Claude Rault a le désert du Sahara pour cathédrale

Missionnaire des Pères blancs en Algérie depuis quarante six ans, évêque du Sahara depuis 2004, Mgr Claude Rault, 75 ans, témoigne d’une Église catholique atypique en terre musulmane. Rencontre.

        Non, ce n’est pas un mirage. Il y a bien un évêque du Sahara. Et un diocèse dans ce désert de 2 millions de kilomètres carrés du Sud algérien, de Laghouat à Tamanrasset. Au-delà des dunes de sable et des montagnes de l’Atlas, au pays des Touareg, il existe bien une petite Église catholique atypique. L’évêque de ce vaste diocèse est, depuis 2004, Claude Rault, né à Poilley dans la Manche. Mgr Rault, 75 ans, accompagne vingt-quatre prêtres, quarante religieuses et trois laïcs pour animer une communauté chrétienne d’un petit millier de personnes, dispersée parmi 3,5 millions de musulmans. Ces chrétiens, que l’on retrouve notamment chez les migrants subsahariens ou parmi les expatriés travaillant dans les sociétés pétrolières du Sahara, sont répartis en une douzaine de points de présence dans les oasis. Deux fois par an, Claude Rault, qui réside à Ghardaïa, les visite. Une tournée de 8 000 km tout de même. S’il prend l’avion pour Tamanrasset, il effectue le reste en voiture. « Je ne suis jamais fatigué de rouler dans le désert. J’ai fini par l’avoir dans la peau. Le vent du sable et le souffle de l’esprit m’habitent en permanence. Le désert favorise l’intériorité absolue. » Un désert où les nouvelles circulent plus par le téléphone portable que par le nomadisme pastoral traditionnel, en voie de disparition au profit de gros troupeaux. La mission de l’Église du Sahara ? « Se mettre au service d’une humanité plurielle tout en étant révélatrice du visage de Dieu. En tissant des liens d’amitié et de fraternité par un dialogue islamo-chrétien basé sur un solide enracinement de foi de part et d’autre. » L’Église n’est pas là pour faire du chiffre mais pour « faire signe ». En tant qu’évêque, il a baptisé trois ou quatre Algériens. « Je n’en suis pas frustré , commente Claude Rault. Si j’ai pu apporter un peu plus d’humanité, ma mission est accomplie. » L’évêque du Sahara marche sur les traces de Charles de Foucauld (1858-1916), l’ermite du Hoggar, dont on commémore cette année le centenaire de la mort de son assassinat à Tamanrasset. En phase avec le pape François, qui « contribue à faire descendre l’Église de son estrade, l’entraîne sur le chemin de l’humilité et la connaissance de l’autre », Claude Rault a mis sa vocation religieuse sous le signe du pèlerinage vers l’autre depuis tout jeune. Elle l’a d’abord conduit au noviciat des Pères blancs, société des missions africaines fondée par le cardinal Lavigerie en 1848. Puis en terre d’islam, après des études théologiques à Ottawa au Canada durant trois ans, suivies de son ordination comme prêtre en juin 1968 à Coutances.

Tibhirine, il y a vingt ans

        Voilà comment, un jour de 1970, Claude Rault a débarqué à Alger avec sa 2 CV. Il est d’abord professeur dans le secteur de la formation professionnelle. Après les nationalisations de 1976, Claude Rault enseigne comme « coopérant libre » , fait de l’artisanat (plateaux de cuivre), effectue une année sabbatique à Jérusalem et au Liban. Vicaire général du diocèse du Sahara entre 1987 et 1994, il deviendra ensuite supérieur provincial des Pères blancs pour l’Algérie et la Tunisie. Jusqu’à son ordination épiscopale à Alger le 16 décembre 2004. Le voici alors à la tête d’un des quatre diocèses algériens. Les années noires du terrorisme, durant la décennie 1990, il les a connues. « Elles ont fait 150 000 morts chez les Algériens et dix-neuf victimes pour notre Église » , rappelle l’évêque du Sahara. Parmi ces dix-neuf victimes, en 1996, les sept moines de Tibhirine, avec lesquels Claude Rault a entretenu des liens fraternels. Il avait fondé avec le prieur Christian de Chergé, au printemps 1979, le groupe Ribat essalâm (lien de la paix), constitué de chrétiens et musulmans. Pour ce 20e anniversaire du martyre des trappistes, Claude Rault souhaite « qu’on n’oublie pas les Algériens » . Qui a assassiné les moines ? « Il faut laisser la justice faire son travail. C’est une affaire franco-algérienne sur laquelle pèse l’histoire. » Pour Claude Rault, cette incertitude aggrave cependant « la blessure profonde dans l’âme algérienne » causée par ce drame. En attendant, « l’esprit de Tibhirine continue d’animer les permanents catholiques en Algérie » . Notamment dans son diocèse où l’évêque du Sahara observe « un islam populaire, pluriel, qui se situe entre les courants mystiques et les radicaux » . Les islamistes ? Ils existent. Mais Mgr Rault, qui ne s’est jamais senti en danger et a toujours refusé de partir, estime que « les autorités algériennes se montrent vigilantes face au salafisme » . L’islam radical ? L’évêque renvoie la balle « à nos gouvernements qui se mettent à genoux devant l’Arabie saoudite, mère de cet islam-là » . Atteint par la limite d’âge, Claude Rault s’apprête à laisser sa charge d’évêque. « Heureux » de sa vie, même « si elle n’a pas été toujours facile » , l’évêque du désert a cette belle formule : « Le Sahara, c’est le monde intérieur que chacun porte en soi. »

Texte : Éric CHOPIN. Photo : Jérôme FOUQUET.

Désert, ma cathédrale , de Claude Rault, édition Desclée de Brouwer, 200 pages, 

Chapitres du livre sur le site ADS

 Voir lavidéo