Partir à tout prix : un
témoignage de Mauritanie
« Si j’avais de l’argent,
j’aimerais tourner un film pour faire connaître notre situation
aux Français ! » Le jeune Ivoirien qui parle est l’un des
rescapés d’un naufrage de 45 jeunes, africains subsahariens, qui
tentent d’arriver en Europe via Les Canaries.
Rêve de départ ou
candidat à l’exil
Pentecôte sur le monde.
Michel Robert
Pourquoi vont-ils
jusqu’à risquer leur vie en rêvant d’une Europe de plus en
plus difficile d’accès ?
Ceci a déjà été
évoqué dans la revue Pentecôte sur le monde le
drame humain de milliers de migrants venus de l’Afrique subsaharienne.
Ils essaient par tous les moyens de franchir les frontières des
enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta. (Édito du n°824,
nov.-déc. 2005).
Les mesures sécuritaires imposées par l’Europe et mises
en œuvres au Maroc, ont repoussé ce phénomène vers
le sud, sur les côtes mauritaniennes.
Début mars 2006. Quelques médias, dont Radio France
Internationale (RFI), parlent de milliers de migrants qui, partant,
depuis le nord de la Mauritanie, risquent leur vie sur des pirogues de
fortune.
Parmi les témoins de ces drames, les spiritains
Jérôme Dukiya, Nigérian, et Jean-Louis Barrain,
Normand, assurent le service de la paroisse Notre Dame de Nouadhibou.
Avec mon confrère Michel, nous avons décidé de
partir en Mauritanie. 6 spiritains y assurent différentes
missions autour de Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott.
Nous voulions commencer notre reportage en suivant ce que nous pensions
être la route habituelle des migrants : Dakar, Saint-Louis (au
Sénégal), Rosso (ville frontière avec la
Mauritanie), puis remonter vers le nord sur Nouakchott, la capitale, et
enfin Nouadhibou, ville portuaire au nord du pays. C’est de là
qu’en ce mois de mars essaient de partir le plus de pirogues…
Le n° de Pentecôte
sur le monde de juillet-août 2006 présentera
l’ensemble de notre parcours et les différentes présences
chrétiennes dans cette République islamique qu’est la
Mauritanie. La page « Urgences » de ce n° veut, en
priorité, faire entendre les appels que lance
Jérôme au nom de milliers de jeunes prêts à
tout pour échapper à la misère, au manque d’avenir
des pays qu’ils fuient.
Un des camps de clandestins en Mauritanie
Pentecôte sur le monde. Lucien Heitz
Après plus d’un millier de km de bonnes routes à
très faible circulation à travers des paysages
désertiques émaillés de campements et de tentes,
nous n’avons vu ni colonnes de marcheurs ni taxis remplis de migrants.
Les contrôles de police, gendarmerie, et douane obligent les
« clandestins », comme les appellent les journaux
mauritaniens, à se déplacer avec discrétion. On
marche hors route, souvent de nuit. À Nouadhibou, ils se
regroupent par pays d’origine, dans l’un des bidonvilles aux noms
révélateurs comme celui de Bagdad. Au port, les navires
chargent le minerai de fer acheminé par le train du
désert. Des eaux parmi les plus poissonneuses du monde y
attirent des chalutiers de toutes nationalités. Nouadhibou
cultive depuis toujours une tradition de ville ouverte et cosmopolite.
Le Calame, l’un des journaux mauritaniens en français (n°
530, 22-03-2006) avertit ses lecteurs : « Les côtes de Nouadhibou font
l’objet d’un afflux massif et sans précédent de candidats
à l’exil. Tentatives qui connaissent très souvent des
épilogues tragiques. » Ce que nous
apprendrons de la situation correspond malheureusement à ces
dires.
