Amis du Diocèse du Sahara (ADS)
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(cliché G.B.)

DIOCESE de Laghouat-Ghardaïa
BILLET MENSUEL SEPTEMBRE 2010

Bien chers amis.
   
             Pour ceux et celles d’entre nous qui sont restés au Sahara, il faut parler d’une expérience un peu particulière. D’abord parce que c’est l’été. Et aussi parce que nous sommes en plein Ramadan ! La conjonction de ces deux temps n’est pas des plus faciles à vivre pour nos amis de l’Islam. Il fait très chaud et les journées sont longues pour un jeûne qui va du lever au coucher du soleil.

             Mais comment, nous, chrétiens, vivre ce mois ? Comment ne pas rester marginaux, à l’écart ? N’y a-t-il pas là une occasion de nous rapprocher les uns des autres ? Pendant ce mois,  nous mesurons plus que jamais et notre différence… et notre proximité ! Nous ne faisons pas le Ramadan. Mais nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le bouleversement que vit la société durant ce mois. Nous ne pouvons pas fermer nos oreilles à l’appel à la prière (surtout à l’appel du matin lorsque nous sommes proches d’un minaret…), ni aux récitations et incantations des soirées. Par ailleurs les invitations abondent à partager le repas de rupture du jeûne (le « ftour »), ou encore le thé et les gâteaux traditionnels. Je vous dirais que cette année, je n’ai jamais fait autant de visites. Et je ne suis sûrement pas le seul dans ce cas.

            Il n’est pas question de les  faire le matin. Il est réservé au travail, au repos, aux achats, au marché. Jusqu’à midi les rues débordent de gens. Et tout s’arrête après la prière du Midi jusqu’à l’appel à la prière du « Maghreb », juste après le coucher du soleil. Les visites ont donc lieu le soir, soit pour le « ftour », soit après la prière des « Tarâouihs ». J’ai eu la curiosité d’aller consulter le dictionnaire sur ce dernier mot. Il vient de la racine « ruh » qui indique à la fois le souffle de la vie (l’esprit) et le vent. C’est le temps où l’on se refait l’esprit dans le souffle du soir ! Beau, n’est-ce pas, comme expression ! Les « tarâouihs » se déroulent dans les mosquées qui débordent de monde. Après la privation de toute boisson et de toute nourriture après la rupture du jeûne, vient la récitation du Coran, l’écoute des prêches dans les mosquées. Le Ramadan est un peu une « grande retraite » pour nombre de Musulmans !

            Comme l’an dernier, cette année, j’ai entrepris une lecture de l’ensemble du Coran, dans une version française « accréditée », tout en lisant dans la version arabe originelle tel ou tel verset qui rejoint davantage notre tradition chrétienne. Je le vis comme une expérience personnelle. Mieux connaître les Ecritures dont se nourrissent les Musulmans, c’est mieux les connaître. Le Coran est leur Livre-Source. Un ami musulman, sachant que j’avais entrepris cette lecture, m’a demandé ce que cela représentait pour moi. Je lui ai répondu que ce Livre n’était pas une référence pour ma foi, que je ne le considérais pas comme « inspiré » comme les Ecritures Chrétiennes. Mais sachant qu’il était pour les Musulmans la source de leur foi, je me devais me pencher sur leurs Ecritures. Ce n’est pas du « voyeurisme », de l’amalgame, de la curiosité, mais une démarche qui me permet de mieux connaître et donc de mieux aimer. Je trouve dans certains passages le souffle des Psaumes, la vénération des Patriarches de la Bible, et de beaux versets sur Jésus. Certains passages me ramènent à la grandeur de notre Dieu Créateur. Il y a dans le Coran un rappel de la Transcendance et de l’Unité absolue de Dieu qui ne peuvent qu’atteindre le petit lecteur que je suis et le conduire aussi à la louange. Voilà, c’est une façon de « sanctifier » ce temps du Ramadan.

         Notre Communauté Chrétienne ne peut être que sensible à ce qui se passe autour de nous. Nous faisons mention de ces nombreux amis qui vivent ce temps à la fois de privation et de fête. Notre prière est aussi une façon de les rejoindre.
        Viendra le temps de « notre » Carême. Le sérieux avec lequel nombre de nos amis vivent le leur ne pourra qu’être un stimulant pour mieux vivre le nôtre !


