Bien chers Amis,

1 = 47 >< 99 = 53. Ainsi, d’après un sondage récent plusieurs fois signalé dans les médias, 1% de la population de notre Terre capitalise 47% de ses richesses et 99% se partage…. 53% ! C’est ainsi que se répartissent les biens de notre « maison commune » comme la nomme souvent le Pape François. Pour parler des plus démunis de ces 53%, nous célébrons, aujourd’hui ce 20 juin, la Journée des Personnes Déplacées. Les Nations Unies en comptent plus de 65 millions à travers le monde, le plus grand nombre d’entre elles se situant en Afrique. Ces chiffres peuvent paraître théoriques… Ils le sont moins lorsque l’on est témoin de scènes comme celles que nous transmettent les médias sur les drames qui se vivent dans la Méditerranée ou encore dans notre grand Désert saharien. Ces derniers jours, on vient de trouver 32 cadavres de migrants non loin de la frontière à l’intérieur du Niger, tout près de l’Algérie. Ils étaient en route vers ce qui aurait pu être la première étape vers un monde meilleur, et leur chemin a été tragiquement interrompu, en plein désert, par le lâche abandon de leurs passeurs. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg.

Récemment, je me suis rendu avec Jean-François visiter la communauté chrétienne de Tamanrasset. C’est la plus grosse « paroisse » du Diocèse, composée essentiellement de chrétiens en migration. Parlant avec un couple camerounais, nous avons pu une fois encore toucher du doigt ce tragique qui se cache sous une trompeuse sérénité. C’est un véritable esclavage moderne qui se dissimule derrière ces migrations. Elles sont, ne l’oublions pas, la source d’un rapport qui dépasse sans doute très largement celui des antiques négriers ! Et ceux qui en tirent les ficelles y trouvent large profit. Il faut en moyenne pour un candidat à la migration réunir une somme allant de 3 000 à 5 000 Euros. Et cette somme est arrachée à la famille et aux proches pour tomber dans l’escarcelle de ces passeurs. L’échec n’est pas permis au voyageur, sous peine d’endurer la honte et l’opprobre en cas de retour bredouille à la case départ.

Notre conscience chrétienne en est fortement interpellée : nous ne pouvons plus considérer la migration comme un phénomène secondaire et passager. Elle fait désormais partie des défis propres à notre Église.
Au cours de la dernière CERNA à Tanger, nous avions invité Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar. Il nous a fait part de sa propre expérience auprès des candidats à la migration dans les faubourgs de Dakar. Il a su nous redire à quel point sa conscience de pasteur se laissait déranger par ces hommes et ces femmes en passe de faire ce choix. J’ai retenu deux points qui peuvent nourrir notre engagement, notre réflexion et notre prière.

* Le premier touche notre foi et notre rapport personnel à Dieu. Les personnes en migration nous rappellent que la mobilité a une dimension spirituelle. Elle nous ramène à Abraham, notre ancêtre dans la foi. Dieu l’a fait migrant en l’envoyant vers une terre inconnue. La longue épopée du Peuple de Dieu en exil nous montre un Dieu pèlerin marchant avec son peuple. Sur cette Terre, nous sommes des hommes et des femmes en marche, toujours en mouvement, ce qui nous ramène à notre situation précaire de simples pèlerins sur cette Terre.

* Une autre dimension de notre vocation chrétienne est provoquée : c’est la miséricorde. Se référant à la parabole du Samaritain, Mgr Benjamin commentait : «Parler de la miséricorde nous met ‘’tellement’’ à l’aise ! La charité est incontournable ». Il ne faudrait pas en effet laisser les mots s’user et se banaliser. Le mot « miséricorde » peut subir tellement de contresens ! La miséricorde ne peut pas s’habiller en une charité condescendante. Elle nous presse à regarder cet autre, cette personne en migration comme une part de nous-mêmes !

Nous voici ramenés à assumer notre destin commun et à réduire par là le grand écart qui nous sépare les uns des autres.

 +Claude, votre frère évêque.