Bien chers Amis,
Parmi les événements qui ont marqué
mon séjour en famille, je voudrais revenir sur la célébration
d’un double jubilé : celui de ma sœur Solange, Fille de la Charité,
qui a fêté ses quarante ans de vie religieuse, et le mien qui
a marqué mes quarante ans de vie sacerdotale. Nous n’avons pas fêté
quarante ans de traversée d’un désert qui nous ferait aboutir
enfin sur la Terre Promise ! Mais bien plutôt une tranche de vie où
s’entrecroisent la fidélité de Dieu, de notre famille et de
ces nombreux amis qui nous ont fidèlement accompagnés.
Cette célébration s’est voulue sous le double signe du
partage de nos différences et de nos déserts
respectifs. Solange se trouve depuis assez longtemps engagée,
dans le désert des villes, auprès des gens de la rue. Ce désert
n’est pas sans lien avec celui où je vis ma vocation. Les personnes
qui ont élu domicile dans les rues sont souvent aussi seules que
les nombreux migrants perdus dans les immensités dénudées
du Sahara et aussi abandonnées que les familles des camps de réfugiés
sahraouis de Tindouf.
Nous avons cependant choisi de porter, sur les uns comme sur les autres,
un regard qui préserve leur inestimable dignité. Béatifiés
par le Christ, ce sont eux, les premiers : pauvres, abandonnés,
oubliés, qui nous donnent des leçons de solidarité et
d’humanité. Nous le constatons tous les jours. Il suffit d’ouvrir
les yeux.
A notre époque, l’exil forcé et l’exclusion
sont plus terribles encore que la désertification ou le réchauffement
de la Planète.
Ce qui menace le plus la survie de notre humanité
c’est la stérilisation et le refroidissement des cœurs et des sociétés
modernes. Fort heureusement, des hommes et des femmes de toute condition
et de toute origine, de tout horizon, continuent inlassablement de croire
en l’avenir de l’humanité par des comportements et des actions solidaires.
Et beaucoup le font au nom même de l’Evangile.
Au cours de l’été, un ami aumônier de prison m’a offert
un ouvrage qui m’a suivi dans tous mes voyages :
" De la difficulté
d’évoquer Dieu dans un monde qui pense ne pas en avoir besoin "
; Son auteur est le
Cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, nouveau
Président
de Caritas International, et archevêque de Tegucigalpa, capitale
du Honduras. Cet homme d’Eglise, au parcours assez impressionnant, affronte
les grands défis de notre époque avec une audace peu ordinaire,
dans un langage direct, loin du piétisme et de la langue de bois.
La lecture de ses entretiens m’a beaucoup touché parce que cet
apôtre continue de tracer inlassablement l’un des chemins essentiels
de notre engagement chrétien:
" C’est le rôle
de l’Eglise d’éveiller les consciences. Inculquer la solidarité
comme une règle de vie et non comme une belle idée abstraite.
Le contenu de la solidarité s’enrichit lorsqu’on le situe dans
la perspective chrétienne. Notre Dieu est solidaire. L’affirmation
du monothéisme religieux est en même temps un monothéisme
éthique. Dieu est avant tout le défenseur de celui qui est sans
valeur aux yeux des hommes. La solidarité est une façon de
témoigner de l’existence de Dieu. "
La citation est longue, mais à l’heure où le piétisme
et l’enfermement religieux sont une tentation menaçante pour les croyants,
il est peut-être bon d’entendre la voix de ce prophète plusieurs
fois menacé de mort. Que ce message vienne reverdir les grands déserts
de nos vies et de nos sociétés!