+ Claude, votre frère évêque.
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Nouvelles…. Pour rester proches

        *Les Sœurs de la Charité Maternelle viennent de terminer leur Chapitre près de Bunia (Congo RCD). Elles ont élu une nouvelle Supérieure Générale, Sr Elisabeth UCUKI, ainsi qu’un nouveau Conseil. Nous leur souhaitons confiance, force et audace dans leur mission. Et nous les assurons de notre soutien et de notre prière fraternelle.

         *Le P. Jean Toussaint a accepté de nous accompagné tout au long de l’année, dans la mesure de sa disponibilité, pour prolonger notre réflexion de l’an dernier sur « Culture, Religion et Foi ». Une réunion de préparation aura lieu le 17 avec les Responsables de Secteurs à Ghardaia pour mettre en route le programme de l’année.

          *La Pte Sr Hayat, après une opération assez délicate, a commencé sa « chimio ». Elle est dans la communauté du Tubet à Aix en Provence (Fr.). Aux dernières nouvelles, elle avait bien supporté son traitement. Et elle fait déjà des projets de retour, mais pas avant plusieurs mois.   

          *Nous sommes toujours dans l’attente des visas de Catherine Chapelle et de Marek Nasilowski (pour Tam), de Patrick et Anne de Boissieu (pour Ghardaia), de Sr Sini (Sœurs de l’Immacolata). Et aussi de Byishimo Alphonse (de nationalité rwandaise) pour son stage à la communauté des Pères de Ghardaia. « Mieux vaut la patience que la prétention » dit le Sage de l’Ecclésiaste… (Qo. 7,8)

           *Responsabilités. Emmanuel Auphan a accepté de prendre la responsabilité du Service Culturel, succédant au P. Miguel Larburu. Pte Sr Marie Agnès a accepté de prendre la responsabilité du Secteur du Hoggar.

            *Cela n’a pas été signalé, mais en juillet (le 21) nous avons appris le décès du Pt Fr Abdallah (Louis Pilate) à l’hôpital St Jean de Dieu à Marseille). Il avait 87 ans et avait passé une cinquantaine d’années à Tazrouk. Il était hospitalisé depuis 5 ans. Vous trouverez en annexe quelques traits du parcours et du portrait d’un homme qui a tout donné de sa vie au Hoggar. Et quelle vie ! Il s’est trouvé (mais  le hasard existe-t-il ?) que le P. Daniel Archambaud, qui venait de quitter Tamanrasset avec un ami, était de passage à Marseille. C’est donc lui qui a présidé les funérailles du Fr. Abdallah avec quelques Petits Frères de la région.

            *Dans le courant du mois de septembre, la communauté des Pères de Ouargla va accueillir le P. Jean Gaignard. Pour lui, ce sera un retour à la source parce que c’est dans cette grande oasis qu’il a commencé sa vie missionnaire. Il était en charge du Centre de Formation Professionnelle d’alors. Ses anciens élèves sont probablement en retraite… Bienvenue à Jean dans une ville qui a sûrement changé de visage…

            *Les Petites Sœurs de Jésus retrouvent leur vocation première à la vie nomade : leur Noviciat va se poursuivre à Touggourt pour quelque temps avant d’aboutir à Beni Abbès. Notre évêque va leur donner une session sur l’évangile de Marc du 21 au 27 septembre.

            *La Pte Sr Marie Jo va prolonger quelque temps sont séjour en France pour quelques ennuis de santé. Elle a bien sûr hâte de revenir retrouver ses Sœurs à Tamanrasset !

            *Le Pt Fr. Sbyscek, de l’Assekrem, va rejoindre l’Europe. Il restera quelque temps en Pologne pour la visite de quelques Fraternités. Il y rencontrera peut-être Marek dans son exil… à moins que le visa tant attendu ne soit arrivé. In shâ Allah !


Abdallah. (Louis Pilate) 1923-2010

« Un cœur comme ça ! »
   
    Comme je me vois incapable de raconter la vie d’Abdallah, je me contenterai d’en donner quelques bribes, telles qu’elles restent dans ma mémoire.
   
    Lorsqu’il est arrivé au Hoggar en 1953, il voulait partager au maximum la vie des touaregs. Il commença donc par apprendre la langue puis il partit au Mali avec une caravane pour mieux connaître cette vie et pratiquer la langue. Mais comme les touaregs n’étaient pas pressés de revenir au pays, il décida de rentrer tout seul avec ses deux chameaux et ses deux guerbas d’eau. Il avait décidé que si une guerba était vide avant d’avoir atteint le point d’eau suivant, il ferait demi-tour. En fait cela ne s’est pas présenté.
    Une fois, en arrivant à un campement, les femmes lui demandèrent de leur prêter de son eau en attendant que celles parties en chercher, reviennent. Il finit par s’apercevoir que personne n’était parti car il n’y avait pas de point d’eau…Les gens ne buvaient que du lait de chamelle. Alors il partit vite avec son eau.
   
