Amis du Diocèse du Sahara (ADS)
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27 DECEMBRE 2012
***
Extraits du livre
Page 2 du site ADS
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Jésus, l' Homme de la rencontre 

Huit jours à l’école du Maître dans l’Évangile de Jean

par Mgr Claude Rault
Evêque du Sahara algérien
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             ouvrage de 178 pages récemment paru le 30 novembre 2012,
              
disponible dans toutes les librairies en particulier en France,
 
éditions
  Voix monastiques
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Extraits du livre Page 2 du site ADS

       De 1987-1994, l'évêque (*) de Claude Rault, le nomme Vicaire Géneral du Diocèse du Sahara algérien, ce qui lui permet de parcourir les vastes étendues désertiques et de visiter les communautés chrétiennes dispersées et souvent assez isolées. En 1997, il est rappelé par sa Congrégation comme Provincial des Pères Blancs d'Algérie et de Tunisie. Suite au décès de Mgr Michel Gagnon, (**) il lui succède en 2004 comme évêque du Sahara algérien. Depuis une vingtaine d'années, il donne des retraites sur l'Evangile de Jean. Il y trouve une forte motivation dans l'engagement d'une vie partagée avec les Musulmans et dans un esprit inspiré de l'Evangile et de l'exemple de Jésus. Ce livre reprend la retraite donnée aux moines cisterciens de l'Abbaye Val Notre-Dame en 2010 (***).


ndlr site ADS
page du site sur le séjour au Québec de Mgr Rault en 2010

* Mgr Jean Marie Raimbaud
** Mgr Michel Gagnon, un québécois , !!!

***Abbaye Val Notre-Dame, Saint-Jean-de-Matha, Québec, Canada
(Visite à l'intérieur l'abbaye sur fond de musique des moines de l'abbaye, durée 8mn)

TABLE DES MATIERES

Extraits du livre
Page 2 du site ADS

PRÉFACE

1. INTRODUCTION............................................................... 7

Jésus, l’Homme de la rencontre................................................. 7

L’évangile de Jean : un appel à l’intériorité .............................. 9

Nous mettre à la suite du Maître.............................................. 10

Contempler Jésus dans son humanité ...................................... 13

Jean Baptiste, le traceur de route et le coureur distancé .......... 16

  1. DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Prologue (Jn 1,1-18) 

  2. 20 Le Verbe créateur (Jn 1,1-11) ....................................

  3. 23 Notre vocation : devenir enfants de Dieu (Jn 1,12-13) 

  4. 28 Le Verbe fait chair (Jn 1,14-18)...................................

  5. 28 POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE..........

3. L’APPEL DES DISCIPLES (Jn 1,19-51)

Venez et voyez.......................................................................... 35

Les deux premiers disciples : Que cherchez-vous ? (Jn 1,35-39). 38

L’appel de Pierre : Jésus le regarda (Jn 1,40-42) .................... 41

La vocation de Philippe : Suis-moi ! (Jn 1,43-44) ................... 42

L’appel de Nathanaël : De Nazareth peut-il

sortir quelque chose de bon ? (Jn 1,45-51) ............................. 42

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE........................ 45

4. LES NOCES DE CANA (Jn 2,1-11)

Tout ce qu’il vous dira, faites-le... ......................................... 46

Le dialogue entre la mère et le fils (Jn 2,3b-4)........................ 47

Les serviteurs de la Noce (Jn 2,5-8) ........................................ 49

Le vin de la nouvelle Alliance (Jn 2,9-10)............................... 50

L’Église dans le désir de Jésus................................................. 52

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................... 54

5. JÉSUS ET NICODÈME (Jn 2,13-25 ; 3,1-21)

Il vint de nuit à Jésus............................................................. 55

La purification du Temple (Jn 2,13-25) ................................... 56

L’entretien de Jésus avec Nicodème (Jn 3,1-21)...................... 58

Renaître d’en haut.................................................................... 59

Dieu a tant aimé le monde... ................................................... 61

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................... 64

6. JÉSUS ET LA SAMARITAINE (Jn 4,1-42)

Une femme de Samarie vient pour tirer de l’eau................... 65

L’eau vive (Jn 4,5-15).............................................................. 66

Les cinq maris (Jn 4,16-19) ..................................................... 68

