Nasser vient d’Algérie. Muriel
est née à Nantes. Mariés depuis cinq ans et
parents de deux enfants, ils sont confrontés aux questions
essentielles de l’identité et de l’altérité, et
doivent inventer au fur et à mesure des réponses
Muriel a, dit-elle, toujours « pratiqué »,
même si, ces dernières années, elle a « du
mal à intégrer une vie paroissiale » et «
culpabilise » de ne pas pouvoir aller tous les dimanches à
la messe. Sa foi lui a été transmise par ses parents,
catholiques croyants et pratiquants, engagés et ouverts.
Son mari Nasser, né à Khenchela (nord-est de
l’Algérie), a grandi dans une famille qui pratiquait un islam
simple et traditionnel. Parce qu’il est allé à
l’école coranique – « ma maternelle à moi »,
dit-il –, c’est lui, « l’instruit », qui a expliqué
à ses parents « certaines choses qu’il avait comprises
» de sa religion. Il a ensuite approfondi sa foi en France
où il est arrivé en 1991, à un moment où
l’islam commençait à faire débat et où les
chrétiens notamment lui posaient des questions.
Muriel et Nasser se sont connus il y a une dizaine d’années,
à l’association Droits devant qui se mobilise notamment en
faveur de sans-papiers. Ils ont fait « très
progressivement » connaissance, chacune de leurs rencontres
étant l’occasion d’échanges intellectuels et
théologiques sur leurs racines, leurs cultures, leurs religions.
Ils se sont mariés le 2 août 2003, après avoir
participé à un week-end organisé par le Groupe des
foyers islamo-chrétiens. Leurs familles respectives ne se sont
pas opposées à cette union.
Comment transmettre un double
héritage religieux ?
Le jour venu, l’imam d’une mosquée de Nantes, qui ne souhaitait
pas se joindre à la cérémonie prévue
à l’église, a célébré le mariage
musulman – qui prend la forme d’un contrat juridique – chez les parents
de Muriel, qui a alors reçu en dot un Coran.
L’après-midi, le P. Christian Delorme a animé un temps de
prière interreligieuse : les époux avaient choisi des
textes de leurs deux traditions, et Nasser a reçu une Bible.
Trois jours plus tard, ils se sont rendus en Algérie pour
fêter leur mariage, la mère de Nasser n’ayant pu obtenir
son visa pour la France.
Aujourd’hui, le couple habite un appartement chaleureux à
Clamart (Hauts-de-Seine). Âgée de 37 ans, Muriel est
documentaliste. Après bien des tracasseries administratives,
Nasser, technicien de pharmacie industrielle, souhaite pouvoir enfin
exercer sereinement son métier. Ils ont deux enfants – Majda,
trois ans et demi, et Tarek, un an et neuf mois – qui ont
bouleversé leur vie mais les ont aussi obligés à
se poser des questions essentielles : comment transmettre un double
héritage religieux, témoigner de sa foi, en respectant la
religion de son conjoint et de manière très
concrète, les rites qui l’accompagnent ?
Le prénom des enfants n’a pas présenté de
difficulté. Pour des raisons « identitaires »,
explique Nasser, « parce qu’ils vivent dans un environnement
culturellement chrétien et pour les rattacher à une
histoire », ils portent chacun un prénom
arabo-berbère, ce que Muriel a parfaitement accepté. La
décision de faire circoncire Tarek, « conformément
à la tradition sémitique mais surtout pour des motifs
d’hygiène », a eu plus de mal à passer : «
J’y voyais une amputation, explique Muriel. Mais j’ai fini par
comprendre que Nasser serait plus serein vis-à-vis de sa famille
et de sa communauté. »
Leur crainte : que leurs enfants
perdent tout sens de Dieu
Autre sujet sur lequel « ça a coincé » : le
baptême des enfants, qui signifiait pour Nasser « leur
entrée dans la communauté des chrétiens ».
Muriel en a « fait son deuil », comme elle a accepté
que la croix offerte à Majda par sa mère ne soit pas
accrochée à côté du lit de la petite fille,
mais posée sur une étagère.
Les fêtes nécessitent également des «
ajustements ». L’an dernier, pour Noël, Nasser a
accepté que Muriel installe un calendrier de l’Avent et une
crèche, devant laquelle elle priait parfois avec Majda. De son
côté, Muriel permet volontiers à Nasser d’expliquer
aux enfants le sens du jeûne du Ramadan et propose de fêter
l’Aïd en famille.
Dorénavant, Muriel et Nasser, soucieux d’élever leurs
enfants dans un climat de foi respectueux de la fidélité
religieuse de l’autre, partagent une même crainte : qu’en
grandissant, Majda et Tarek, écartelés entre leurs
parents, cherchent à concilier l’inconciliable dans une sorte de
syncrétisme religieux – ou, plus grave, qu’ils perdent toute
confiance en Dieu, voire tout sens de Dieu.
Pour l’heure, ils tâtonnent. Récemment, le désir de
Muriel d’organiser avec le Groupe des foyers islamo-chrétiens
(GFIC) un éveil à la foi pour les petits a suscité
une nouvelle réflexion. Persuadé que ce serait « un
échec » pour eux s’ils ne transmettaient rien à
leurs enfants, Nasser est allé jusqu’à dire qu’il
préférerait une « orientation chrétienne
» plutôt que rien.
