Lettre des évêques
d’Algérie aux communautés religieuses des quatre diocèses
Notre rencontre avec les responsables des Congrégations religieuses
Nous venons comme évêques des quatre diocèses d’Algérie,
de participer à la rencontre très riche qui s’est établie
les 25, 26 et 27 février à la Maison Diocésaine d’Alger,
entre les responsables des Congrégations Religieuses vivant, travaillant
et priant en Algérie. Après cette rencontre qui avait pour
centre une réflexion sur nos " solidarités " dans la société
algérienne et dans l’Eglise d’Algérie, nous voulons vous dire
la richesse de cette réflexion et vous inviter à interroger
les participants à la rencontre pour en recueillir les fruits, notamment
en utilisant le compte-rendu qui en sera fait dans " Partage ".
Les événements difficiles de ces derniers mois.
Nous sommes très sensibles
au contraste qui s’établissait pendant cette rencontre, entre notre
appel à vivre " la solidarité évangélique "
avec le peuple algérien, et les obstacles qui se sont présentés
ces derniers temps à l’épanouissement de nos solidarités.
Ces obstacles, vous les connaissez, ce
sont les difficultés faites pour l’octroi des visas d’entrée
privant ainsi plusieurs des Congrégations Religieuses de recevoir
les responsables, qui soutiennent, de l’extérieur, leur engagement
dans le pays.
Cette difficulté s’aggrave encore
lorsque ce refus de visa est opposé à ceux et celles qui veulent
nous rejoindre pour rester avec nous. Leur présence est absolument
nécessaire pour rajeunir nos communautés et remplacer
ceux qui ont dû nous quitter pour raison de santé, ainsi que
ceux qui ont été rappelés à Dieu.
Plus grave encore, comme vous le savez,
les membres d’une communauté nouvelle – la communauté Salam
– qui nous avait rejoints pour vivre, avec nous la présence auprès
des étudiants lusophones se sont vu retirer leur autorisation de résider
dans le pays.
Un autre aspect de nos solidarités
a été plus gravement mis en cause par la décision qui
a sanctionné le P. Pierre WALLEZ et le médecin de son secteur
qui avaient rendu visite à des migrants vivant dans des conditions
difficiles à la frontière algéro-marocaine.
* * * * *
Notre rencontre avec M. le Ministre des Affaires Religieuses
M. le Ministre des Affaires Religieuses a bien voulu nous recevoir
à notre demande durant la période où nous étions
tous les quatre à Alger.
Nous lui avons exprimé la
volonté de solidarité des communautés chrétiennes
d’Algérie, qui exprime le respect de l’Eglise pour la société
algérienne, pour ses traditions, pour ses références
religieuses. Mais nous lui avons exprimé aussi l’inquiétude
de la communauté catholique en Algérie, devant certaines décisions
administratives récentes.
Il nous a écoutés
avec beaucoup d’attention et nous a affirmé que l’Etat n’avait aucune
volonté de mettre en cause la présence de l’Eglise catholique
dans la société algérienne. Il a d’ailleurs prévu
avec ses collaborateurs que nous pourrons travailler avec la commission
" ad hoc " du ministère, pour étudier en détail les
divers articles de l’ordonnance du 28 février 2006 et des décrets
d’application. Quand le travail avec cette commission sera suffisamment avancé
nous vous en communiquerons les résultats.
Les difficultés rencontrées par les autres communautés
chrétiennes.
Lors de notre rencontre avec M.
le Ministre des Affaires Religieuses, nous lui avons remis une lettre signée
par les quatre évêques pour lui demander de bien vouloir intervenir
pour faire rapporter la mesure qui conduit le Pasteur Hugh JOHNSON, ancien
Président de l’Eglise Protestante d’Algérie, à quitter
l’Algérie après quarante-cinq années de vie dans le
pays.
Nous avons aussi présenté
à M. le Ministre la situation des communautés Coptes qui se
constituent en ce moment, à la faveur de l’arrivée de travailleurs
dans des entreprises égyptiennes.
Notre échange a aussi évoqué
les difficultés auxquelles sont affrontées les communautés
évangéliques récemment constituées. M. le Ministre
a clairement affirmé son respect de la liberté de conscience,
mais il a beaucoup insisté sur la volonté des responsables
de l’Algérie, d’éviter la constitution de groupes qui feraient
problème pour l’unité du pays. Pour lui, un croyant doit se
faire proche de tous et ne peut être contre les autres.