Adorer en esprit et vérité (Jn 4,20-30)..................................... 69

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................... 74


GUÉRISON DU FILS D’UN FONCTIONNAIRE ROYAL

 (Jn 4,43-54
L’homme crut à la parole que Jésus lui avait dite..75

Accueillir et croire parce que nous avons vu (Jn 4,43-45) ...... 76

Croire à la seule parole (Jn 4,46-54)........................................ 76

Qu’est-ce donc que croire ?...................................................... 79

8. GUÉRISON DE L’INFIRME DE BETHESDA (Jn 5,1-18)

Veux-tu guérir ? ...................................................................... 82

La guérison du paralytique (Jn 5,5-9)...................................... 83

L’interdit du sabbat et l’encombrant grabat... ......................... 87

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................... 89

9. LE PARTAGE DU PAIN (Jn 6,1-71)

Qui mangera de ce pain vivra à jamais.................................. 90

Le récit du partage des pains ................................................... 91

La marche sur la mer ............................................................... 94

Le discours du Pain de Vie (Jn 6,22-71).................................. 95

travailler aux œuvres de Dieu (Jn 6,26-32)................ 95

croire en Celui que le Père a envoyé (Jn 6,32-46) ......... 97

manger la chair du Fils de l’Homme (Jn 6,47-59) ......... 98

Et maintenant... ....................................................................... 99

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................. 101


© Abbaye Val Notre-Dame, 2012 250, chemin de la Montagne Coupée
Saint-Jean-de-Matha (Québec) Canada J0K 2S0


10. FLAGRANT DÉLIT D’ADULTÈRE (Jn 8, 1-11)

Moi non plus, je ne te condamne pas................................... 102

La Parole en procès ............................................................... 105

Jésus, les accusateurs et la femme adultère ........................... 107

POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................. 109

11. GUÉRISON DE L’AVEUGLE-NÉ (Jn 9,1-41)

Je suis la lumière du monde..................................................110

Jésus guérit l’aveugle-né (Jn 9,1-7)........................................111

Rencontre avec les voisins, les gens habitués à le voir mendier
(Jn 9,8-13)..............................................................................113

Rencontre avec les Pharisiens et début du procès

(Jn 9,13-17).............................................................................113

L’intervention des parents (Jn 9,18-23)..............................114

De nouveau devant les Pharisiens (Jn 9,24-34)..................114

Rencontre entre l’aveugle et Jésus (Jn 9,35-41) ..................116

Et maintenant.........................................................................116
POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE...................119

12. LA RÉSURRECTION DE LAZARE (Jn 11,1-45)

Jésus aimait Marthe, et sa sœur et Lazare...........................

120 Introduction du récit (Jn 11,1-5) ............................................

121 L’attente de Jésus (Jn 11,6-16)...............................................

122 Jésus au tombeau de Lazare (Jn 11,17-44) ............................

124

L’intervention de Marthe (Jn 11,17-27).............................

124 L’intervention de Marie (Jn 11,28-38)...............................

126 La résurrection de Lazare (Jn 11,39-44)............................

128 POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE................ 130


L’ONCTION DE BÉTHANIE (Jn 12,1-11)
LE LAVEMENT DES PIEDS (Jn 13,1-15) 

  1. pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous (Jn 13,15) .....131

  2. L’onction de Béthanie (Jn 12,1-8) ....................


  3. 132 Le lavement des pieds (Jn 13,1-20) ....................
  1. 135L’abaissement du serviteur (Jn 13,1-5)..............................

135 Le dialogue avec Pierre (Jn 13,6-11).................................

136 Le sens du geste de Jésus (Jn 13,12) .................................

137 POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................. 140

14. LA PRIÈRE DE JÉSUS (Jn 17,1-26)

Ceux que tu m’as donnés, je veux que, là où je suis,
 ils soient aussi avec  moi
.....141 1.

Jésus prie pour sa glorification (Jn 17,1-5)

« GLORIFIER »...................................................................... 142 2.

Jésus prie pour ceux que le Père lui a donnés (Jn 17,6-19)

 « DONNER ».......................................................................... 144 3.

Jésus prie pour ses disciples présents dans le monde (Jn 17,11-19)
 
« MONDE » ..................................................... 146 4.

Jésus prie pour l’unité de tous les croyants (Jn 17,20-23)

« UN » .............................................................. 149 5.