"On transmet d’abord ce qu’on est… "
Pour autant, rien n’est tranché. « Certains couples
islamo-chrétiens ont fait, avant de se marier, une sorte
d’inventaire des questions qu’ils auraient à résoudre
», constatent Muriel et Nasser, toujours engagés dans le
GFIC qui constitue pour eux un lieu – « parfois éprouvant
» – de réflexion et d’échange d’expériences.
« Pour notre part, les vraies questions, nous ne les avions pas
envisagées. Nous devons les résoudre au fur et à
mesure, pas avec des théories, mais au quotidien, dans notre
vie. Et cela se passe plutôt bien. Avec beaucoup d’amour et de
volonté, nous trouvons toujours une solution. »
Reste que le défi à relever est de taille. « Le
manque de temps, la crainte d’affrontements inutiles, la conscience que
reste enfouie en nous l’idée que notre religion est la
meilleure, tout cela fait que nous sommes tentés de remettre
à plus tard les discussions qui s’imposent »,
reconnaît Muriel, avant d’ajouter, fragile et
déterminée : « Nous sommes encore au début
d’un chemin qui nous oblige à nous recentrer sur l’essentiel et
à transcender nos différences. »
Nasser poursuit, posé, rassurant : « Si nous avons des
idées différentes sur Dieu, nous pouvons
reconnaître ce que nous avons en commun, une relation personnelle
à Dieu, des valeurs morales. Je ne m’inquiète pas. On
transmet d’abord ce qu’on est… »
Martine DE SAUTO
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14/10/2008 Salma , musulmane
émancipée en Grande-Bretagne
Comme sa famille, Salma se revendique
comme britannique, occidentale aux origines asiatiques, de gauche et
pratiquante
Le jour où, à 18 ans, Salma Yaqoob a décidé
de revêtir le foulard, ses parents, d’honorables Pakistanais
installés en Grande-Bretagne depuis les années 1960, se
sont inquiétés. Sa mère devait-elle se sentir
coupable de ne pas le porter ? Devaient-ils voir dans la
décision de leur fille un changement radical envers la religion
? « Il a fallu que je les rassure, se souvient Salma . Je voulais
qu’ils comprennent que pour moi, le hidjab est une affirmation, une
façon de dire que mon corps m’appartient. Mais le port du hidjab
doit être libre, pas imposé comme en Iran ou en Arabie
saoudite. »
Les parents n’étaient pas au bout des surprises avec leur fille.
« J’ai toujours été une enfant rebelle. À la
maison, on parlait religion. Nous avions des coutumes que l’on
assimilait à des pratiques religieuses, comme le fait que les
hommes mangent avant les femmes. Mes cousines étaient
mariées à l’âge de 16 ans, avec des hommes choisis
par leurs parents. Cela me dérangeait. Je ne comprenais pas
qu’il y ait deux poids deux mesures entre un homme et une femme.
À mes yeux, cela n’était pas juste. J’en voulais à
la religion musulmane qui consacrait ces différences. Je pensais
qu’elle donnait un chèque en blanc à tous ceux qui
estimaient que les femmes étaient inférieures aux hommes.
»
Salma a soif de comprendre. Elle s’informe sur d’autres religions
(judaïsme, hindouisme, bouddhisme, christianisme),
s’intéresse à la théologie de la
libération, au message de Martin Luther King. « J’ai
rencontré des prêtres, j’ai beaucoup lu sur les camps de
concentration, me demandant pourquoi Dieu n’était pas intervenu
pour empêcher ça. Je m’interrogeais beaucoup sur ma foi.
»
"Le Coran prône
l’égalité entre hommes et femmes"
Vers 18 ans, la jeune Pakistanaise se plonge dans une traduction du
Coran – celui-ci étant écrit en arabe, les musulmans non
arabophones ne peuvent le comprendre. « J’ai compris que,
contrairement à nos pratiques, le Coran prône
l’égalité entre hommes et femmes. Je m’attendais à
y lire des choses plus extrêmes. En fait, Dieu est
miséricorde, il pardonne. Dans le Coran, il est dit que l’on est
comptable de ce que l’on fait. Tout cela était beaucoup plus en
accord avec ce que je recherchais dans la religion. »
Sa sœur et elle sont les deux premières femmes de la famille
à avoir fait des études universitaires. « On s’est
battues pour ça. J’ai dû convaincre mon père que le
Prophète voulait qu’hommes et femmes soient
éduqués. Et lui prouver que rien dans le Coran ne dit le
contraire. » Diplômée en psychothérapie,
Salma se marie à 24 ans avec un médecin d’origine
pakistanaise comme elle.
Une nouvelle entorse à la tradition, qui veut que l’on se marie
au sein de la famille élargie. Salma , tout comme sa famille, se
revendique comme britannique, occidentale avec des origines asiatiques,
de gauche et pratiquante : « une identité multiple
». « Nous avons fêté l’Aïd (NDLR : qui
marque la fin du Ramadan), nous avons mangé de la nourriture
pakistanaise, comme il se doit, mais aussi chinoise et italienne !
