12/10/2008
A la redécouverte du dialogue islamo-chrétien « La Croix » commence une enquête de cinq semaines sur l’islam en France et en Europe et sur les formes possibles du dialogue avec lui La descente aux abîmes n’a pas eu lieu. Le choc des civilisations ne s’est pas produit. D’autres crises secouent aujourd’hui le monde, notamment les pays riches d’Occident, frappés au cœur de leur système économique par des extrémistes de la finance courbés devant le veau d’or. Un temps nouveau s’ouvre peut-être entre chrétiens et musulmans en Europe. Une époque où la défiance reste de mise, mais où une certaine décantation s’est produite. On y perçoit mieux désormais la distinction entre musulmans et djihadistes. Les premiers ont certes souvent une pratique plus ostentatoire, mais qui s’accompagne de stratégies d’intégration. Les seconds recrutent encore à la marge du système, notamment dans les prisons, mais le combat semble s’éloigner grâce, sans doute, à l’efficacité des services de sécurité. Au Proche-Orient, l’exode des chrétiens se poursuit, surtout en Irak où ils font figure de victimes expiatoires, mais des voix prestigieuses s’élèvent pour affirmer qu’une tradition de relations harmonieuses entre ces deux religions abrahamiques peut être restaurée. Le parcours intellectuel et politique de Benoît XVI sur le sujet pourrait sans doute symboliser les doutes et les élans actuels du dialogue islamo-chrétien, du côté catholique. Ainsi, le successeur de Jean-Paul II avait réduit en février 2006 la voilure du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, rapprochant cette problématique de la politique culturelle du Saint-Siège – avant de le rétablir de plein droit en juin 2007 et de le placer sous la houlette du cardinal diplomate Jean-Louis Tauran. La « Lettre des 138 » développe un argumentaire autour de trois points essentiels : l’amour de Dieu, l’amour du prochain, et la parole commune C’est que dans l’intervalle, le 12 septembre 2006, Benoît XVI avait prononcé le désormais fameux discours de Ratisbonne,en Allemagne. Devant une assemblée de ses anciens confrères universitaires, il réfléchit sur le thème « foi et raison » en s’appuyant notamment sur les méditations d’un souverain byzantin, Manuel II Paléologue, qui présentaient l’islam comme une religion irrationnelle et violente. Devant la colère des États et des foules islamiques, Benoît XVI s’est alors fait plus politique. Treize jours après son discours, il reçut à Castel Gandolfo les représentants de 21 pays musulmans, de la Ligue arabe et de la communauté italienne, pour les assurer du « profond respect (qu’il) porte aux croyants musulmans ». Il regagna ainsi le cœur des foules musulmanes lors de sa visite le 1er décembre suivant à Istamboul, où il se plongea dans une profonde méditation au cœur de la Mosquée bleue. Le 13 octobre 2007, 138 théologiens et religieux musulmans de toutes écoles et de toutes sensibilités, sollicités par l’Académie jordanienne Âhl Al Bayt pour les Recherches relatives à la civilisation islamique, adressent alors une « Lettre ouverte » à l’ensemble des chefs religieux des diverses communautés chrétiennes du monde entier, dans laquelle ils appellent à une « parole commune » entre chrétiens et musulmans. Cette lettre fait suite à celle qui avait été envoyée en octobre 2006 à Benoît XVI par 38 « savants musulmans, » après la polémique soulevée par le discours de Ratisbonne. La « Lettre des 138 » – ainsi qu’on l’appelle désormais – renvoie musulmans, chrétiens et juifs à leur commun monothéisme, et développe un argumentaire autour de trois points essentiels : l’amour de Dieu, l’amour du prochain, et la parole commune. « Forum islamo-catholique » Le Vatican note alors « l’esprit positif » qui a inspiré le texte et « l’appel à un engagement commun pour la promotion de la justice dans le monde ». Benoît XVI répond à la Lettre en invitant une délégation de signataires à Rome pour une rencontre de travail. Celle-ci va se dérouler du 4 au 6 novembre prochains, sous la forme d’un « Forum islamo-catholique » sans précédent et sous l’égide du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Pour La Croix, l’occasion est belle d’enquêter à nouveau sur l’islam d’Europe et de France, et sur les conditions et possibilités d’un dialogue avec lui. Délaissant les combats d’Afghanistan ou d’Irak qui relèvent plus des tensions géopolitiques que de conflits religieux, l’intérêt de l’enquête qui s’ouvre ici s’est porté sur l’islam au quotidien de familles plus ou moins pratiquantes, sur les défis posés à la société par des pratiques sociales, culturelles et pieuses qui heurtent les principes fondamentaux du consensus hexagonal. L’islam est divers, mais il est aussi un marqueur puissant pour des populations qui vivent un changement culturel fondamental. Le christianisme d’Europe a toujours été divisé dans son regard sur cette religion provocante, ne serait-ce que parce qu’elle se veut marquée du sceau de l’ultime et définitive révélation. Les célébrations des victoires chrétiennes sur les Ottomans à Lépante ou à Vienne ornent encore les vitraux de maintes églises et chapelles occidentales. La perception d’une proximité dans la foi en un Dieu unique en même temps que de radicales différences dans l’expression des croyances hante ceux qui cherchent à jeter des passerelles. Le sens du respect d’autrui progresse à tâtons. C’est dans cet esprit que La Croix est partie en quête de la réalité. Martine DE SAUTO et Jean-Christophe PLOQUIN 12/10/2008 « Entre vous et nous… », extrait de la « Lettre des 138 » Extrait de la lettre ouverte adressée par 138 intellectuels musulmans à Benoît XVI et à d’autres responsables chrétiens en octobre 2007 (voir le texte intégral et un dossier complet dans La Documentation catholique n° 2394 du 20 janvier 2008). « Trouver un terrain d’entente entre musulmans et chrétiens n’est pas une simple question de dialogue œcuménique poli entre des responsables religieux sélectionnés. Le christianisme et l’islam sont la plus nombreuse et la seconde religions dans le monde et l’histoire. On estime que chrétiens et musulmans représentent respectivement plus du tiers et plus du cinquième de l’humanité. Ensemble, ils constituent 55 % de la population mondiale, ce qui fait de la relation entre ces deux communautés religieuses le plus important facteur contribuant à une paix significative dans le monde. Si les musulmans et les chrétiens ne vivent pas en paix entre eux, le monde ne peut pas être en paix. (…) Ainsi notre avenir commun est-il en jeu. La survie du monde lui-même est en jeu. (…) Ne faisons donc pas de nos différences une cause de haine et de querelles entre nous. Ne rivalisons les uns avec les autres que dans la piété et les bonnes œuvres. Respectons-nous les uns les autres, soyons équitables, justes et bons les uns envers les autres, et vivons dans une paix sincère, l’harmonie et la bonne volonté réciproque. » |