Renouveler nos engagements de solidarité.
La rencontre avec les responsables
des Congrégations nous a permis de renouveler les motifs et les moyens
de notre vie en solidarité.
Les événements récents
ont, en certains endroits, réveillé des méfiances qui
nous paraissent injustes. Nous avons donné la preuve, depuis des années,
que la recherche de frères et de sœurs en humanité dans le
pays est notre vocation et notre mission. Nous mettons là en œuvre
l’appel du Christ "Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai
aimés ". Certains journaux écrivent maintenant que
nos engagements de service sont des moyens pour obtenir des conversions. Une
fois encore nous voulons leur dire que la vie à la suite de Jésus
implique la gratuité dans le service. Notre joie s’épanouit
là où nous pouvons nous accueillir les uns les autres dans le
respect de la différence. Faire naître la communion entres les
hommes de toutes les origines, de toutes les cultures, c’est pour nous la
mission de Celui qui " a donné sa vie pour rassembler dans l’unité
tous les enfants de Dieu dispersés ".
Nous voulons respecter chacun dans
son identité religieuse et dans sa recherche personnelle. C’est d’ailleurs
l’un des grands défis du monde moderne.
La tentation est grande de ne choisir
dans la tradition chrétienne qu’un seul aspect de la fidélité
à la mission. Le Pape Benoît XVI, dans sa lère encyclique
a mis au centre de notre vie chrétienne cette conviction si forte
du Nouveau Testament " Dieu est Amour " et il nous invite à
mettre en œuvre cette certitude dans notre vie quotidienne et par nos travaux
de solidarité.
Les dimensions internationales de nos fidélités locales.
Nos travaux de solidarité
s’expriment par des services très concrets et qui peuvent paraître
très modestes : soutien scolaire, formation féminine, aide
aux handicapés, appui à l’artisanat, bibliothèque pour
étudiants, aide aux personnes âgées et isolées,
formation professionnelle, accueil des enfants, maternité.
Mais cette solidarité quotidienne
vécue dans la relation entre chrétiens et musulmans depuis
des dizaines d’années a mis en œuvre une vie d’Eglise locale devenue
féconde pour l’Eglise Universelle.
Nous savons la place tenue par des
religieux ayant vécu en Algérie, dans la réflexion de
l’Eglise Universelle, lors de la rédaction à Vatican II, du
document relatif à la relation entre chrétiens et musulmans.
Ce texte a eu un rôle déterminant dans le changement de regard
de l’Eglise catholique sur le monde de l’islam.
Dans l’étape présente
de la vie du monde beaucoup d’événements tendent à opposer
chrétiens et musulmans. La vocation qui nous a été donnée
en Algérie pendant toutes les années passées, reçoit
donc du contexte présent une nouvelle importance.
Nos solidarités
habitent notre prière et prennent source dans notre vie eucharistique
– " donner sa vie pour les frères " – Les épreuves
traversées nous invitent d’ailleurs à vivre plus profondément
le Mystère du Christ.
Beaucoup de nos amis algériens
savent le prix qu’il nous a fallu payer pour mettre en œuvre cette solidarité.
Certains se rappellent le sacrifice consenti par nos frères et sœurs
religieux et religieuses, en même temps que beaucoup d’Algériens
non chrétiens, lors de la crise algérienne de 1994 à
1996.
D’autres gardent comme une référence
actuelle, ce qu’ils ont reçu, autrefois, de l’engagement solidaire
des Pères et des Sœurs. Cette histoire peut, parfois, nous paraître
comme nous renvoyant à une époque révolue. Nous pensons
au contraire que les évolutions présentes du monde font de
notre vocation à une solidarité qui passe les frontières,
une vraie mission pour aujourd’hui et pour demain.
Nous remercions tous ceux qui, ces
dernières années se sont joints à nous pour vivre ensemble
cette mission. Leur présence parmi nous fortifie notre espérance.
Et comme Benoît XVI nous le propose dans l’Encyclique Spe Salvi, nous
vous invitons tous à découvrir autour de vous, dans la société
algérienne " les personnes qui savent vivre dans la droiture.
Elles sont des lumières d’espérance " (Spe Salvi, 49).
+Henri TEISSIER + Gabriel PIROIRD Archevêque d’Alger Evêque de Constantine et d’Hippone.
+ Alphonse GEORGER + Claude
RAULT Evêque
d’OranEvêque de Laghouat-Ghardaïa.