»
Militante anti-guerre
Salma et son mari ont trois garçons de 5, 10 et 12 ans. «
Ils vont à l’école publique, parce qu’il y a davantage de
mixité que dans le privé. » Avec son mari, leur
langue commune est l’anglais, c’est aussi la langue de leurs enfants,
qui ne parlent pas l’ourdou, la langue officielle du Pakistan. Comme
toutes les mères du monde, elle est soucieuse quand elle pense
à l’avenir de ses enfants. « Je redoute cette
société dominée par la consommation, où
seules comptent les apparences. » « Je voudrais que mes
enfants retiennent l’importance de l’harmonie, de la tolérance,
du respect pour la communauté. Je voudrais aussi qu’ils soient
fiers d’être musulmans. Mais ils ne m’appartiennent pas, je ne
peux pas être sûre que c’est la voie qu’ils suivront.
»
Cette militante anti-guerre s’est, avec l’accord de son mari,
engagée en politique et a été élue en 2006
conseillère municipale à Birmingham. La campagne
électorale était redoutable, provoquant des oppositions
au sein de sa propre communauté, comme à
l’extérieur. Son père et son mari ont reçu des
menaces. Mais aujourd’hui, Salma est la première et seule femme
portant le hidjab au conseil municipal : « Une
mini-révolution. » Une victoire ? « À
condition, dit-elle, que l’on me considère comme la
représentante de tous, et non des musulmans. »
Tout irait pour le mieux si les attentats du 11 septembre 2001 aux
États-Unis, puis ceux du 7 juillet 2005 à Londres –
ceux-ci impliquaient des Pakistanais nés en Angleterre –
n’avaient ébranlé la confiance entre la population
musulmane et le reste de la société britannique. «
Depuis, nous les musulmans, nous nous sentons sous forte pression. On a
le sentiment d’être assiégés. Cette pression est
encore accentuée par la guerre en Irak et en Afghanistan.
Certains d’entre nous ont peur, d’autres sont en colère. Ces
attentats étaient immoraux, anti-islamiques et politiquement
irresponsables, puisqu’ils jetaient le discrédit sur toute une
communauté. »
"Bâtir des ponts"
Salma a réagi en organisant une marche pour condamner les
attentats. « Nous étions unis dans la peine. Parce que je
crois en l’humanité, dans la solidarité, il fallait
bâtir des ponts, parler haut et fort, sans quoi on allait penser
que nous approuvions. Communiquer était indispensable. »
Mais la confiance a été ébranlée. Cela a
laissé des traces. « Il y a ce sentiment que les musulmans
sont une menace culturelle, physique. Qu’ils sont l’ennemi. Il nous
faut nous battre contre cette image répandue parmi une
majorité de la population. Si nous critiquons le gouvernement,
nous sommes vus comme des traîtres. La pression est plus forte
pour que nous montrions notre loyauté. »
Et pourtant, la jeune femme continue à penser que le
multiculturalisme existe en Grande-Bretagne, qu’« il y a toujours
un espace de respiration ». « En tant que musulmane, je m’y
sens plus à l’aise que dans d’autres pays qui sont musulmans.
Ici, j’ai le droit de pratiquer ma religion, je peux voter,
l’éducation est libre, il y a un système de santé,
une justice, on s’occupe des gens vulnérables… En Arabie
saoudite, il faudrait que je me batte pour mes droits. Ici, il y a un
espace dans lequel nous nous sentons égaux. Mais il est
menacé par les conflits extérieurs. » Alors, comme
un nouveau défi, Salma se présentera aux prochaines
élections législatives pour le Parlement britannique. Agnès
ROTIVEL, à Birmingham
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15/10/2008 Leïla
et Zoubida, « petites reines » d’une famille nombreuse
L’islam, assorti de son rituel, tient
une place prépondérante dans la vie de ces deux femmes
d’origine marocaine qui, avec toute une famille, habitent dans une
cité de la grande banlieue parisienne
Avant de sortir de la pharmacie où elle travaille comme
préparatrice, Leïla ajuste soigneusement son foulard noir
sur ses cheveux, par-dessus une tunique à manches longues et un
pantalon sombres. « Tout le monde sait que je porte le voile,
mais je l’enlève pour travailler, par respect pour ma patronne
et les clients. Je sais bien que ce ne serait pas possible. »
La jeune femme quitte sans déplaisir les beaux quartiers
parisiens pour rejoindre Les Mureaux, la cité des Yvelines
où elle habite chez son frère, avec sa belle-sœur et
leurs enfants, près d’autres parents et parmi une importante
communauté marocaine : « Ici, il y a plus de gens comme
moi ! » Et de fait, se croisent au pied des immeubles femmes
voilées ou « en cheveux », jeans ou djellabas.
Leïla, 22 ans, a grandi à Lens, avec ses parents et ses
sept frères et sœurs. À 19 ans, elle a retrouvé le
chemin de la mosquée et la foi, comme une « illumination
» : « Dieu guide qui il veut, il égare qui il veut.
Je suis née musulmane. Maintenant je me sens guidée.
