Algérie
: Les évêques interviennent en faveur d'un pasteur sommé
de partir.
26/02/2008 20:30
L'Eglise d'Algérie
ne cache plus son inquiétude
Depuis l'ordonnance de février 2006 sur l'exercice des cultes autres
que musulman, l'Église d'Algérie est confrontée à
des difficultés
Depuis quelques mois, la petite Église catholique d’Algérie
est à nouveau dans la tourmente. Invitation à quitter le pays,
transmise en mai 2007 par les autorités locales des 48 wilayas en
application d’une directive venue d’Alger et justifiée par des menaces
d’Al-Qaida au Maghreb. Fermeture du Centre social du Corso où
travaillait Jan Heuft, Père Blanc, au nom de Rencontres et
développement. Expulsion – actuellement reportée au
30 juin – de quatre volontaires brésiliens de la communauté
Salam. Refus de la moitié des visas demandés pour le renouvellement
des communautés religieuses – au risque d’aboutir à la disparition
du petit groupe que constitue l’Église catholique d’Algérie
– ou pour les visites des responsables des congrégations.
La pression s’est encore accrue le 30 janvier dernier avec la sentence
du tribunal de Maghnia : le P. Pierre Wallez, prêtre du diocèse
d’Oran, était condamné à un an de prison avec sursis
et 200 000 dinars d’amende, et le médecin algérien musulman
qui l’accompagnait, à deux ans de prison ferme et 200 000 dinars
d’amende.
Lorsque l’ordonnance présidentielle du 28 février 2006 réglementant
la pratique des cultes autres que musulman avait été publiée,
l’Église catholique avait redouté que cette décision
puisse se prêter à des interprétations tendancieuses
visant à lui faire du tort.
Réunion avec le ministre des affaires religieuses
La condamnation du prêtre – pour avoir prié le lendemain de
Noël avec un petit groupe de migrants camerounais chrétiens
en dehors d’un lieu connu et autorisé comme lieu de culte – et du
médecin algérien – pour avoir utilisé des médicaments
et du matériel du centre public de santé dans lequel il travaille
– est venue confirmer ces craintes.
Le prêtre et le médecin ont fait appel de ces condamnations.
Dans un communiqué du 31 janvier, Mgr Alphonse Georger, évêque
d’Oran, a exprimé son incompréhension. Depuis, l’Église
d’Algérie espère que la vérité des faits sera
rétablie et les accusés innocentés. Mais elle ne cache
plus son inquiétude.
Réunis à Alger, les quatre évêques d’Algérie
– Mgr Henri Teissier (archevêque d’Alger), Mgr Gabriel Piroird (Constantine),
Mgr Claude Rault (Laghouat) et Mgr Alphonse Georger – ont rencontré
lundi 25 février le ministre des affaires religieuses Bouabdellah
Ghlamallah. Celui-ci, tout en précisant que le règlement des
difficultés ne relevait pas de sa responsabilité, leur a réaffirmé
que l’Église catholique avait bien sa place en Algérie. « Nous savons que ces problèmes sont en lien avec le développement,
dans le pays, des nouvelles communautés chrétiennes dites
évangéliques, explique Mgr Teissier. Mais nous ne pensons
pas juste que, trop souvent, ce soit notre Église catholique, qui
n’a pas d’influence sur ces nouveaux groupes, qui fasse l’objet de mesures
les visant. Certes, ces nouveaux chrétiens sont nos frères,
en tant que disciples de Jésus, mais nous comprenons autrement qu’eux
le témoignage à rendre à l’Évangile. »
L’activisme des évangéliques suscite un malaise
La presse algérienne ne contribue guère à clarifier
la situation. Depuis plusieurs années, des journaux dénoncent
le prosélytisme évangélique, notamment en Kabylie,
en illustrant les textes par des photos de la basilique Notre-Dame d’Afrique
ou de Mgr Teissier, sans rapport avec le sujet… Ces dernières semaines,
les articles et les émissions de radio consacrés à
la question se sont multipliés, attisant encore la polémique
et entretenant les amalgames.
Jeudi 21 février, le quotidien francophone El Watan lui
a consacré deux pages, sous le titre « Évangélisation
en Algérie, un phénomène rampant ». Le pasteur
Mustapha Krim, président du Conseil de l’Église protestante
d’Algérie, y explique que, selon lui, « le prosélytisme
en Algérie est surtout islamiste ». « Je ne comprends
pas comment 32 petites communautés chrétiennes peuvent faire
trembler 32 000 mosquées », note-t-il.