Prière finale (Jn 17,24-26) .................................................150

 POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................. 153

  1. LA RENCONTRE AU TOMBEAU VIDE (Jn 20,1-10)

  2.  Il vit et il crut (Jn 20,8) ............. 154

  3. Marie découvre le tombeau vide.

  4.  Pierre et Jean au tombeau. (Jn 20,1-10) ......... 155

  5. L’apparition à Marie de Magdala (Jn 20,11-18) .................... 158

  1. POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE................ 161

    16. JÉSUS AU BORD DU LAC (Jn 21,1-23)

    Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?

    (Jn 21,15) .............................................................................. 162

    Jésus et les disciples au bord du lac (Jn 21,1-14) .................. 163

    L’entretien de Jésus avec Pierre (Jn 21,15-19) ...................... 166

    POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE.................. 171

    CONCLUSION ....................................................  .............. 172

Jésus, l' Homme de la rencontre 
Huit jours à l’école du Maître dans l’Évangile de Jean
FLAGRANT DÉLIT D’ADULTÈRE (Jn 8, 1-11)bookjesus2_fichiers/boutonhaut.jpg

Moi non plus, je ne te condamne pas

         Une théologienne et pasteure protestante, Lytta Basset a écrit il y a quelques années un livre inspiré de ce passage : Moi, je ne juge personne. Tout au long de son ouvrage, elle développe ce non-jugement de Jésus face à notre mal. Il est plus empressé de sauver de guérir que de condamner. C’est ce non jugement de Jésus que nous allons main- tenant voir se dérouler à travers ce qui aurait pu rester un banal fait divers.

      Ce passage de Jn 8, selon certains exégètes, ne serait pas directe- ment de l’école johannique ; il aurait été placé dans cet évangile plus tardivement. Une analyse poussée du vocabulaire et de certaines expressions semble le prouver. Peu importe, ne nous privons pas de cette rencontre un peu particulière qui comme toutes les autres, nous fait retrouver Jésus, cette fois-ci dans le temple.

     Après la nourriture donnée aux foules et le discours qui a suivi, celui qui donne sa propre chair comme un pain qui fait vivre se révèle aussi comme celui qui pardonne et qui dévoile l’insondable miséricorde de Dieu.

     Nous avons vu que les rangs s’éclaircissent autour de lui, le vide se fait, même au sein du groupe des disciples. En « haut lieu », on commence à comploter pour le prendre en défaut et l’arrêter. Jésus dérange en effet, c’est pourquoi les notables du temple, les grands prêtres et les pharisiens (Jn 7,32) ont déjà envoyé des gardes pour l’arrêter. Ceux-ci se sont laissés prendre : Jamais homme n’a parlé comme cet homme ! (Jn 7,46) et ont été vertement rabroués. Une polémique très vive commence à naître autour de Jésus, de son identité et de sa propre autorité. Nicodème lui-même, que nous retrouvons, là prend ouvertement parti pour lui, se fait traiter de Galiléen et est renvoyé à ses études. Jésus dérange parce qu’il a une parole qui fait autorité et qu’effectivement cette parole sans détour, attire beaucoup de monde. Elle s’identifie pleinement avec ce qu’Il est. Il n’y a pas moyen de le piéger dans ses propos mêmes dont on ne saurait nier la consistance et la provenance. Cette parole est subversive, attirante. Il faut donc la neutraliser et la faire taire.

      On comprend pourquoi certaines personnes, aujourd’hui encore, deviennent dangereuses lorsqu’elles se mettent à prendre l’Évangile, ou même leur conscience profonde au sérieux. Ceux qui les mettent en prison ou les font taire ont raison de se méfier ! Et nous-mêmes, disciples de Jésus, Verbe fait chair, nous ne nous rendons pas suffi- samment compte que nous transportons en nous, en nos mains, une force capable de faire « exploser » le monde, d’une explosion d’amour et de joie qui peut être contagieuse, mais nous sommes toujours en deçà du message que nous portons !

      Il ne s’agit pas chez Jésus de la seule puissance captative des mots mais de la force en qui s’origine cette parole qui vient de Dieu, et qui est Dieu. C’est autour de lui que la polémique, dans l’épisode que nous abordons, commence à s’envenimer. Sa parole devient gênante et dangereuse pour cette racaille qui ignore la Loi (Jn 7,49). Qui est ce Galiléen sans diplôme ? De quel droit enseigne-t-il ? Et pour qui se prend-il ?