Beaucoup confondent tradition et religion : je pense que les jeunes
sont plus religieux que nos parents. » Depuis quatre mois, elle
est mariée à Rachid, chauffeur-livreur de 25 ans,
à la double nationalité, comme elle.
"Pour lui, épouser une bonne
musulmane est une garantie"
Religieusement seulement : l’imam a récité des versets du
Coran, et rappelé devant leurs témoins les droits et
devoirs des époux. La dot (2 000 €) a été
versée par Rachid au père de Leïla, qui a
aussitôt redonné cette somme à sa fille, pour son
usage personnel exclusivement. Et tout le monde a partagé un
repas pour officialiser leur prochaine union, en attendant la grande
fête où l’on invitera amis et famille.
« Jamais je ne me serais mariée aussi jeune sans la
religion. Cela nous a rapprochés, et a donné confiance
à mon mari. Pour lui, épouser une bonne musulmane est une
garantie. » Si Leïla ne vit pas encore avec son
époux, c’est qu’elle ne veut pas s’installer chez les parents de
Rachid : « On avait presque trouvé un appartement, mais la
propriétaire a changé d’avis en me voyant voilée
», déplore-t-elle.
La cohabitation semble facile avec Zoubida , 28 ans, la femme de son
frère, qui raconte : « Je suis née au Maroc.
Après le mariage au pays, on est allés habiter chez ma
belle-mère, dans le nord de la France. Et maintenant ici, aux
Mureaux, depuis la naissance du dernier. » Autour d’elle, Yacine,
Walid, Amine et Mehdi, âgés de 10 à 5 ans,
reçoivent une éducation religieuse : « Leur papy
les emmène à la mosquée. Je leur dis qu’il ne faut
pas mentir, pas voler, mais prier. Ce sont des garçons : ils
commenceront à faire le Ramadan quand ils auront 13 ou 14 ans
», assure Zoubida.
Souci d'éducation
Leïla aussi porte ce souci d’éducation : « Il y a
plein de choses qu’il faut inculquer aux petits enfants, on les oblige
au début et ensuite ils le feront naturellement, par exemple
invoquer et remercier Dieu avant le repas, “Bismillah !”.
L’école ne donne pas tout ça, et il y a de mauvaises
fréquentations… »
La mère de famille, qui reste à la maison pour s’occuper
des enfants et porte aussi le voile – « Je l’ai mis quand je suis
venue en France » – fait sa prière aussi souvent qu’elle
le peut, mais ne va pas à la mosquée : « Au Maroc,
oui. Mais mon mari me dit qu’ici, c’est mieux de prier à la
maison. Je parle aux voisines, mais c’est dur sans ma famille, ils me
manquent. »
Leïla, au contraire, revendique sa liberté : « Je
fréquente beaucoup la mosquée que j’ai choisie, parce que
l’imam fait des discours intéressants. J’y vais pour la grande
prière des femmes le vendredi, et tous les soirs pendant le
Ramadan. Les hommes et les femmes prient chacun de leur
côté : c’est seuls que Dieu nous jugera ! Pour moi, c’est
un chemin : je fais les prières et j’apprends ainsi à
mieux prier. Je lis le Coran et des livres, je mets le voile parce que
c’est une incitation à bien me comporter. On doit donner envie
de se convertir ! Il y a des idées fausses : pour beaucoup, le
voile signifie femme battue et enfermée chez elle. Au contraire,
il n’y a pas de religion où la femme est aussi bien
traitée que dans l’islam, c’est la petite reine, le bijou de son
mari, elle ne doit manquer de rien, à condition de rester
fidèle et sincère. »
"L’idéal, ce serait l’Arabie
saoudite..."
En ce mois d’octobre, la famille vient de fêter la fin du Ramadan
: « La prière, c’est personnel. Mais le Ramadan, c’est la
base de la religion, tout le monde le fait. Si on voyait quelqu’un se
mettre à manger pendant la journée, il se sentirait
vraiment mal. Pour moi, ce n’est pas dur. C’est un temps merveilleux,
béni, où quelque chose descend sur les corps et les
esprits. Le matin, on se lève avant l’aube, et le soir on se
rassemble pour “couper le jeûne”. Chacun a à cœur de
cuisiner de bonnes choses, de partager avec les voisins. À la
mosquée, on fait beaucoup de cadeaux pour les pauvres, il y a
des nuits de prière, une ambiance spéciale. Cette
année, pendant la “nuit du destin”, celle où le Coran a
été donné, j’ai assisté à la
conversion de huit Français : les hommes, après avoir
attesté de leur foi, se serraient dans les bras, c’était
très émouvant », poursuit Leïla.