Reste que l’activisme des évangéliques, monté en épingle
par certains médias algériens, suscite un malaise parmi la
population. Bouamrane Cheikh, président du Haut-Conseil islamique,
dénonce ce prosélytisme qui, dit-il, repose « sur le
dénigrement de l’autre ». « L’islam, explique-t-il, ne
peut accepter que des gens viennent et insultent le Prophète en usant
du dénigrement et de la diffamation, profitant de la détresse
de certains pour les convertir, promettant en contrepartie visas et avantages
matériels. »
Comme Abderrahmane Chibane, de l’Association des oulémas, il a clairement
dans sa ligne de mire les missionnaires évangéliques américains
de sensibilité néoconservatrice, qui cibleraient la Kabylie,
« supposée être le maillon faible », mais aussi
Aïn Sefra, Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Oran, et le Sahara en
se basant sur Timimoun et Tamanrasset. Le ministre des affaires religieuses
estime d’ailleurs que ces évangéliques « hors la loi
» cherchent à créer une « minorité »,
prétexte à l’ingérence de puissances étrangères.
L’Église catholique ne peut que s'interroger
Conséquence : les chrétiens de mouvance évangélique
sont actuellement soumis à une pression accrue. À Oran, trois
pasteurs ont été accusés de blasphème et jugés
le 27 janvier par le tribunal d’Aïn Turk. Le procureur a réclamé
trois ans de prison ferme et 500 000 dinars d’amende (5 000 euros, soit plus
de trois ans de salaire) pour « atteinte à la religion et à
la personne du Prophète ».
En Kabylie, plusieurs communautés évangéliques ont
été interdites. Deux directeurs d’école et un enseignant
ont été radiés. Des responsables de communauté
se sont vu remettre une notification pour cesser toute activité d’Église.
Effet collatéral peut-être ? Le pasteur méthodiste
Hugh Johnson, président de l’Église protestante jusqu’en 2006,
vient de se voir retirer la carte de résident dont il bénéficiait
depuis quarante-cinq ans.
Dans ce contexte tendu, l’Église catholique, qui se veut profondément
respectueuse et solidaire des Algériens musulmans – y compris pendant
la décennie sanglante des années 1990 – ne peut que s’interroger.
« Les suspicions et les fausses accusations viseraient-elles à
éloigner de nous ces nombreux Algériens que chaque jour nous
côtoyons dans le plus grand respect, et à nous marginaliser
comme de dangereux pestiférés ? se demande Mgr Rault. Ce serait
faire le jeu des extrémistes de tout bord, quelle que soit leur appartenance.
»
Martine de SAUTO
26/02/2008 18:52
Le
contenu de l'ordonnance présidentielle de février 2006 sur la
pratique des cultes
L’ordonnance de février 2006 prévoit des peines de prison
et des amendes pour toute personne qui incite, contraint ou utilise «
des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à
une autre religion », ou à « ébranler sa foi »,
ou qui « fabrique, entrepose, distribue du matériel imprimé,
des publications audiovisuelles ou tout autre support ou moyen visant à
affaiblir la foi musulmane ». L’exercice de cultes non musulmans est
interdit en dehors des édifices prévus à cet effet.
Selon le ministère algérien des affaires religieuses, il
y a 11 000 chrétiens en Algérie pour 33 millions d’habitants.
Ya-t-il vraiment une guerre de religion en Algérie ?
La campagne d’évangélisation est-elle à ce point phénoménale
pour susciter un déchaînement sans précédent
par presses interposées ?
Quels sont les résultats de l’application de la loi régissant
les cultes non musulmans il y a une année ? Quelle est la ligne
de démarcation entre la liberté de conscience garantie par
le Coran et la Constitution et le prosélytisme ? Mustapha Krim,
chef de l’Eglise méthodiste, proteste contre les « dogmes »
qu’imposent, d’après lui, les nouvelles règles cultuelles en
vigueur. Construire une église en Algérie ? Pour lui,
c’est la croix et la bannière… Le président du Haut conseil
islamique (HCI), Bouamrane Cheikh, se targue d’avoir été l’un
des artisans de la loi réglementant les cultes non musulmans. S’il
appelle à une saine cohabitation entre musulmans et chrétiens
d’Algérie dans le respect mutuel, il dénonce néanmoins
le prosélytisme évangélique qu’il assimile clairement
à « un dénigrement qu’il faut combattre ».
Mots croisés entre « esprits saints ».
Ce que dicte la loi
La loi de mars 2006 régissant la pratique des cultes non musulmans
et adoptée par le Parlement comporte une série de mesures
administratives et des sanctions pénales à l’encontre des
contrevenants. Ainsi elle prévoit des peines allant de 2 à
5 ans de prison et des amendes de 500 000 à 1 000 000 DA (5000 à
10 000 euros) contre toute personne qui « incite, contraint ou
utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman
à une autre religion (...), fabrique, entrepose, ou distribue des
documents imprimés ou métrages audiovisuels ou tout autre
support ou moyen qui visent à ébranler la foi musulmane ».