La Tribune, autre journal en français, parle de l’immigration
clandestine sous le titre éloquent de : « Passeport pour
la mort » L’édito (9-03-2006) donne le ton d’un article
qui veut faire réfléchir aux causes d’un tel exode de
jeunes : « La pauvreté
dans nos pays, la corde à nos cous, comment sortir de la
misère qui gangrène nos populations ? »
Puis, partant de la situation de la Mauritanie, le journaliste
écrit : « Au moment
où l’Union européenne fait du chantage sur les accords de
pêche, où aucune possibilité de sortie de crise
n’est donnée aux populations qui ont besoin d’usines de
transformation et d’autres opportunités d’emploi, nos
frères africains viennent mourir à nos portes. Que fait
l’Europe ? Elle ferme tout simplement les siennes. Elle refuse de
signer des accords équitables en matière de pêche.
Ceux à qui on refuse le visa ont décidé de
s’offrir un passeport pour la mort. »
Paroisse de Nouadhibou
Pentecôte sur le monde. Lucien Heitz
Samedi 1er avril. Nous assistons à l’interview que
Jérôme accorde, de 20 à 22h, à 2
journalistes d’un grand quotidien néerlandais. Après
avoir expliqué que sa mission de spiritain consiste à
soulager, selon ses moyens, la détresse de tous ces «
aventuriers de l’impossible », il parle de ces jeunes avec une
émotion secouée de rires nerveux. Il évoque ceux
qui partent sur de vieilles pirogues que l’on retrouve parfois
échouées sur des plages. (Nous en verrons une et
parlerons avec 2 de ses rescapés.) Il rapporte des paroles de
miraculés évoquant les raisons qui les ont poussés
à risquer leur vie. Selon les pays d’origine ( les 2 Congos,
Sénégal, Nigeria, Mali, Liberia, Sierra Leone, Côte
d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Niger, Ghana, Burkina Faso, les 2
Guinées, Libye et Maroc), les causes de leur exil forcé
se ressemblent : conflits, violences, pauvretés, maladies, non
développement sous toutes ses formes, avenir totalement
plombé. Il ajoute d’autres propos entendus de la part de ces
jeunes qui sont de plus en plus informés sur la vie du reste du
monde.
Ce qui frappe, même en Mauritanie, ce sont les forêts
d’antennes classiques et paraboliques qui captent les nouvelles du
monde et la plupart du temps, d’Europe et d’Occident. Il en est de
même au Sénégal et ailleurs.
Ces jeunes sont conscients de l’absence de politique de
développement sérieuse de la part de leurs gouvernants.
Conscients de l’appui que des pays d’Europe continuent d’apporter
à des responsables politiques corrompus pour sauver leurs
intérêts : pétrole et autres matières
premières. Ils voient les images de nos sociétés
opulentes qui font de la pub pour aliments pour chiens et chats pendant
que des millions d’enfants dans le monde, et surtout chez eux, en
Afrique, manquent du minimum de nourriture et de soins. Ils ont suivi
à la télé, et peut-être évité
sur leurs pistes, la course folle d’un Paris - Dakar qui prend une
partie de l’Afrique pour un terrain de jeux de nantis en traversant
sans honte des pays marqués par la pauvreté. Ils voient,
souvent en direct, des charters entiers de touristes arrivant, sans
problèmes de visas, et passent des séjours
agréables dans des hôtels où ils découvrent
une Afrique qui ne les prive pas de leur confort d’Occidentaux. Ils
voient enfin les dégâts humains inadmissibles qu’infligent
les guerres sur leur continent et ailleurs, en Irak notamment, à
des peuples qui aspirent à la paix.
Ils entendent les propos de cet Occident, donneur de leçon de
démocratie et de respect des droits de l’Homme pour le reste de
la planète, mais qui ne fait rien pour enrayer des situations
inadmissibles sous d’autres cieux. Et qui ferme ses portes à
ceux qui veulent simplement venir gagner de quoi vivre et faire vire
d’autres membres de leur famille.
« Quand tu es
l’aîné d’une famille, dira l’un des jeunes rescapé
d’un naufrage, tout le monde compte sur toi ! » Avant
d’ajouter qu’il refera l’essai dès qu’une autre pirogue sera
prête au départ.
