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Les Eglises d' Europe s'unissent autour des migrants (5 août 09)

Partir à tout prix : un témoignage de Mauritanie

« Si j’avais de l’argent, j’aimerais tourner un film pour faire connaître notre situation aux Français ! » Le jeune Ivoirien qui parle est l’un des rescapés d’un naufrage de 45 jeunes, africains subsahariens, qui tentent d’arriver en Europe via Les Canaries.



Rêve de départ ou candidat à l’exil
Pentecôte sur le monde. Michel Robert

Pourquoi vont-ils jusqu’à risquer leur vie en rêvant d’une Europe de plus en plus difficile d’accès ?

Ceci a déjà été évoqué dans la revue Pentecôte sur le monde le drame humain de milliers de migrants venus de l’Afrique subsaharienne. Ils essaient par tous les moyens de franchir les frontières des enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta. (Édito du n°824, nov.-déc. 2005).
Les mesures sécuritaires imposées par l’Europe et mises en œuvres au Maroc, ont repoussé ce phénomène vers le sud, sur les côtes mauritaniennes.

Début mars 2006. Quelques médias, dont Radio France Internationale (RFI), parlent de milliers de migrants qui, partant, depuis le nord de la Mauritanie, risquent leur vie sur des pirogues de fortune.
Parmi les témoins de ces drames, les spiritains Jérôme Dukiya, Nigérian, et Jean-Louis Barrain, Normand, assurent le service de la paroisse Notre Dame de Nouadhibou.
Avec mon confrère Michel, nous avons décidé de partir en Mauritanie. 6 spiritains y assurent différentes missions autour de Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott.
Nous voulions commencer notre reportage en suivant ce que nous pensions être la route habituelle des migrants : Dakar, Saint-Louis (au Sénégal), Rosso (ville frontière avec la Mauritanie), puis remonter vers le nord sur Nouakchott, la capitale, et enfin Nouadhibou, ville portuaire au nord du pays. C’est de là qu’en ce mois de mars essaient de partir le plus de pirogues…

Le n° de Pentecôte sur le monde de juillet-août 2006 présentera l’ensemble de notre parcours et les différentes présences chrétiennes dans cette République islamique qu’est la Mauritanie. La page « Urgences » de ce n° veut, en priorité, faire entendre les appels que lance Jérôme au nom de milliers de jeunes prêts à tout pour échapper à la misère, au manque d’avenir des pays qu’ils fuient.




Un des camps de clandestins en Mauritanie
Pentecôte sur le monde. Lucien Heitz

Après plus d’un millier de km de bonnes routes à très faible circulation à travers des paysages désertiques émaillés de campements et de tentes, nous n’avons vu ni colonnes de marcheurs ni taxis remplis de migrants. Les contrôles de police, gendarmerie, et douane obligent les « clandestins », comme les appellent les journaux mauritaniens, à se déplacer avec discrétion. On marche hors route, souvent de nuit. À Nouadhibou, ils se regroupent par pays d’origine, dans l’un des bidonvilles aux noms révélateurs comme celui de Bagdad. Au port, les navires chargent le minerai de fer acheminé par le train du désert. Des eaux parmi les plus poissonneuses du monde y attirent des chalutiers de toutes nationalités. Nouadhibou cultive depuis toujours une tradition de ville ouverte et cosmopolite.

Le Calame, l’un des journaux mauritaniens en français (n° 530, 22-03-2006) avertit ses lecteurs : « Les côtes de Nouadhibou font l’objet d’un afflux massif et sans précédent de candidats à l’exil. Tentatives qui connaissent très souvent des épilogues tragiques. » Ce que nous apprendrons de la situation correspond malheureusement à ces dires.
La Tribune, autre journal en français, parle de l’immigration clandestine sous le titre éloquent de : « Passeport pour la mort » L’édito (9-03-2006) donne le ton d’un article qui veut faire réfléchir aux causes d’un tel exode de jeunes : « La pauvreté dans nos pays, la corde à nos cous, comment sortir de la misère qui gangrène nos populations ? » Puis, partant de la situation de la Mauritanie, le journaliste écrit : « Au moment où l’Union européenne fait du chantage sur les accords de pêche, où aucune possibilité de sortie de crise n’est donnée aux populations qui ont besoin d’usines de transformation et d’autres opportunités d’emploi, nos frères africains viennent mourir à nos portes. Que fait l’Europe ? Elle ferme tout simplement les siennes. Elle refuse de signer des accords équitables en matière de pêche. Ceux à qui on refuse le visa ont décidé de s’offrir un passeport pour la mort. »