Aussi, ce texte interdit-il l’exercice d’un culte autre que musulman en
« dehors des édifices prévus à cet effet
et subordonne l’affectation des édifices pour l’exercice du culte
à l’obtention d’une autorisation préalable ». L’Etat
promet, en revanche, d’assurer « protection et soutien »
aux « associations à caractère religieux constituées
conformément aux lois et aux règlements régissant ce
domaine ».
Hassan Moali
Mgr Alphonse Geroger. Evêque
d’Oran « C’est bien qu’il y ait une loi du culte, mais… »
« Nous, au niveau de l’Eglise catholique, nous ne faisons pas
de prosélytisme et nous n’avons aucun problème de ce côté-là.
Nous sommes très attachés au respect de la liberté
de conscience des gens. Maintenant, il ne faut pas non plus assimiler le
fait de distribuer des bibles, comme le font d’ailleurs les musulmans en
Europe et ailleurs, à du prosélytisme. Je dirai donc que nous,
catholiques, sommes en dehors de ce débat sur l’évangélisation
en Algérie. Concernant la loi régissant les cultes non musulmans,
je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait une loi, mais il y a des
aspects qui ne sont pas positifs. Il ne faut pas, en l’occurrence, que n’importe
qui fasse n’importe quoi. »
H. M.
Edition du 21 février 2008 > Dossier
Bouabdellah Ghlamallah.
Ministre des Affaires religieuses et des Wakfs
« Ce sont des hors-la-loi ! »
« Ces gens qui pratiquent leur culte dans des lieux clandestins,
méprisent la législation sont des hors-la-loi ! Cela
est illégal. Les étrangers utilisent les Algériens
pour faire du prosélytisme. Pour moi, le fait qu’un étranger
demande à un Algérien de changer de religion constitue en soi
une atteinte à sa dignité d’une personne. J’ai dit aux imams
de rappeler aux jeunes que les prêtres ne viennent pas en Algérie
parce qu’ils l’aiment ou parce qu’ils aiment le christianisme, mais pour
créer une minorité qui donnerait un prétexte aux puissances
étrangères afin de s’ingérer dans nos affaires au nom
de la protection des minorités. Parler aujourd’hui d’oppression des
chrétiens en Algérie est un indicateur de cette tendance.
Et si je ne blâme pas les citoyens qui se convertissent au christianisme,
je les appelle à ne pas se constituer une minorité dans leur
pays. »
H. M.
Mustapha Krim (Pasteur
et président du Conseil de l’Eglise protestante d’Algérie (EPA)
Que pensez-vous du débat en Algérie sur l’évangélisation ?
Je ne comprends pas qu’on fasse autant de tapage
autour de ce qu’ils appellent « phénomène ».
Je ne suis pas surpris par le fait que des gens fassent le choix d’embrasser
une religion comme le christianisme. Pour ma part, je ne suis absolument
pas dérangé par le fait qu’une personne d’arrière-plan
chrétien embrasse l’Islam ou une autre religion. Il y va de la liberté
de conscience et de religion consacrée du reste par la Constitution
et la déclaration universelle des droits de l’homme.
Etes-vous pour ou contre le recours au prosélytisme ?
La définition du Petit Robert dit que c’est « le
zèle déployé pour répandre la foi, et par extension,
pour faire des prosélytes, recruter des adeptes ». De
ce point de vue, je pense que le prosélytisme en Algérie est
surtout islamiste ! Et s’il existe du côté des chrétiens,
il ne représente qu’un très faible pourcentage.
Le fait de se convertir à une autre religion
est assimilé à une apostasie…Personnellement, je ne suis jamais
rentré ni sorti de l’Islam. A l’âge de la réflexion (17
ans), je me suis posé les questions existentielles comme tous les jeunes
de mon âge. Ma conclusion se résume ainsi : « Jésus
le Messie est l’être le plus extraordinaire que la terre n’ait jamais
porté. » La réaction est donc absolument démesurée.
Je ne comprends pas comment 32 petites communautés chrétiennes
peuvent faire trembler 32 000 mosquées !
A combien estimez-vous le nombre d’Algériens convertis
à la foi chrétienne en Algérie ?
Quelques milliers, tout au plus…Et ceux qui se
réclament de la chrétienté pour avoir le visa…C’est triste
de constater jusqu’où les gens sont capables d’aller. Pour la petite
histoire, un journal arabophone avait annoncé à la une dernièrement
qu’il est offert 5000 euros pour quiconque embrasserait le christianisme.
