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 Amis du Diocèse du Sahara
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NOTRE DAME du LAUS
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De passage en France en août 2005, et effectuant une visite privée dans le Sud de la France, Mgr Claude RAULT est invité à présider les cérémonies du 15 août au sanctuaire de ND du LAUS. Voici le texte de son homélie.

Notre Dame du Laus, le 15 août 05. HOMELIE

Bien chers amis.

Comme vous le savez, je viens d’être nommé pasteur de ce grand diocèse du Sahara algérien, grand comme quatre fois la France. C’est l’un des plus grands diocèses du monde, mais aussi l’un des plus petits par le nombre de chrétiens. Pour une population musulmane de près de 3.500.000 habitants, notre communauté chrétienne, dans son ensemble, est composée d’une centaine de chrétiens : quelques laïcs, environ 25 prêtres et religieux, et approximativement 35 religieuses. Cette Eglise du Sahara est répartie en une dizaine de petites communautés sur ce vaste territoire. Notre vocation chrétienne nous pousse à aller vers les autres, à la façon de Marie qui part en hâte vers sa cousine Elisabeth ; nous voulons être avant tout une " Eglise pour les autres ", une Eglise pour ce monde musulman qui  nous accueille et qui attend de nous que nous soyons pleinement ce que nous sommes : des disciples de Jésus.

      Je suis heureux de profiter de cette fête de l’Assomption pour, à la lumière de l’Evangile vous vous exprimer ce qu’il nous est donné de vivre dans  notre témoignage évangélique auprès de cette population musulmane. Et je trouve que le récit de Marie allant visiter sa cousine Elisabeth est très éclairant.
Ce qui se passe, au fond, dans ce récit, est bien simple, et presque insignifiant aux yeux de l’entourage. Une jeune femme vient d’apprendre qu’elle est enceinte. Elle sait que sa vieille cousine est elle aussi enceinte de six mois, et dans un élan  spontané, elle se précipite pour lui rendre visite et, c’est bien normal, pour l’aider dans cette étape tout à fait inattendue de sa vieillesse.
Mais aux yeux de la Foi, il en est tout autrement. Ce qui se passe à l’intérieur donne une toute autre dimension à l’événement.
Marie vient d’apprendre qu’elle serait la mère du Messie tant attendu.
Elisabeth sait que son enfant, qui sera nommé Jean, sera la voix qui annoncera la venue de ce Messie.
Et voici que ces deux femmes porteuses de vie, se retrouvent. En peu de mots, elles se sont comprises. Par une intuition que dépassent les voies humaines, Elisabeth a saisi le pourquoi de la visite de sa cousine " Tu es bénie entre les femmes et le fruit de tes entrailles est béni ! ". Mystérieusement, ce fut la première rencontre entre Jean le Baptiste et Jésus. Une rencontre invisible. Il se trouve que notre Diocèse du Sahara a pour saint Patron Saint Jean Baptiste. Heureuse coïncidence !
   
Tout à l’heure, j’essayais de vous présenter en quelques mots les dimensions de notre diocèse tout à fait " atypique ". La Visitation est tout à fait l’image de ce que nous voulons vivre, nous, chrétiens, dans notre relation avec les musulmans.
Il nous est souvent demandé pourquoi nous avons choisi d’aller vivre au milieu d’eux, pourquoi  nous sommes profondément attachés à cette population. La rencontre de Marie et d’Elisabeth vient éclairer notre réponse.
    Marie se met en route rapidement vers sa cousine Elisabeth. Ce n’est pas dit dans le récit, mais quelle femme, quelle mère parmi vous ne ferait pas ce geste spontané d’aller proposer son aide à une femme proche, âgée et enceinte ? Marie vient d’apprendre qu’elle était porteuse, dans ses entrailles, de Celui qui a été qualifié par l’ange de " Fils de Dieu, de sauveur du monde ". Qui d’entre nous, touché par une bonne nouvelle qui va bouleverser sa vie ne se précipite pas chez ses proches pour lui partager cette bonne nouvelle ?
    Pourquoi vivons-nous au milieu de cette population musulmane ? Nous venons de vivre des années difficiles, qui ont été crucifiantes et pour nos amis musulmans, et pour notre Eglise d’Algérie. Vous avez été abreuvés par les médias d’images terribles de massacres, d’assassinats, qui malheureusement sont en train de se produire ailleurs. Plus de 120.000 personnes, hommes, femmes et enfants, ont été victimes du terrorisme pendant cette période sombre que nous appelons " les années noires ".
C’est d’abord la population algérienne qui a été touchée. Et dix neuf membres de notre Eglise ont mêlé leur sang à celui de ces victimes de la violence. A plusieurs reprises, les Pasteurs et les membres permanents de notre communauté chrétienne se sont posés la question : faut-il partir ? Faut-il rester ? Et notre Eglise fragilisée a décidé de rester, de demeurer dans la tempête malgré les dangers, partageant l’épreuve de nos amis Algériens, décidant de ne pas les quitter après tant d’années de convivialité et de proximité. Au plus fort de l’épreuve, un journaliste interrogeait en direct un des religieux d’Alger et lui demandait : " mais mon Père, pourquoi ne partez-vous pas ? " Et lui de répondre : " Ce n’est pas parce que ma femme est devenue folle que je vais la laisser tomber ! ". Il n’y avait rient à répondre à cela ! C’était le cri du cœur, un cri qui est de l’ordre de l’amour têtu !
Pourquoi vivre au milieu de cette population musulmane ? Je vous dirais en effet, que c’est une question d’amour. Et c’est ce même amour qui poussait Marie à aller visiter sa cousine Elisabeth.