Le regret de son couple ? Ne pouvoir observer complètement sa
religion en France. « On ne peut pas faire les cinq
prières quand on est au travail, il faut rattraper le soir. Et
puis, entre collègues, on juge, on dit du mal des gens, ce qui
n’est pas permis. Alors la foi diminue. » Ils envisagent de
revenir au Maroc, « mais même là, c’est devenu
francisé, libertin… » Où, alors ? «
L’idéal, ce serait l’Arabie saoudite. Mais je ne suis pas
sûre de pouvoir y vivre ! »
La jeune femme offre alors un sourire charmant – selon un hadith
(parole du Prophète), ce que l’on doit donner en premier, c’est
le sourire : « Quand je me promène avec ma grande robe et
le foulard, je vois bien les regards sur moi, l’incompréhension
et la peur. Ça me fait mal au cœur, et je voudrais leur dire que
les terroristes, le 11-Septembre et tout ça, cela n’a rien
à voir avec nous ! »
Guillemette de LA
BORIE
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16/10/2008 Huseyin,
un Allemand resté musulman
Huseyin , un Allemand resté
musulman. Installée de longue date à Berlin, la famille
Bozkurt a su s’insérer dans la société allemande,
sans renoncer à l’islam ni à ses traditions turques
Jusqu’au bout, son père se sera rêvé au volant d’un
tracteur. Jusqu’au bout, il aura caressé le projet d’un retour
sur sa terre natale, d’un retour à la terre, sur cette
exploitation qu’il avait quittée « pour cinq ans maximum
», le temps d’amasser un peu d’argent. Huseyin Bozkurt s’en amuse
encore. S’en émeut encore. Son père, arrivé
à Berlin en 1969, y est mort trente et un ans plus tard. Et s’il
est rentré définitivement dans son village d’Anatolie,
c’est au fond d’un cercueil, pour y être enseveli. « Jamais
il ne s’est senti chez lui ici », se souvient Huseyin ,
penché sur son verre de thé.
Longtemps, lui aussi s’est senti étranger dans cette ville qui,
à son arrivée en 1973, lui semblait « si grande
». Huseyin , alors âgé de 13 ans, ne connaissait pas
un mot d’allemand. De quoi attiser sa nostalgie, en partie
surmontée un an plus tard, une fois le regroupement familial
achevé. Le gouvernement ouest-allemand, qui avait fait venir de
Turquie des centaines de milliers de Gastarbeiter (littéralement
« travailleurs invités », ou travailleurs
immigrés), avait choisi de scolariser nombre de leurs enfants
dans des écoles où l’on parlait turc, où l’on
enseignait l’histoire de la Turquie, où l’on se contentait
d’apprendre la langue de Goethe quelques heures par semaine… Une langue
que le jeune Huseyin s’était vraiment appropriée en
jouant avec ses voisins allemands, avant d’entamer une formation de
maçon, puis de passer son bac et de décrocher un
diplôme d’ingénieur.
« L’État cherchait de la main-d’œuvre. Mais ce sont des
hommes qui sont venus », commente Huseyin . Son père, qui
passait ses nuits à nettoyer les quais du métro, avait
beau l’inciter à « apprendre vite, pour pouvoir rentrer au
plus tôt en Turquie », l’étudiant savait, en son for
intérieur, que ces valises restées prêtes à
l’emploi, au sommet des armoires, ne serviraient plus désormais
que pour les vacances.
« L’assimilation est un crime
contre l’humanité ».
Après avoir travaillé pendant dix-huit ans au service de
diverses entreprises, Huseyin a fondé un bureau en
ingénierie du bâtiment, en partenariat avec Achim, un ami
allemand – « mieux qu’un frère » – qui avait
partagé avec lui l’essentiel de son cursus de formation. Et
quand Nevin, l’aînée des deux enfants, a soufflé sa
cinquième bougie, la famille Bozkurt a quitté Kreuzberg,
le quartier turc de Berlin, pour s’installer à quelques
kilomètres de là, à Tempelhof, dans un confortable
appartement qu’elle habite aujourd’hui encore. Nevin comme son
frère Beyhan ont fréquenté le jardin d’enfants
protestant. « Le pasteur, surpris, m’a demandé pourquoi
nous avions fait ce choix. Je lui ai répondu par l’interrogation
: transmettez-vous aux enfants quoi que ce soit qui puisse nuire
à leur avenir ? », se souvient Huseyin .
Pas question pour autant d’enfouir ses racines. Huseyin,
secrétaire général d’une structure qui chapeaute
la cinquantaine d’associations turques de Berlin, partage le point de
vue de Recep Tayyip Erdogan. En février dernier, le premier
ministre turc avait provoqué une vive polémique en
déclarant, lors d’un meeting à Cologne, que «
l’assimilation est un crime contre l’humanité ». «
S’intégrer, bien sûr, mais pas au prix d’une perte
d’identité, paraphrase Huseyin . Je ne vois pas pourquoi une
avocate qui a un passeport allemand et paie ses impôts en
Allemagne ne serait pas intégrée au motif qu’elle porte
le voile ! »
Nevin, sa fille, a choisi, elle, de ne pas couvrir sa tête.
« Je m’étais dit que je le ferais peut-être
après avoir bien étudié l’islam. Mais je me suis
habituée à mon image sans voile », confie cette
étudiante en commerce international. Seule la mère,
Zeynep, a conservé ce voile qui la conforte dans son statut de
garante des traditions.
