Le P. Claude
Rault, invité par les Petites Sœurs de Jésus, a prononcé
cette homélie au cours de la messe célébrée
à Tre Fontane. Nous avons pensé vous la transmettre à
la suite de la conférence de notre Pape Benoît XVI à
l’université de Ratisbonne, et devant les réactions violentes
qu’elle a provoquées dans le monde musulman.
Le P. Claude Rault propose cette médiation en commentant l’évangile
de ce dimanche (Marc 8, 27-35) où Pierre confesse que Jésus
est le Christ et, immédiatement après, se met en travers
de sa route.
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Bien chères Sœurs
en Jésus.,
" Tu es Pierre ".
Cette reconnaissance historique et actuelle de Pierre comme fondement
de notre Eglise peut passer parfois par des turbulences, et l’actualité
nous plonge dans cette réalité.
Je ne passerai pas au fil de l’analyse ce que notre Pape Benoît
a déclaré à l’université de Ratisbonne. Ce
n’est pas le lieu. Et puis, il faut un certain recul que je n’ai pas pris
le temps de prendre.
Comme vous, je souffre à la fois de ce glissement fort regrettable
dans les paroles prononcées et des conséquences qui en résultent
dans le climat déjà tendu entre les communautés musulmanes
et les communautés chrétiennes. Nous n’avions pas besoin
de cela !
Des paroles dites peuvent déchaîner des violences démesurées,
et la langue nous dit St Jacques est un gouvernail qui requiert une grande
sagesse humaine et spirituelle et peut aussi mettre le monde en feu…
Nous en avons une fois de plus une tragique illustration.
Mais voilà une occasion de nous positionner justement par rapport
à la personne même de Pierre.
C’est à ce positionnement que je me sens plus particulièrement
appelé aujourd’hui. Jésus lui-même nous a dit que "
c’est sur cette pierre qu’il bâtirait son Eglise ". Et il n’a pas
craint de le faire sur la fragilité de ce fondement. Pierre est une
fondation fragile. Mais il est la pierre de base de la communauté
voulue et édifiée par Jésus.
L’évangile d’aujourd’hui nous le met en avant dans une double
situation.
Celle où le premier, Pierre confesse sa foi en Jésus.
Mis au pied du mur, il est le premier à répondre à
la question : " Tu es le Christ ". Il l’affirme sans ambages, avec la
franchise et la spontanéité que nous lui connaissons.
Et c’est cela que nous attendons de Pierre ; qu’il nous redise qui
est ce Jésus en qui l’on reconnaît le Christ, l’envoyé,
le Messie de Dieu. Et il le fait à temps et à contre temps,
contre vents et marées. Des siècles de son histoire nous le
disent. Et aujourd’hui encore nous recevons ce dépôt grâce
au don qui est fait à Pierre. Et en cela nous nous reconnaissons
en Pierre, et en cela nous nous référons à lui.
Mais en même temps nous devons en reconnaître la fragilité,
voire même les volte-faces. Aussitôt après avoir fait
cette profession de foi, Pierre se met en travers du chemin que Jésus
veut prendre.
Nous sommes décontenancés devant la réaction
de Jésus qui dit à Pierre " Passe derrière-moi, Satan
! ". Pierre a fait un faux pas. Peut-être s’est-il trop vite pris
au sérieux. Peut-être a-t-il cru bien faire de suggérer
à Jésus de prendre un autre chemin que celui de sa Passion
et de sa Résurrection. Peut-être a-t-il pensé qu’il
y avait mieux à faire… et il s’est mis en travers du chemin que Jésus
avait décidé de prendre. La réponse de Jésus
a été nette et sans détour. La tentation était
sans doute trop grande pour lui, et Jésus à ce moment a été
profondément touché. Cela explique la violence de la réponse.
Et Jésus remet Pierre à sa place.
Sommes-nous aussi solidaires de ce Pierre qui a confessé Jésus
comme étant le Christ que de ce Pierre qui s’est mis en travers
de sa route ? Il n’y a pas deux Pierre. Il n’y a pas de notre côté
deux sortes de fidélités. Une fidélité à
Pierre confessant. Une mise à l’écart de Pierre faisant une
faux pas. Notre solidarité avec Pierre doit être aussi déterminée
dans un cas comme dans l’autre. Et tout à l’heure, nous allons tous
prier pour lui, comme chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie.
Cela ne veut pas dire que nous devons rester comme des brebis muettes.
Après la Pentecôte, nous aurions pu penser que Pierre serait
une fois pour toute délivré de ses glissements possibles.
Mais même après la Pentecôte, Paul a repris Pierre :
" Je lui résistai en face parce qu’il s’était donné
tort… " nous relate l’Apôtre des Nations (Galates 2,11). Mais
il l’a fait parce que son amour pour Pierre était indéfectible.
Parce qu’il reconnaissait en Pierre le fondement même de l’Eglise.
Chères Sœurs en Jésus, que retirer de tout cela ? Loin
de moi de vouloir semer la confusion dans vos esprits ! Dans cette épreuve
qui traverse aujourd’hui notre Eglise, spécialement là où
elle vit dans un rapport parfois difficile avec le monde musulman… nous avons
à réaffirmer notre confiance en Pierre et dans le Christ
à la fois. Pierre n’est pas Jésus. Il en est le serviteur fragile,
le plus exposé. Comme toute personne, il est soumis à des
faux pas et de fausses appréciations.
Reconnaissons à Pierre le droit à l’erreur. Il y a en
nous cette faiblesse qui est en lui. Porter notre croix et suivre Jésus,
c’est cela qui nous est demandé aujourd’hui, à travers cet
événement même.
Si nous nous restons profondément solidaires
de Pierre. Si nous aimons vraiment Pierre, de cet amour fraternel, réel,
nous pourrons alors avoir l’audace évangélique de Paul de
le contester. Ce ne peut se faire que dans une grande humilité.
Humiliés, nous le sommes, Pierre l’est aussi. Nous portons
cette blessure qui atteint beaucoup de musulmans aujourd’hui. Nous pouvons
même désavouer ces paroles regrettables qui nous atteignent
nous aussi. Je ne sais par quel biais cela pourra se faire. Mais cela
s’est déjà fait, et cela se fera encore.
Cela ne peut se faire que dans un réel amour de Pierre. Cela
ne peut se faire que parce que cet amour trouve son origine en Celui qui
a donné sa vie pour Pierre et pour nous. Nous sommes indissociablement
liés dans cette Eglise secouée par nos propres errances, et
pas seulement par les événements qui lui viennent du dehors.
Prions pour Pierre. Prions pour ceux qui ont ressenti douloureusement
cette violence verbale. Prions pour ceux qui l’utilisent et la manipulent.
Prions les uns pour les autres pour que notre amour de Pierre soit
à la mesure de l’amour de cette humanité où le Christ
nous envoie.
Amen.
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