Si nous sommes présents en Algérie, comme en tout autre pays musulman, ce n’est pas au nom de quelque puissance humaine ou politique, au nom de quelque idéologie. Nous y sommes parce que nous croyons que toute personne fait partie de cette grande famille humaine, parce que toute personne a droit à la dignité, à la reconnaissance, au respect, à la solidarité. Et ceci au-delà de toute frontière. Nous voici donc embarqués dans une grande histoire familiale, et notre démarche s’inscrit dans l’élan de Marie partant en hâte vers sa cousine Elisabeth.
Nous nous engageons, au nom de cet amour universel, sur le terrain de la solidarité humaine : aide aux enfants et aux personnes handicapées, soutien scolaire, promotion féminine, ouverture à la culture et à la croyance de l’autre différent dans l’expression de sa foi… Mais nous la faisons en partenariat avec des musulmans, dont nous recevons beaucoup, dans un échange où il nous est donné de partager nos différences. Oui, voilà ce qui nous fait courir, en hâte, vers nos frères et nos sœurs de l’Islam.
    Nous exprimons notre solidarité, comme Marie, oui, mais nous voulons par là manifester notre amour fraternel, manifester l’amour universel de Dieu pour toute personne, quelle qu’elles soit. Ce qui pousse Maire à partir en hâte vers sa cousine Elisabeth, c’est le désir de partager avec elle cet Amour infini de Dieu pour elle. Et elle l’exprime dans ce cantique que nous avons entendu : " Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ".
Marie va vers Elisabeth pour lui exprimer son affection. C’est aussi cela que nous voulons manifester à cette population musulmane : l’amour infini de Dieu pour toute personne, pour toute femme et  pour tout homme rencontrés. Nous voudrions que toute personne rencontrée puisse garder la certitude, la conviction qu’elle est profondément aimée de Dieu, qu’elle a aussi du prix à nos propres yeux. Oui, Dieu aime les musulmans, j’en ai la conviction. Je le dis parce que toute mon existence et celle de notre Eglise d’Algérie sont vouées aux musulmans.

Dieu aime toute personne et la regarde comme son propre enfant,  et il souffre lorsque les enfants de Sa grande famille humaine s’entredéchirent en son propre nom : aussi bien ceux qui envoient des bombes sur des populations innocentes, que les kamikazes qui se font sauter avec leurs charges d’explosifs n’ont rien à voir avec Dieu.
Parce que Dieu est atteint par tout acte de violence. Tuer l’autre, c’est faire violence à Dieu lui-même, et encore plus lorsqu’on le fait en son nom, ou pour la sauvegarde d’une civilisation qui prétend s’inspirer de Lui. Ces actes qui sont commis au nom de Dieu sont en contradiction avec l’être même de Dieu. Parce que Dieu est Amour.
Certes, Dieu " renverse les puissants de leur trône, élève les humbles, comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ", comme le chante Marie dans son Magnificat. Mais il ne le fait pas n’importe comment.
Il nous enseigne par la voix de Jésus qu’il le fait par la seule violence de l’Amour. L’Amour vécu jusqu’au bout est la seule force capable de faire changer la face de notre monde. Chrétiens, notre responsabilité est grande !
   
Si Marie a été élevée jusque dans le sein de Dieu, avec son propre corps, c’est parce qu’elle a vécu cet Amour jusqu’au bout. Elle a vécu à l’image de son Fils, et elle l’a tout naturellement suivi dans sa gloire et sa résurrection. Il ne pouvait en être autrement. Immortalisée jusque dans son corps, elle nous précède de Dieu. Elle nous rappelle notre vocation à tous et à toutes.
    Toute célébration doit nous amener à une vraie conversion. Frères et sœurs en Jésus, il ne suffit pas d’honorer Marie, de la chanter, de l’admirer. Elle le mérite bien, comme nous aimons tous célébrer et fêter une maman, mais surtout il nous faut apprendre à vivre comme elle. Et vivre comme elle, c’est vivre à la façon de Jésus.
Il n’est certes pas donné à tout  le monde de quitter son pays pour aller vivre ailleurs ce message d’amour qui nous est confié. Nous devons commencer à le vivre là où nous sommes. C’est la seule façon de transformer la face de notre monde. Il ne s’agit pas de vivre en naïfs, comme si " tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil… " mais ils ne manquent pas ceux et celles de notre entourage immédiat que nous évitons, que nous ne voulons pas rencontrer parce qu’ils sont différents de nous par la couleur de la peau, la race, la culture, la religion, voire même les opinions politiques ou religieuses.
Si nous sommes chrétiens et chrétiennes, nous croyons à la fraternité universelle. Et si nous y croyons, nous devons nous mettre à l’école de Jésus. II est allé en priorité vers les exclus, les blessés de la vie, les différents, les étrangers.
Et si nous nous mettons à sa suite, même en boitant, à travers nos pauvretés, nous bâtissons une humanité qui rejoint celle de Marie, et avec elle, auprès de son Fils, nous sommes déjà assis à la droite de Dieu.
Alors la fête de l’Assomption n’est pas seulement celle de Marie, elle est aussi la nôtre, elle est aussi celle de tous ceux et celles qui travaillent pour une humanité plus fraternelle, plus à l’image du désir de Dieu.

 prcr6.jpg +Claude Rault, évêque de Laghouat

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