     La polémique va opposer deux catégories de gens: les notables, « ceux qui savent » et respectent scrupuleusement la Loi sans en man- quer une seule observance, et « la racaille » qui ignore la Loi, les désencombrés du savoir mais qui sont avides de l’Essentiel. Les gardes eux-mêmes, venus pour arrêter Jésus, reviennent donc bredouilles car ils se sont laissés prendre : Jamais homme n’a parlé comme cet homme (Jn 7,46). Eux aussi se laissés séduire, et ont été pris au piège : ils ont découvert dans le message et la personne même de Jésus quelque chose d’attirant et de vrai.

    Et nous-mêmes, nous nous sommes laissé séduire puisque nous sommes là ! Pourquoi Jésus exerce-t-il encore une telle emprise au point que des hommes et des femmes le suivent au point de risquer sa vie pour lui. Non comme des kamikazes aveugles, mais au nom même de l’amour pour Dieu et pour les autres quels qu’ils soient ! Jésus a le don comme personne de faire sauter étroitesses et barrières. Jésus révèle la grandeur de toute personne car en elle se reflète l’image même de Dieu. Comment faire pour le suivre ? Il est impossible de « codifier » ses paroles et ses commandements autrement qu’en un seul : Tu aimeras. C’est vite dit, mais, n’est-ce pas... tout reste à faire ! Il n’a laissé aucun code de loi, et pourtant sa parole est telle- ment plus exigeante que n’importe quelle loi! Il vous a été dit... Et moi je vous dis... (Mt 5, 21ss) Ce qu’il exige va tellement plus loin que ce que peut exiger le code législatif le plus perfectionné. Mais ce qu’il prône, c’est l’exigence de l’amour, et le commandement de l’amour est tellement plus exigeant que tout autre. Jamais nous n’aurons fini d’aimer. « Plus on aimera, et moins ce sera assez » disait une poète...

   Cette force de séduction ne vient-elle pas surtout du fait qu’il n’y ait pas de distance entre ce qu’il dit et ce qu’il est. Notre souffrance et notre mal, c’est de ne jamais pouvoir faire coïncider cette Parole qui est en nous, cette Parole qui nous est offerte, avec ce nous sommes et ce que nous faisons. Notre parole à nous nous trahit toujours. Lorsque je parle, ma parole peut être banale, inutile, stérile, boiteuse, et même mensongère. Elle peut aussi être porteuse d’avenir, fructueuse, extraordinaire, Elle peut se porter du côté de la mort ou du côté de la vie. C’est un don terrible que la parole ! Parce qu’elle peut assassiner ou faire vivre.

                  « La Parole se fait chair (Jn 1,14). S’il est vrai qu’elle a habité en l’homme Jésus de Nazareth, en ses paroles humaines, en ses dialogues avec ses contemporains,
                   il est vrai aussi que toute parole proférée, reçue et crue par autrui, se fait Parole, toujours à nouveau : Dieu prend corps, l’Être devient ce roc solide sur lequel on
                   peut asseoir son existence, la Parole vient habiter les paroles humaines, chaque fois qu’elles s’échangent en toute authenticité ; c’est alors qu’elle est lumière
                   authentique venant dans le monde, qui éclaire tout être humain (Jn 1,9). » (Lytta Basset. Moi, je ne juge personne, p. 18-19)

     Jésus ne sait que des paroles qui font vivre. Même lorsqu’elles révèlent et débusquent le mal là où il est. Il condamne ce mal, mais nous le verrons aussi tout à l’heure, il ne condamne pas les personnes, il ne sait que sauver. Celui qui est condamné se condamne lui-même... s’exclut lui-même de la lumière et de la vie.
Le récit de la femme adultère vient bien illustrer cette parole presque innocente jaillie de la bouche des gardes venus arrêter Jésus : Jamais homme n’a parlé comme cet homme (Jn 7,46).

      Écoutons cette parole jamais entendue.

