De l'Eglise en Algérie à l'Eglise d'Algérie
(propos recueillis par Véronique
Viriglio)
Selon Mgr Claude Rault, nouvel évêque du diocèse
de Laghouat en Algérie, "Une nouvelle page de l'Église catholique
en Algérie et de ses relations avec le peuple musulman est en train
de s'écrire. En faisant le choix de rester en Algérie durant
les années 90, décennie de la tourmente, nous avons fortement
impressionné les Algériens et avons à présent
une histoire commune. C'est ainsi que l'on est passé de l'Église
en Algérie à l'Église d'Algérie".
C'est par ces mots que Mgr Claude Rault, évêque du diocèse
de Laghouat (sud de l'Algérie, qui comprend aussi le Sahara algérien),
décrit à la MISNA la nature des relations actuelles entre
l'Eglise catholique (prêtres, missionnaires, laïcs et associations
catholiques) et le peuple algérien, sa place dans la société
locale et ses domaines d'action. "Nous avons payé nous aussi le
prix des années noires puisque 19 membres de l'Église catholique
ont perdu la vie dans les violences intégristes. Cette souffrance
nous a rapproché du peuple algérien qui a subi de lourdes pertes
humaines parmi des civils innocents" poursuit notre interlocuteur qui connaît
bien le pays du Maghreb où il accomplit son mandat pastoral depuis
1973.
Suite à l'annulation des élections législatives
tenues fin 91, remportées par le Front islamique du salut (FIS),
plusieurs groupes radicaux ont pris le maquis – notamment le Groupe islamiste
armé (GIA) et l'Armée islamique du salut (AIS), bras armé
du FIS – et organisé des attentats ciblés visant forces
de l'ordre, responsables du régime et membres de l'élite
intellectuelle. Ces violences ont fait parler de "guerre civile " ou de
"seconde guerre d'Algérie"; les affrontements entre l'armée
d'une part et les militants de divers groupes islamistes d'autre part auraient
fait, selon certaines estimations, plus de 100 000 morts de 1993 à
nos jours.
"Aujourd'hui le pays est en train d'appréhender avec un autre
regard son passé antéislamique, c'est-à-dire la période
de l'Afrique chrétienne antérieure à l'arrivée
de l'Islam, pour se le réapproprier" explique encore notre interlocuteur.
"Actuellement nous ne sommes donc plus vus comme Église post-coloniale.
L'universalité de notre église est réelle puisque
ses membres ne sont plus seulement français – ils le sont de moins
en moins – mais davantage européens et venant des quatre coins du
monde" poursuit monseigneur Rault. La petite communauté catholique
en Algérie compte quelques centaines de fidèles sur tout
le territoire, tandis que environ 130 prêtres et religieux ainsi
que 250 religieuses accomplissent chaque jour leur mandat pastoral avec
dernièrement une grande ouverture au laïcat face à des
besoins locaux croissants.
Au-delà de l'activité spirituelle "classique" - prière
hebdomadaire, retraites annuelles, journées de réflexions,
pèlerinages - les membres de l'Église catholique locale participent
aussi à des initiatives de recherches organisées par la communauté
musulmane.
"Nos rapports avec les Algériens sont à l'enseigne du
partenariat. Ils considèrent notre différence comme importante
pour dialoguer avec eux, qui ont changé aussi. Il s'agit surtout
d'un dialogue de la vie, de la collaboration car nous vivons les uns à
côté des autres, et moins d'un face à face dogmatique"
confie encore à la MISNA l'évêque de Laghouat, originaire
de Normandie.
Après le monolithisme des années du socialisme et la
tourmente des années 90, l'Islam est aujourd'hui pluriel en Algérie:
"C'est une avancée homéopathique, à petits pas, plutôt
qu'une révolution de la mentalité et de la culture musulmanes.
Les femmes notamment sont très actives et affichent une grande
volonté de participer à la vie de leur pays. Elles sont très
présentes dans les professions juridiques et dans l'enseignement
mais peu en politique".
En ce qui concerne les violences perpétrées par les forces
intégristes islamiques, notre interlocuteur explique qu'il "n'y
a plus que quelques poches de résistance bien localisées et
dont les actions sont ciblées. Dans le Grand Sud c'est le trafic
de cigarettes, de drogue et sans doute d'armes qui sévit à
grande échelle, raison pour laquelle il est dangereux d'y aller".
La plus grande crainte exprimée par l'évêque de
Laghouat concerne le contexte économique et social de l'Algérie:
"Face à un taux de chômage si élevé, (17,7% en
2004 selon une enquête de l’Office national des statistiques; ce taux
était de 23,7% en 2003, NDLR) qui touche surtout les jeunes, on
risque à terme une véritable explosion de ras-le-bol de la
société algérienne qui pourrait imploser".
Un autre problème politique qui "empoisonne les rapports entre
l'Algérie et le Maroc" est la question du peuple Sahraoui, "une des
situations les plus épineuses pour mon diocèse" raconte encore
monseigneur Rault, qui attend un passeport spécial pour rendre visite
aux réfugiés.
Depuis plus de 30 ans quelque 165.000 réfugiés se trouvent
sous perfusion de l'ONU dans le camp de Tindouf, "véritable îlot
d'abandon". Ce peuple est représenté par le Front Polisario,
mouvement nationaliste et indépendantiste, en lutte depuis 1976
pour l'autodétermination de cette population vivant dans le Sahara
Occidental.
Face aux défis actuels du pays du Maghreb, en particulier sur
le versant culturel et social, les représentants de l'Église
catholique sont très sollicités sur le front de l'enseignement
de la langue française aux enseignants des écoles primaires
(les cours de français ont été réintroduits
depuis peu à partir du cycle primaire) qui ont parfois des lacunes,
des cours de soutien aux écoliers mais aussi aux étudiants
universitaires ayant besoin de perfectionner et approfondir leur connaissance.
Par ailleurs l'Église catholique gère de nombreuses bibliothèques,
souvent constituées au départ avec les fonds de livres hérités
des congrégations religieuses, des séminaires ou des chrétiens
cultivés. C’est le cas par exemple de la bibliothèque de
recherche (histoire, monde arabe et Maghreb) du Centre d’Etudes Diocésain
d’Alger.
La communauté catholique, et en particulier les religieuses
et les associations laïques, apportent une grande assistance aux personnes
handicapées, et soutiennent de façon plus générale
les Algériens en difficulté, comme les femmes, les migrants
ainsi que les enfants et les adultes victimes de la violence ou de traumatismes
divers dus à la crise traversée par le pays.
La présence missionnaire en Algérie est significative:
Pères Blancs, Sœurs Blanches, Spiritains, Jésuites et Dominicains,
pour ne citer que quelques congrégations. "Le PIME (l'Institut pontifical
des missions étrangères) s'intéresse à une
présence sur le territoire algérien. Nous envisageons actuellement
dans quelle direction travailler" pour répondre aux besoins de
la population locale, conclut monseigneur Rault.