"Le fossé culturel, tôt
ou tard, met le couple en péril"
Cette femme au regard caressant, Huseyin l’a ramenée de son
village natal. « Nous nous fréquentions sur les bancs de
l’école. Très tôt, nous nous sommes promis le
mariage », raconte-t-il. Assise à ses côtés,
Zeynep confirme d’un hochement de tête. Intimidée par les
déclinaisons de la grammaire d’outre-Rhin, cette
couturière de formation comprend l’allemand mais ne le parle pas
vraiment, malgré le cours suivi il y a une dizaine
d’années. « C’est un sujet de dispute entre nous »,
avoue son mari, qui s’empresse cependant d’ajouter : « Mon
épouse est bien plus qu’une femme au foyer. Dans le quartier,
elle joue le rôle officieux d’assistante sociale ! Au moindre
problème avec le mari ou les petits, on sollicite son
écoute et ses conseils. »
Nevin devra-t-elle à son tour « importer » un mari ?
« Je ne le conseillerais qu’aux personnes nées
elles-mêmes en Turquie. Car le fossé culturel, tôt
ou tard, met le couple en péril », estime Huseyin . Pas
question non plus d’envisager pour sa fille un mariage «
arrangé », une réalité « beaucoup
moins courante qu’on ne le croit ». Pour autant, Huseyin et sa
femme préféreraient, « dans l’idéal »,
voir leurs enfants se marier au sein de la communauté turque.
Nevin, elle, s’en accommode. « À travers les époux,
ce sont aussi deux familles qui se marient », dit-elle.
Et puis, il y a « la question de la religion », comme vient
le souligner, pendant notre discussion, le déclenchement d’un
réveil peu ordinaire, qui diffuse cinq fois par jour l’appel
à la prière. Huseyin , sa femme et sa fille respectent
ces rendez-vous rituels. Beyhan, lui, se contente de la prière
du matin, et il ne jeûne qu’un jour sur deux en moyenne durant le
Ramadan, « pour pouvoir continuer à pratiquer le basket
».
Ethique
« Trop souvent, on se focalise sur le respect des “cinq piliers”,
mais l’islam est là aussi pour nous aider à vivre en
société », commente son père. Qu’il s’agisse
de partager le mouton avec les voisins allemands au moment de
l’Aïd, ou d’aborder les affaires avec une certaine éthique.
Une éthique qui, « cela dit, est semblable à celle
de mon associé chrétien », souligne-t-il.
Depuis quelques années, tous les membres de la famille Bozkurt
possèdent un passeport allemand. Les formulaires de demande de
nationalité, avoue cependant Huseyin, sont restés
plusieurs années dans un tiroir. « Physiquement, nous ne
ressemblerons jamais à des Allemands », souffle-t-il,
évoquant entre rire et amertume la mésaventure
vécue récemment par son frère, lui aussi berlinois
depuis plus de trente ans. Par mégarde, celui-ci s’est
engagé avec son véhicule dans une voie privée. Un
piéton l’a aussitôt interpellé : « Le code de
la route s’applique aussi aux étrangers ! »
Denis PEIRON,
à Berlin
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19/10/2008 Regain de
pratique religieuse chez les musulmans de France
Les estimations situent le nombre de
musulmans vivant en France à
l’intérieur d’une fourchette allant de 3,5 à 5 millions
de personnes
La présence de l’islam en France est ancienne. Certains
musulmans venus
de l’empire colonial, combattants de la Première Guerre
mondiale, sont
restés en métropole dans l’entre-deux-guerres. Cette
période est aussi
celle d’une première immigration de musulmans venus notamment
d’Afrique
du Nord.
En 1936, on recense 84 000 Nord-Africains, essentiellement musulmans,
en métropole. Les Trente Glorieuses donnent une impulsion
décisive à
l’immigration en provenance du Maghreb. En 1968, on recense 610 076
immigrés de cette provenance en France. Leur pratique religieuse
est
privée, intériorisée, parfois honteuse.
Un nouveau virage s’amorce à la fin des années 60 et se
poursuit durant
la décennie suivante. Le regroupement familial prend le relais
de
l’immigration économique, interdite à partir de 1974 en
raison de la
crise économique. C’est la fin du modèle migratoire
où les immigrés,
célibataires, rentraient le temps venu définitivement au
pays et
étaient remplacés par une nouvelle
génération. Dès lors que la France
n’est plus un lieu de passage mais un pays d’accueil définitif,
les
musulmans vont progressivement y affirmer leur identité.
Combien de musulmans ?
Les estimations situent le nombre de musulmans vivant en France
à
l’intérieur d’une fourchette allant de 3,5 à 5 millions
de personnes.
Parmi eux, il faut distinguer les musulmans de nationalité
française,
qui appartiennent essentiellement à trois groupes : les
Français
musulmans, rapatriés d’Algérie en 1962 ou vivant dans les
départements
et territoires d’outre-mer ; les convertis, évalués
depuis une
quinzaine d’années à 40 000 personnes ; enfin, les jeunes
de la seconde
génération, nés en France. Quant aux musulmans de
nationalité
étrangère, ils se répartissent notamment entre
Maghrébins (formant la
majorité des musulmans de France), Turcs (d’immigration plus
récente),
Africains noirs (en majorité venant du Mali et du
Sénégal) et
Asiatiques (Pakistanais, Indiens, Indonésiens). Il faut ajouter
les
étrangers en situation irrégulière.
Où sont-ils ?