Paroisse de Nouadhibou
Pentecôte sur le monde. Lucien Heitz

Samedi 1er avril. Nous assistons à l’interview que Jérôme accorde, de 20 à 22h, à 2 journalistes d’un grand quotidien néerlandais. Après avoir expliqué que sa mission de spiritain consiste à soulager, selon ses moyens, la détresse de tous ces « aventuriers de l’impossible », il parle de ces jeunes avec une émotion secouée de rires nerveux. Il évoque ceux qui partent sur de vieilles pirogues que l’on retrouve parfois échouées sur des plages. (Nous en verrons une et parlerons avec 2 de ses rescapés.) Il rapporte des paroles de miraculés évoquant les raisons qui les ont poussés à risquer leur vie. Selon les pays d’origine ( les 2 Congos, Sénégal, Nigeria, Mali, Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Niger, Ghana, Burkina Faso, les 2 Guinées, Libye et Maroc), les causes de leur exil forcé se ressemblent : conflits, violences, pauvretés, maladies, non développement sous toutes ses formes, avenir totalement plombé. Il ajoute d’autres propos entendus de la part de ces jeunes qui sont de plus en plus informés sur la vie du reste du monde.

Ce qui frappe, même en Mauritanie, ce sont les forêts d’antennes classiques et paraboliques qui captent les nouvelles du monde et la plupart du temps, d’Europe et d’Occident. Il en est de même au Sénégal et ailleurs.
Ces jeunes sont conscients de l’absence de politique de développement sérieuse de la part de leurs gouvernants. Conscients de l’appui que des pays d’Europe continuent d’apporter à des responsables politiques corrompus pour sauver leurs intérêts : pétrole et autres matières premières. Ils voient les images de nos sociétés opulentes qui font de la pub pour aliments pour chiens et chats pendant que des millions d’enfants dans le monde, et surtout chez eux, en Afrique, manquent du minimum de nourriture et de soins. Ils ont suivi à la télé, et peut-être évité sur leurs pistes, la course folle d’un Paris - Dakar qui prend une partie de l’Afrique pour un terrain de jeux de nantis en traversant sans honte des pays marqués par la pauvreté. Ils voient, souvent en direct, des charters entiers de touristes arrivant, sans problèmes de visas, et passent des séjours agréables dans des hôtels où ils découvrent une Afrique qui ne les prive pas de leur confort d’Occidentaux. Ils voient enfin les dégâts humains inadmissibles qu’infligent les guerres sur leur continent et ailleurs, en Irak notamment, à des peuples qui aspirent à la paix.
Ils entendent les propos de cet Occident, donneur de leçon de démocratie et de respect des droits de l’Homme pour le reste de la planète, mais qui ne fait rien pour enrayer des situations inadmissibles sous d’autres cieux. Et qui ferme ses portes à ceux qui veulent simplement venir gagner de quoi vivre et faire vire d’autres membres de leur famille.

