 :
Désignation des membres de cette commission théologique.
20 octobre 2000 :
La commission des 8 théologiens chargés, avec le Promoteur
général de la Foi, de donner un avis sur la pratique héroïque
des vertus chrétiennes
dans la vie du Serviteur de Dieu se prononce à l’unanimité de
ses membres en faveur d’une telle pratique.
9 février 2001 :
Suivant l’avis de la commission théologique, la Congrégation
pour les Causes de Saints se prononce en faveur de l’héroïcité
des vertus de Charles de Foucauld.
24 avril 2001 :
Décret d’héroïcité des vertus de Charles de Foucauld approuvé
par le Souverain Pontife Jean Paul II. Cette décision
pontificale a donné au Serviteur de Dieu le titre de
Vénérable.
Procès sur le Miracle
Juillet 2002 :
La guérison d’une personne de Milan atteinte d’un cancer des
os, et attribuée à Charles de Foucauld,
ayant été portée à la connaissance du Postulateur, celui-ci
demande au Cardinal Archevêque de Milan une enquête sur cette
guérison.
Phase diocésaine
28 octobre 2002 :
Début de l’enquête diocésaine, qui a permis d’interroger
plusieurs témoins et de recueillir
l’avis de deux experts.
4 mars 2003 :
Session de clôture de cette enquête diocésaine sous la
présidence du Cardinal Tettamanzi, archevêque de Milan, en
présence de la personne guérie et de son mari.
Phase romaine
5 mars 2003 :
Dépôt des actes de cette enquête à la Congrégation pour les
Causes des Saints et commencement de la deuxième phase de
l’enquête sur le miracle.
15 Mai 2003 :
La Congrégation reconnaît la validité juridique de l’enquête
conduite à Milan et demande que soit désignée une commission
médicale chargée d’apprécier si l’on se trouve en présence
d’une guérison inexpliquée.
24 Juin 2004 :
La commission médicale reconnaît que la
guérison soumise à son appréciation revêt
un caractère inexpliqué.
24 juillet 2004 :
Le Postulateur dépose à la Congrégation pour les Causes des
Saints un Rapport (Positio super miraculo) montrant qu’une
guérison inexpliquée est dûment établie et qu’elle soit être
attribuée à l’intercession de Charles de Foucauld. Une
commission de théologiens est nommée pour étudier si cette
guérison possède un caractère miraculeux et si elle peut être
attribuée à l’intercession de Charles de Foucauld.
26 Octobre 2004 :
Après examen, la commission des théologiens rend un avis
positif sur le caractère miraculeux de cette guérison et sur
son attribution à l’intercession de Charles de Foucauld.
7 Décembre 2004 :
Les cardinaux et les évêques de la Congrégation pour les
Causes des Saints adoptent le point de vue de la commission
des théologiens et recommandent au Saint-Père de reconnaître
qu’un miracle est attribué à l’intercession de Charles de
Foucauld.
20 décembre 2004 :
Décret de reconnaissance du miracle du Vénérable Charles de
Foucauld approuvé par le Pape Jean Paul II. Cette décision
pontificale ouvre la voie à la béatification.
La béatification
12 février 2005 :
Le Souverain Pontife Jean Paul II décide que la cérémonie de
Béatification de Charles de Foucauld aura lieu place
Saint-Pierre à Rome le dimanche 15 mai 2005 en la fête de la
Pentecôte. A cause de la mort du Pape Jean Paul II, cette
cérémonie est reportée à une date ultérieure.
11 juillet 2005 :
Le Souverain Pontife Benoît XVI décide que la béatification de
Charles de Foucauld aura lieu à Rome, dans la basilique
Saint-Pierre, le dimanche 13 novembre 2005.
L’enquête sur la vie et la mort
de Charles de Foucauld ayant montré qu’il n’était pas
mort en martyr de la foi, même s’il est mort de mort
violente et en victime de sa charité pour ses frères, ce
sont les termes de " confesseur de la foi " qui
conviennent en son cas. Après le titre de Serviteur de
Dieu lié au lancement
de sa Cause, puis après celui de Vénérable lié
au Décret d’héroïcité de ses vertus, le titre qu’il
recevra dans l’Eglise par sa Béatification du 13
novembre 2005, sera celui de Bienheureux, auquel sera
ajoutée après son nom la qualification de prêtre
diocésain.
in Theologia
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