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Voilà trente ans qu'ils attendent. Trente ans dans ce
désert
inhospitalier de sable et de rocaille, situé dans le sud-ouest
de
l'Algérie. Quand ils sont arrivés ici, fuyant
l'avancée
des troupes marocaines, dans la foulée de la « marche
verte
» lancée par le roi Hassan II, en novembre 1975, ils
n'imaginaient
pas que leur exode s'éterniserait. La question du Sahara
occidental,
c'est avant tout un drame humanitaire. Pas une famille, ici, qui n'ait
un
parent « de l'autre côté », dans l'ex-colonie
espagnole
occupée par le Maroc.
Pour tenter de se recréer un semblant de terre natale, ces 158
000
réfugiés sahraouis ont donné à leurs cinq
campements
les noms des principales localités du Sahara occidental :
El-Ayoun,
Smara, Dakhla... Ils vivent dans des masures de pisé - qui
s'écroulent
en cas de pluies diluviennes comme il en arrive parfois dans le
désert
- et des tentes de toile. Chaque famille s'est bricolé un petit
enclos
de tôles et de bidons rouillés dans lequel elle a
installé
sa seule richesse : une ou deux chèvres, ou un mouton. Pour le
reste,
les réfugiés sahraouis ne subsistent que grâce
à
l'aide internationale (Programme alimentaire mondial, Union
européenne,
ONG...)
Nourriture, vêtements, médicaments... Tout leur vient de
dons,
beaucoup en provenance d'Espagne. Pas d'eau courante. Les habitants se
ravitaillent
dans de petites citernes en zinc, alimentées chaque jour par
camions.
Quant à l'électricité, ils la tirent de panneaux
solaires
installés sur le sol. Le soir, il faut choisir : soit
s'éclairer,
soit regarder la télévision. Il est rare de pouvoir faire
les
deux en même temps.
La vie dans ces camps de Tindouf est incroyablement dure. Il y fait
froid
l'hiver - la nuit, le thermomètre descend souvent en dessous de
zéro
- une chaleur écrasante l'été (50 degrés
à
l'ombre). Les vents de sable rendent l'atmosphère irrespirable.
Mais
le pire, pour tous ces réfugiés sahraouis, c'est
l'attente.
« Ils espèrent un avenir qui n'arrive pas. Ils vivent ce
que
j'appelle le «stress de l'attente». Tous en sont
très
marqués psychologiquement », explique Salah, jeune
médecin
d'une trentaine d'années, qui travaille dans le petit
hôpital
de « Smara ». Un hôpital presque neuf, financé
par
une ONG italienne, mais démuni de tout.
Tout en préparant le thé sur un petit réchaud
posé
à même le sable, Fatma, mère de sept enfants dont
la
dernière a 5 ans, raconte sa vie d'une voix monocorde et
fatiguée.
« Nous ne pensons qu'à retourner dans notre pays et
à
être indépendants. Pourquoi souffrons-nous autant ? Il
faut
que les étrangers nous aident ! Ne pourraient-ils pas convaincre
le
Maroc que le Sahara occidental ne lui appartient pas ? »
supplie-t-elle
en arabe, les larmes aux yeux.
POURPARLERS DANS L'IMPASSE
Abdelkhader Taleb Omar, premier ministre de la République arabe
sahraouie
démocratique (RASD) et membre de la direction du Front
Polisario,
déplore que l'ONU n'exerce pas de « pressions suffisantes
»
sur le royaume chérifien pour faire appliquer le droit
international.
Autrement dit, pour imposer un référendum
d'autodétermination
au Sahara occidental et rejeter le « diktat » de Rabat, qui
n'envisage
que l'autonomie, en aucun cas l'indépendance. « La
communauté
internationale doit-elle accepter la politique du fait accompli ?
»
s'interroge Taleb Omar, avant d'avouer son amertume face à la
France,
coupable de favoriser l'intransigeance du Maroc.
L'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, en mai 2007, avait
soulevé
de grands espoirs au sein du Front Polisario. Le mouvement
indépendantiste
voyait dans le nouveau locataire de l'Elysée un homme capable de
prendre
ses distances avec le roi Mohammed VI et de faire avancer le dossier du
Sahara
occidental. Mais le discours de M. Sarkozy, fin octobre, devant le
Parlement
de Rabat, se ralliant au plan marocain d'autonomie et excluant toute
idée
d'indépendance, a fait l'effet d'une douche froide. « Nous
n'attendons
pas de la France qu'elle prenne parti pour nous. Nous lui demandons
simplement
d'être équilibrée et de respecter la
légalité
internationale », plaide encore le premier ministre de la RASD.
«
Au Kosovo, on parle d'indépendance. Le Timor, lui, nous a
coiffés
au poteau ! Mais le monde ferme les yeux sur la question du Sahara
occidental.
Pour les Sahraouis, c'est une injustice criante ! » s'exclame, de
son
côté, M'Hamed Khadad, l'un des principaux artisans des
négociations
de Manhasset (New York), qui devraient reprendre le 11 mars sous
l'égide
des Nations unies.
Optimiste ? La direction du Front Polisario ne l'est pas, à la
veille
de ce nouveau round. Jusque-là, les pourparlers n'ont pas permis
de
sortir de l'impasse. Et pendant ce temps, la jeune
génération
sahraouie réclame avec de plus en plus d'insistance à ses
aînés
de reprendre la lutte armée contre le Maroc. C'est la seule
façon,
fait-elle valoir, de se faire enfin entendre de la communauté
internationale...
Florence Beaugé
|
cliche LM
|
Article paru dans
l'édition
du 14.02.08
LE MONDE | 13.02.08 | 14h56 • Mis à jour
le
13.02.08 | 14h56
TINDOUF (SAHARA ALGÉRIEN)
ENVOYÉE SPÉCIALE Florence
Beaugé
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