La carte de répartition des lieux de culte, recensés pour
les élections
du Conseil français du culte musulman (CFCM), confirme les
chiffres
publiés en 2000 par La Documentation française dans
L’Islam en France.
Les musulmans se trouvent principalement en Île-de-France (35 %),
en
région Paca (20 %), en Rhône-Alpes (15 %) et dans le Nord
(10 %). Ils
sont surreprésentés en Alsace (3,4 %), en
Île-de-France (3 %), en Rhône
Alpes (2,7 %), en Paca (2,2 %), en Franche-Comté (1 %),
Languedoc-Roussillon (1,8 %) et dans le Nord-Pas-de-Calais (1,7 %).
Quelle pratique ?
Les enquêtes et sondages révèlent un regain de la
pratique religieuse
musulmane en France, après une légère stagnation.
La fréquentation des
mosquées et salles de prière reste une affaire d’hommes
(26 % des
hommes, contre 8 % des femmes). Celles-ci semblent en revanche un peu
plus assidues à la prière quotidienne (35 %, contre 32 %
des hommes).
Les musulmans les plus pratiquants sont en majorité originaires
d’Afrique subsaharienne ; on trouve ensuite les Marocains, les Turcs et
les Tunisiens. Le jeûne du Ramadan reste le marqueur identitaire
par
excellence de l’identité islamique ; sa pratique est en nette
hausse.
Les plus nombreux à respecter intégralement le
jeûne sont les plus de
55 ans et les moins de 24 ans.
Les courants
On distingue généralement l’islam «
modéré » d’un islam « intégriste
»
ou « fondamentaliste », le premier réputé
paisible, soucieux de la
laïcité et désireux de se fondre dans la
société, quand le second
serait prêt à en découdre avec les institutions. La
réalité est plus
complexe.
Les musulmans ayant une pratique « familiale », faite de
traditions
propres à chaque pays (sur fond d’école malékite,
par exemple, pour les
Maghrébins et les Africains subsahéliens), sont toujours
bien présents.
Mais d’autres courants se sont implantés en France,
déterminant des
typologies de pratiquants différentes.
Certains se réclament du courant « réformiste
», incarné par les Frères
musulmans et par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF),
et revendiquent un égal attachement à la
citoyenneté et à la
nationalité française. Profondément religieux, ils
sont très engagés
dans la société et donnent à l’acte de croire une
implication
résolument politique.
Le juridisme étroit attire aussi un nombre non
négligeable d’adeptes.
Le Tabligh, mouvement d’origine indo-pakistanaise qui propose un islam
ritualisé et missionnaire et façonne des dévots
piétistes, s’est ainsi
implanté dans certains quartiers, où s’est
également enraciné le
salafisme, qui prétend incarner l’islam authentique.
À l’opposé, le soufisme, qui, jusqu’ici, était
réservé à une élite
spirituelle et optant pour la discrétion, se
«démocratise» et attire de
nouveaux venus à l’islam. Des musulmans qualifiés de
libéraux ont par
ailleurs une approche critique des sources de la foi, notamment de la
dimension juridique de l’islam. Nombreux dans l’élite
intellectuelle
arabo-musulmane, ils entretiennent avec la religion une relation plus
cérébrale que rituelle, privilégiant une lecture
individualisée du
texte coranique dont ils s’efforcent de réactualiser le sens.
L’« individualisation » du croire, telle que l’a
analysée de manière
générale Danièle Hervieu-Léger, concerne un
certain nombre de musulmans
qui construisent des modes de pratique variant au gré de leurs
rencontres et de leurs lectures. Émerge également un
courant musulman
laïque.
À la marge de tous ces courants existent enfin des mouvements
très
minoritaires et marginaux, parmi lesquels des chiites, des kaplancis
turcs ou encore des habacchites.
Martine DE
SAUTO
Source : Les Musulmans en France, de
Bernard Godard et Sylvie Taussig. Éd. Robert Laffont.
L’école
apprend à maîtriser le « choc des
sensibilités »
Phénomène relativement
marginal, des élèves invoquent une identité
musulmane pour contester la parole des professeurs sur des sujets
religieux ou scientifiques
Laurent se souviendra longtemps de sa première inspection, il y
a cinq
ans, dans un collège parisien. Ce jour-là, l’enseignant
d’histoire-géographie devait faire cours sur l’histoire des
Hébreux.
Mais, dans le contexte de la « seconde Intifada », il
s’avéra
impossible pour lui d’aborder ce point du programme de sixième.
« Les élèves musulmans, majoritaires dans la
classe, hurlaient. J’avais
beau leur expliquer que pour respecter l’ordre chronologique, on
aborderait d’abord les juifs, puis les chrétiens, puis les
musulmans,
rien n’y faisait. Je n’ai pas su reprendre le dessus », se
souvient ce
professeur, aujourd’hui en poste dans le Val-de-Marne.
Depuis, Laurent aborde la question de l’islam avec grande prudence.
«
J’explique d’emblée la différence entre la croyance, qui
ne se discute
pas, et l’histoire, qui se base sur des faits scientifiquement
établis.
» Mais cela ne suffit pas forcément.