Aux 2 journalistes qu’une telle détermination rend muets,
Jérôme explique : « Il faut voir le problème
de ces jeunes dans son ensemble. Vous venez en Mauritanie, parce qu’il
y a des morts parmi ces jeunes qui veulent arriver en Europe. Il faut
dépasser la 1re émotion et l’indignation pour chercher
les causes de ces faits et travailler à les réduire et
à les supprimer. Savez-vous combien de gens meurent chaque jour
en Afrique, du paludisme, du sida, de la pauvreté et des
conflits, la plupart du temps dans l’indifférence presque
générale du reste du monde ? Personne ne quitte son pays,
sa famille de gaieté de cœur : il faut vraiment que des
conditions extrêmes poussent des jeunes à s’exposer
à tant de souffrances pour espérer mieux s’en sortir, eux
et leurs familles ! »
Les lecteurs néerlandais auront-ils lu ces propos dans leur
quotidien ?
Revenus à Dakar, nous achevons notre reportage par une visite de
l’Île de Gorée. Sur la chaloupe, nous discutons de notre
séjour en Mauritanie avec un cameraman de la RTS (régie
de télévision du Sénégal) venu filmer les
festivités de la fête nationale. Il analyse la situation
de son pays et des pays africains avec clairvoyance. « Pour que
grandisse la conscience politique de nos peuples, dit-il, il nous faut
instaurer plus de relations de soutien entre sociétés
civiles du Nord et du Sud. Il faut que ces relations exigent des
gouvernants du Nord comme du Sud des engagements sérieux pour le
bien de tous les peuples, dans la justice et la transparence. »
Récemment , en 2006 ,
s'est tenue à Rabat (Maroc) une rencontre des Caritas
(Secours catholique) de Mauritanie, Tunisie, Libye et Algérie
sur les migrations. On y évoqua leurs causes à partir de
témoignages de migrants. On y chercha des solutions plus
politiques. Comme le Comité catholique contre la faim et
pour le développement (CCFD), de plus en plus d’ONG et
d’associations comprennent l’urgence d’un tel engagement politique de
citoyens responsables pour que l’ensemble de l’humanité se porte
mieux.
Si nous arrivions, avec tous les croyants du monde, à refuser
pour tout homme ce que nous refusons pour nous-mêmes et à
exiger pour le plus lointain de nos frères ce que nous
revendiquons pour nous, bien des problèmes trouveraient des
solutions.
Les migrations ne seraient plus considérées comme une
menace utilisée à des fins politiques, aux dépens
des droits fondamentaux des personnes : droit à la vie, à
la nationalité, au travail et au développement.
Si ces lignes vous ont fait réfléchir sur les situations
de ces milliers de jeunes, faites-les lire autour de vous.
Pour que leurs souffrances ne soient pas vécues en vain.
Lucien Heitz
Appel de Mgr Martin Happe,
évêque de Mauritanie
|
Mgr Happe
(source :http://amisdiocesesahara.free.fr)
« Que la Mauritanie soit un pays de transit vers l’Europe n’a
rien de
nouveau. Actuellement, le passage par l’Algérie ou le Maroc
devient
chaque jour plus dur. L’afflux se concentre donc sur la Mauritanie.
Avant, même si cela revenait cher, il y avait des voies et moyens
pour
partir de Nouadhibou, sur un bateau avec des papiers « en
règle ».
Cette voie n’existe pratiquement plus.
Alors, les gens se trouvant dans un cul-de-sac à Nouadhibou se
mettent
ensemble, achètent une pirogue de pêche et "partent" vers
les Iles
Canaries.
Ces jeunes gens ne voient pas d’avenir dans leur pays. Soit pour raison
de pauvreté, voire de misère, soit à cause de
guerres et autres
troubles d’ordre politique, ils sont souvent partis depuis des mois,
voire des années en emportant les économies de leurs
familles qui,
elles, comptent maintenant sur l’argent qu’ils se sont engagés
d’envoyer.
Nous sommes bien démunis devant de telles souffrances.
Aidez-nous à ouvrir nos portes, à les écouter,
à les mettre en contact
avec d’autres, avec une unité de santé,à leur
servir de boîte à lettre,
exceptionnellement les accueillir pour une nuit ou deux... Et enterrer
les corps de ceux qui se noient déjà au départ.
» |
Pour venir en aide à la paroisse de Nouadhibou ou envoyer un
don, contacter :
Procure des
Missions, 30 rue Lhomond 75005 PARIS
com@spiritains.org
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