    Lorsque le 31 décembre 1957, il arrivait à Tazrouk avec André Salvan pour y fonder la Fraternité, c’était la misère. Les gens du Hoggar vivaient sans doute comme du temps du père Charles de Foucauld. Il fut d’une grande aide pour les habitants tout en partageant leur vie. C’est surtout à partir de 1967 qu’il permit au village de décoller en fournissant un camion tout-terrain pour emporter le produit des jardins (surtout des tomates sèches) et rapporter du ravitaillement.
Jusqu’alors tout se faisait à chameaux par Tamanrasset (4 ou 5 jours de marche). Il fournit aussi les trois ou quatre premières motopompes qui remplacèrent progressivement les foggaras : il y en avait une vingtaine, il y a aujourd’hui des centaines de motopompes.
    Les gens avaient tellement besoin de lui qu’il était débordé et rêvait toujours de fuir Tazrouk. C’est pourquoi le moment qu’il a toujours considéré comme une période idéale fut celui où il s’embaucha comme homme à tout faire sur un chantier de piste entre Tazrouk et Idélès (80 kms au nord). Cela dura trois ans, je crois. C’était le moment où je m’embauchais comme chauffeur de camion ; il m’avait écrit : »Toi tu montes, moi je descends… »
         
    Une autre « fuite » de Tazrouk fut les sept années qu’il passa à Tin Tarabine, entre 1981 et 1988, pour aider une fraction de la tribu des Aït Loaïen, à fonder un village pour se sédentariser. C’était à 160 kms à l’est de Tazrouk par la piste la plus utilisée ; il fallait tout faire avec des hommes et femmes qui ne connaissaient que chèvres et chameaux…
Il occupait le poste d’infirmier mais était sur tous les fronts : construction de maisons, fondations de jardins etc.… Il venait à Tazrouk pour Noël, Pâques et l’Assomption, avec son chameau, pour que nous ayons la messe et que nous partagions un peu.

Aujourd’hui Tin Tarabine est un village avec école, dispensaire, mosquée, électricité solaire. Pour être moins coupés du monde, trois hommes ont acheté des téléphones satellitaires.

    Alors qu’il était de retour à Tazrouk (parce que sa santé faiblissait), un homme me dit : » Des Frères comme Abdallah, on n’en trouvera plus. » Je lui répondis, »c’est vrai, un homme qui peut construire une maison, démarrer un puits et un jardin, partit à chameau soigner un malade dans le désert…ça ne court pas les rues ! » Il me dit alors, » Tu as raison, mais ce n’est pas de cela que je voulais dire ; Abdallah, il a un cœur comme ça ! » Il écarta grand ses mains…Une fois que nous avions dormi chez Abdallah, à Tin Tarabine, avec deux jésuites en promenade, ils me dirent ; « On voit qu’avant d’être Petit Frère, Abdallah était Oblat de Marie... Il le reste toujours un peu ! »

    Abdallah faisait tellement corps avec les gens du Hoggar que ni lui ni nous ne pouvions imaginer son départ. Jusqu’au jour où, malade, il me dit ; « Je vois que je ne pourrai pas rester à Tazrouk. » Et puis tout un concours de circonstances a fait qu’après quelques jours à l’hôpital de Tamanrasset puis en France, il s’est retrouvé en maison de retraite à Marseille.
Pour les Frères de la région se fut un choc ; si lui part, qui restera ? Ce fut le début de l’exode…

    Ces cinq années passées en France furent pour lui sa grande épreuve : le temps de la pauvreté.
Sur son lit ou son fauteuil roulant, il lui fallut apprendre à ne rien faire et à être totalement dépendant.
Le mois que j’ai passé à ses côtés quelques semaines avant sa mort m’a convaincu qu’il était arrivé au bout du chemin, paisible et souriant, même si ce fût certainement un mois de grâce dans son long parcours.

    Un jour où, sur son fauteuil roulant, il voulait encore rendre visite à un frère dans la maison de retraite, il fit une chute. Une semaine plus tard, il rejoignit son Seigneur, le 21 juillet 2010.
   