« Quand tu es l’aîné d’une famille, dira l’un des jeunes rescapé d’un naufrage, tout le monde compte sur toi ! » Avant d’ajouter qu’il refera l’essai dès qu’une autre pirogue sera prête au départ.
Aux 2 journalistes qu’une telle détermination rend muets, Jérôme explique : « Il faut voir le problème de ces jeunes dans son ensemble. Vous venez en Mauritanie, parce qu’il y a des morts parmi ces jeunes qui veulent arriver en Europe. Il faut dépasser la 1re émotion et l’indignation pour chercher les causes de ces faits et travailler à les réduire et à les supprimer. Savez-vous combien de gens meurent chaque jour en Afrique, du paludisme, du sida, de la pauvreté et des conflits, la plupart du temps dans l’indifférence presque générale du reste du monde ? Personne ne quitte son pays, sa famille de gaieté de cœur : il faut vraiment que des conditions extrêmes poussent des jeunes à s’exposer à tant de souffrances pour espérer mieux s’en sortir, eux et leurs familles ! »
Les lecteurs néerlandais auront-ils lu ces propos dans leur quotidien ?

Revenus à Dakar, nous achevons notre reportage par une visite de l’Île de Gorée. Sur la chaloupe, nous discutons de notre séjour en Mauritanie avec un cameraman de la RTS (régie de télévision du Sénégal) venu filmer les festivités de la fête nationale. Il analyse la situation de son pays et des pays africains avec clairvoyance. « Pour que grandisse la conscience politique de nos peuples, dit-il, il nous faut instaurer plus de relations de soutien entre sociétés civiles du Nord et du Sud. Il faut que ces relations exigent des gouvernants du Nord comme du Sud des engagements sérieux pour le bien de tous les peuples, dans la justice et la transparence. »

Récemment , en 2006 , s'est tenue  à Rabat (Maroc) une rencontre des Caritas (Secours catholique) de Mauritanie, Tunisie, Libye et Algérie sur les migrations. On y évoqua leurs causes à partir de témoignages de migrants. On y chercha des solutions plus politiques. Comme le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), de plus en plus d’ONG et d’associations comprennent l’urgence d’un tel engagement politique de citoyens responsables pour que l’ensemble de l’humanité se porte mieux.

Si nous arrivions, avec tous les croyants du monde, à refuser pour tout homme ce que nous refusons pour nous-mêmes et à exiger pour le plus lointain de nos frères ce que nous revendiquons pour nous, bien des problèmes trouveraient des solutions.
Les migrations ne seraient plus considérées comme une menace utilisée à des fins politiques, aux dépens des droits fondamentaux des personnes : droit à la vie, à la nationalité, au travail et au développement.

Si ces lignes vous ont fait réfléchir sur les situations de ces milliers de jeunes, faites-les lire autour de vous.
Pour que leurs souffrances ne soient pas vécues en vain.

Lucien Heitz
Appel de Mgr Martin Happe, évêque de Mauritanie
Mgr Happe
(source :http://amisdiocesesahara.free.fr)


« Que la Mauritanie soit un pays de transit vers l’Europe n’a rien de nouveau. Actuellement, le passage par l’Algérie ou le Maroc devient chaque jour plus dur. L’afflux se concentre donc sur la Mauritanie. Avant, même si cela revenait cher, il y avait des voies et moyens pour partir de Nouadhibou, sur un bateau avec des papiers « en règle ». Cette voie n’existe pratiquement plus.
Alors, les gens se trouvant dans un cul-de-sac à Nouadhibou se mettent ensemble, achètent une pirogue de pêche et "partent" vers les Iles Canaries.
Ces jeunes gens ne voient pas d’avenir dans leur pays. Soit pour raison de pauvreté, voire de misère, soit à cause de guerres et autres troubles d’ordre politique, ils sont souvent partis depuis des mois, voire des années en emportant les économies de leurs familles qui, elles, comptent maintenant sur l’argent qu’ils se sont engagés d’envoyer.
Nous sommes bien démunis devant de telles souffrances.
Aidez-nous à ouvrir nos portes, à les écouter, à les mettre en contact avec d’autres, avec une unité de santé,à leur servir de boîte à lettre, exceptionnellement les accueillir pour une nuit ou deux... Et enterrer les corps de ceux qui se noient déjà au départ. »
Pour venir en aide à la paroisse de Nouadhibou ou envoyer un don, contacter :
Procure des Missions, 30 rue Lhomond 75005 PARIS
com@spiritains.org
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