Des crispations qui connaissent
parfois des pics
« Un jour, alors que nous étudiions le monde musulman,
j’ai sorti un
exemplaire du Coran qui m’avait été offert par un ami. Un
élève est
alors intervenu : “Ce n’est pas possible, Monsieur. Vous êtes
impur.
Vous ne pouvez pas toucher le Coran !” Sous l’effet de la surprise,
j’ai reposé ce livre, avant de me ressaisir et de poursuivre mon
cours
comme je l’avais prévu. »
Marginaux, les incidents de ce type surviennent essentiellement en
cours d’histoire. « On met en doute la crédibilité
du professeur qui
parle de l’islam, ou bien on remet en cause l’enseignement de la Shoah
en contestant le statut de victimes accordé aux juifs »,
note Laurent
Wirth, doyen de l’inspection générale.
Des crispations qui connaissent parfois des pics, selon la situation au
Proche-Orient ou la conjoncture générale. « Mais
n’allez pas croire que
les classes sont à feu et à sang », insiste Laurent
Wirth, qui dit
avoir vent de quelques dizaines de cas par an à l’échelle
du pays.
Comme le souligne Nicolas Renard, principal d’un collège
d’Asnières
(Hauts-de-Seine), ces incidents « relèvent le plus souvent
de la
provocation ». Ce chef d’établissement se souvient ainsi
d’un élève
exclu pendant une semaine pour avoir, en cours d’histoire,
contesté
l’autorité de son enseignant, lui coupant la parole et «
balançant au
passage quelques slogans sur Ben Laden ».
Les conflits éclatent lors des
débats sur la sexualité
Les crispations peuvent cependant se montrer plus profondes. Ce peut
être le cas en sciences de la vie et de la terre (SVT), autre
discipline théâtre d’incidents. « Depuis plusieurs
années,
régulièrement, des élèves interrogés
sur la théorie de l’évolution
glissent dans leur copie une formule du type : “Nous avons
répondu ce
que vous nous avez appris, mais nous n’y croyons pas” », indique
Annie
Mamecier. Cette doyenne de l’inspection générale en SVT
organise
d’ailleurs, les 13 et 14 novembre à Paris, un colloque
intitulé «
Enseigner l’évolution » pour aider formateurs et
inspecteurs à réagir
en pareils cas.
« Quand je parle d’ancêtres australopithèques, je
vois bien que
certains élèves de culture musulmane n’y croient pas
», raconte pour sa
part Pierre Vernex, enseignant de SVT en Seine-Saint-Denis. Mais c’est
au cours de débats organisés, hors programme, autour de
la sexualité
que les conflits peuvent éclater : « Certains
garçons, poursuit
l’enseignant, considèrent que les filles n’ont pas à
connaître le
processus de reproduction et qu’elles n’ont pas à se prononcer
sur la
question… »
Si au sein de l’école publique, pareils incidents surviennent le
plus
souvent avec des élèves musulmans, c’est peut-être
que les plus
croyants d’entre eux – à l’inverse de catholiques
traditionalistes ou
de juifs ultra-orthodoxes – ne peuvent étudier dans les
très rares
établissements privés en phase avec leurs convictions.
Barbara
Lefebvre, professeur d’histoire-géographie en banlieue
parisienne, y
voit surtout une tentative de manipulation orchestrée par des
groupes
radicaux.
« Cela dit, cette manipulation a changé de forme depuis la
loi de 2004
sur les signes religieux à l’école, qui a posé des
limites claires :
maintenant, elle passe plutôt par des mamans voilées qui,
en
accompagnant les sorties de classes par exemple, se rendent
indispensables au fonctionnement de l’école », soutient
cette
responsable de la commission Éducation de la Ligue
internationale
contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).
«Ce n’est pas le choc des
civilisations, mais des sensiblités»
Jean-Paul Willaime, directeur de l’Institut européen en sciences
des
religions (IESR, fondé par Régis Debray), livre une tout
autre analyse
: « Il y a souvent, parmi les musulmans de France, un sentiment
de
minorité culturelle, parfois renforcé par une
précarité économique. Ils
ont l’impression de ne pas être reconnus dans leur
identité. D’où une
certaine méfiance à l’égard de l’école. ,
mais plutôt celui des
sensibilités. »
Pour ce sociologue, la façon dont on parle de religion à
l’école, avec
une exigence de démythification, heurtera toujours les tenants
d’approches anhistoriques, traditionalistes. « Mais si les
catholiques
et les protestants ont largement intégré cette dimension
scientifique à
leur démarche de foi, les musulmans ont encore beaucoup à
parcourir sur
cette voie », estime-t-il.
Un point de vue que partage Fouzia Oukazi, professeur d’histoire dans
l’Essonne. Cette musulmane pratiquante se dit « tout à
fait à l’aise »
avec les principes de laïcité. « L’approche
historique, scientifique,
des religions est une richesse pour le croyant », affirme-t-elle.
L’enseignante se souvient d’une sortie de classe à la
bibliothèque de
Massy pour visiter, questionnaire en main, une exposition sur la Bible,
le Coran, les Évangiles. « Je leur ai parlé
notamment du patrimoine
chrétien, les incitant à pousser un jour la porte d’une
cathédrale.
Jamais je n’ai eu la moindre réaction négative. »