Pt Fr. Taher (de Tamanrasset)






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de la rédaction ADS

A l'occasion de la sortie en France
du film " Des hommes et des dieux"
Mgr Rault : « Frère Christian a été le véritable catalyseur d'une profonde communion »

par Frédéric Mounier

Très proche du Frère Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, Mgr Claude Rault, Père Blanc, évêque de Laghouat (Algérie), poursuit l'expérience de dialogue islamo-chrétien qu'ils avaient fondée ensemble en 1979. Entretien paru dans La Croix, le 6 septembre 2010.

En 1979, vous avez cofondé, avec le Frère Christian de Chergé, un groupe de réflexion islamo-chrétien, Ribâtel-Salam (« Le lien de la paix »). Dans quelles conditions ?

En 1979, j'étais enseignant dans une école publique à Touggourt. Avec mes amis musulmans, nous avions des relations profondes, spirituelles, sur nos points de rencontre comme sur nos points de divergence. Et Frère Christian, à Tibhirine, vivait la même chose. L'un et l'autre, nous aspirions ainsi à un dialogue véritablement spirituel, pas uniquement interreligieux, théologique et dogmatique, mais plutôt fondé sur nos expériences. Un tel lieu, constitué pour « accrocher » ce type de partage, n'existait pas. Au printemps 1979, nous avons eu nos premières rencontres, au monastère de Tibhirine. Nous étions sept, religieux, religieuses et laïcs. Nous voulions rassembler des hommes et des femmes de bonne volonté, pas forcément des savants. Et travailler une approche intérieure de la tradition musulmane. C'était pour nous à la fois un groupe et une vocation, dans une approche volontairement positive et ouverte.
 
Comment avez-vous associé des musulmans ?

Ribât-el-Salam signifie « le lien de la paix ». Les musulmans pouvaient se retrouver dans ce titre. Fin 1980, nous avons donc accueilli des musulmans issus de la confrérie Alaya, créée dans les années 1920 à Mostaganem. Nous nous sommes réunis deux fois par an pour exprimer nos convictions profondes sur un thème (l'amour de Dieu, du prochain, les bases de notre foi...). Aujourd'hui, les rencontres se poursuivent et se déroulent à Alger. Nous sommes désormais une petite vingtaine, dont un tiers de musulmans, issus de diverses mouvances. Nous prions ensemble, nous partageons notre expérience de foi.
 
Quel était le rôle de Frère Christian au sein de ce groupe ?

Même s'il en fut l'âme au départ, Frère Christian n'a jamais revendiqué l'animation de ce groupe. Mais assurément, sa stabilité monastique l'ouvrait à plus d'intériorité. Il ne s'agissait pas d'une fondation du monastère, même si, lors de la première rencontre, lorsque j'ai demandé aux moines s'ils voulaient bien nous accueillir, l'un d'eux nous a dit : « Vous venez vous greffer ici sur le vieux tronc monastique. » Ils en étaient porteurs sans en être les initiateurs. Tibhirine est donc resté notre lieu de rencontre jusqu'à ce que ce lieu devienne vraiment dangereux, en 1993.
 
Quel souvenir précis gardez-vous du Frère Christian de Chergé ?

Lorsqu'il était prieur de Tibhirine, il était le véritable catalyseur d'une profonde communion. Avec ses frères, fortes personnalités issues de plusieurs monastères, faire cette unité n'était pourtant pas évident. Mais plus le danger approchait, plus la communion grandissait. Je l'ai profondément ressenti lors de deux soirées avec Christian, à l'abbaye de Tamié, en 1995. Ces soirées furent véritablement pour moi des soirées du Jeudi saint, son « discours après la Cène ».
 
Quelle lecture faites-vous de son testament ?

Pour moi, c'est une prière d'anthologie chrétienne du XXe siècle. Il l'a écrit lorsque le Groupe islamique armé (GIA) et l'Armée islamique du salut (AIS) ont déclaré que les chrétiens et les étrangers étaient des personnes cibles. Ce texte est profondément révélateur de son approche de l'islam, dans toutes ses dimensions, et aussi de sa relation à la non-violence, notamment par le pardon anticipé à celui qui lui donnerait la mort.
 
L'expérience de Tibhirine aura-t-elle une suite ?

Pour moi, Tibhirine est vraiment ne expérience unique. La meilleure des communautés ne pourra jamais revivre cette expérience d'unité, avec des liens si profonds tissés entre ces frères. On peut certes s'inspirer de l'esprit de Tibhirine, mais pas le reproduire.

Recueilli par Frédéric Mounier
La Croix, 6 septembre 2010

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Des hommes et des dieux




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