Figurez-vous que des personnes s’étaient déplacées de
plusieurs villes du pays pour réclamer le pactole… !
Qui sont ces évangéliques qui inspirent tant
de craintes chez nous en Algérie ?
Ils font partie de la mouvance protestante
comme nous, il est vrai qu’il y a beaucoup de tendances au sein de ce mouvement,
dont certaines recourent à des méthodes « pas très
catholiques ». Nous avons officiellement 32 communautés
sur le territoire national, dont Alger, Oran, Annaba, Constantine, Tizi Ouzou,
Béjaïa, etc. Toutes ces communautés sont dûment recensées
et enregistrées par les autorités compétentes. Elles
sont régies par des statuts et un règlement intérieur
en tant qu’annexe de notre Association nationale, dont l’agrément remonte
à 1974.
La vague d’évangélisation en Algérie est-elle
vraiment une exception Kabylie, comme on le suggère ?
Il est vrai que la liberté de conscience et de religion est
probablement mieux respectée dans cette région qu’ailleurs.
Mais force est d’admettre que nos frères chrétiens algériens
sont issus de toutes les wilayas et pas uniquement de Kabylie. Je pense
que la fixation sur la Kabylie obéit à un calcul politicien
pour faire diversion.
Que pensez-vous des « églises »
des sous-sols et autres lieux désaffectés ?
Il y a en ce moment des démarches
conjointes entre commissariats et daïras pour interpeller les responsables
des communautés et leur remettre un procès-verbal de notification
pour cesser toute activité d’église. Le motif invoqué
est la non-conformité à la loi ! Sans plus... A l’heure
actuelle, huit églises ont reçu ces notifications. L’article
9 précise que « les lieux de culte doivent être identifiables
de l’extérieur et ouverts au public ». Il se trouve que
plusieurs communautés ne disposent pas de locaux adéquats pour
célébrer leur culte.
Justement, quel commentaire faites-vous de la loi réglementant
les cultes non musulmans ?
Nous n’avons jamais été consultés
en temps que partie prenante pour donner notre point de vue. Je dirai que
certains points sont positifs et d’autres constituent une véritable
atteinte à la liberté de conscience et de religion. Où
est donc la liberté associative pour une association dûment agréée
par ces mêmes autorités ? A Oran, trois frères,
dont deux sont membres de notre conseil, ont été jugés
par défaut, le 27 janvier dernier, par le tribunal de Aïn Turk.
Ils n’ont pas eu droit à des convocations pour assurer leur défense
et ils ont été condamnés à trois ans de prison
ferme par défaut et à 500 000 DA d’amende. Ils sont accusés
d’atteinte à la religion et de blasphème. Deux directeurs d’école
et un enseignant ont été radiés de l’éducation
nationale pour des faits contestables qui trouvent des prétextes inhérents
à leur foi chrétienne.
Un dernier mot ou une prière si vous le voulez…
Nous sommes au vingt-et-unième
siècle, à l’heure de la mondialisation sous toutes ses formes,
notre pays a beaucoup d’atouts à faire valoir sur tous les plans, la
démocratie est incontournable dans le domaine des libertés d’expression
autant que le domaine religieux. Des bruits courent qu’une révision
de la Constitution est en cours, je pense que, s’il faut modifier l’article
74 pour permettre un troisième mandat, il serait bien de retoucher
également l’article 73 en remplaçant l’obligation d’être
musulman par « sans distinction d’origine ethnique ou religieuse ».
Un chrétien algérien est un citoyen à part entière !
La première puissance du monde se prépare à élire
un nouveau président et Barack Obama, qui est de confession musulmane,
à toutes les chances de l’emporter. Pourquoi pas la réciprocité
chez nous ?
Hassan Moali Abderrahmane Chibane. Association des ulémas
« Les évangéliques ciblent tout le pays »
« Les investigations de nos membres dans différentes
wilayas ont démontré que l’église évangélique
applique des méthodes qui doivent susciter la réaction
de services de sécurité… Cette église ne peut suivre
une vraie voie catholique ou protestante, quoi qu’elle se déclare
protestante. Les missionnaires évangéliques nord-américains
qui visitent l’Algérie pour rejoindre leurs amis dans les wilayas
appartiennent tous aux groupes de néo-conservateurs… L’église
évangélique cible la Kabylie, supposée être le
maillon faible, Aïn Sefra, Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Oran,
pour leur prétendue mentalité espagnole et française,
puis le Sahara en se basant sur Timimoun et Tamanrasset… Nous avons des exemples
répétés dans toutes les régions du pays visées
par l’église évangélique. »