La Parole en procès

   Tout va tourner autour d’un fait divers, un événement qui risque de tourner au drame puisqu’une femme risque la lapidation. Dès l’aurore, il parut à nouveau dans le Temple et tout le peuple venait à lui. Il s’assit donc et se mit à les enseigner (Jn 8,2). Jésus est présenté dans son rapport avec la parole : il enseigne dans le lieu où la parole prend un relief plus solennel. Il enseigne dans le Temple, qui doit être le sanctuaire d’une parole juste. Sa parole d’autorité est reconnue : une grande foule est là, attentive et intéressée. Mais... coup de théâtre en plein milieu du sermon ! Voici que la Parole elle-même va être mise à l’épreuve, sommée de répondre à une question, assignée à un procès. On vient de prendre une femme en flagrant délit d’adultère... Elle est seule. Mais pour ce genre de délit... il faut être deux... Où donc est le partenaire coupable... Où se cache-t-il ? Quelque chose déjà fait défaut dans l’accusation...

   Le procès s’organise. La femme est placée bien en vue. Devant tout le monde... Et la plaidoirie accusatoire commence. Dans le cas d’adultère, la Loi demande la condamnation à mort par lapidation. Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, tous deux mourront : l’homme qui a couché avec la femme et la femme elle-même... Si une jeune fille est fiancée à un homme, qu’un autre homme la rencontre dans la ville et couche avec elle, vous les conduirez tous deux à la porte de cette ville et vous les lapiderez jusqu’à ce que mort s’ensuive... (Dt 22, 22-24).

   Voilà ce qu’ordonne la Loi. Mais au temps de Jésus, il n’est pas permis au Sanhédrin d’exécuter la sentence à cause de l’occupant romain qui s’est réservé la peine de mort et le droit d’exécution. Mais selon la Loi, le flagrant délit devait être sanctionné. De deux choses l’une : ou Jésus prêche la clémence et il contredit la Loi divine... ou il entérine la Loi et là il va contre l’occupant romain. Le piège est tendu. Il doit définir sa position là-dessus. Et toi, qu’en dis-tu ? (Jn 8,5)

   La première réponse de Jésus est le silence. Il se tait. Et c’est un silence qui a du poids, un silence qui parle ! Jésus, se baissant, se mit à écrire avec le doigt sur le sol (Jn 8,6). Il est inutile de chercher à savoir ce qu’il a pu écrire... le verbe grec utilisé ne signifie pas proprement « écrire » mais plutôt « griffonner ». Lorsqu’on est distrait, on griffonne avec son stylo sur le bord de sa feuille... lorsqu’un orateur ou un prédicateur ne m’intéresse pas, la distraction, voire même l’indifférence me conduit à faire de même ! Jésus ne dit rien. Le silence est pour lui la meilleure réponse devant l’indécence de la situation. Il se tait et même manifeste comme une certaine indifférence, il prend une certaine distance par rapport à ce qui se passe. Il « griffonne » sur le sol. Il se donne du large, comme par une pudeur respectueuse... Mais voici qu’on insiste. On attend de lui une réponse sans compromission. Eh bien, puisqu’ils veulent une parole d’autorité, il la leur donne : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre (Jn 8,7). Jésus autorise que la sentence soit exécutée sur le champ ! Par les accusateurs eux-mêmes, et en conformité avec la Loi : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre.

   Peu à peu se dessine derrière chacun des accusateurs la forme absente du complice de l’adultère de la femme amenée ici. Qui peut se dire exempt de tout péché ? Qui va oser prendre la première pierre ? Qui a la conscience tranquille ? Et Jésus de nouveau se met à griffonner sur le sol. Il a dit ce qu’il avait à dire. Il n’a plus rien à dire. À chacun de se déterminer selon sa conscience.


Jésus, les accusateurs et la femme adultère

     La parole a porté un coup fatal aux accusateurs. Et c’est en eux qu’elle agit maintenant. Comme une sorte de boomerang, elle leur a été retournée : Ne jugez pas pour n’être pas jugés ; car, du jugement dont vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on usera pour vous (Mt 7,1-2).

    Aux censeurs maintenant de prendre leur marque. La balle est dans leur camp, et sans aucun doute dans le nôtre, nous qui jugeons si facilement ! Etty Hillesum le note dans son journal (Une Vie bouleversée, p. 102) : « La saloperie des autres est aussi en nous et je ne vois pas d’autre solution, vraiment aucune solution que de rentrer en soi- même et d’extirper de son âme toute cette pourriture. Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. »
Les accusateurs et tous les autres semblent avoir compris. Il y a quelque chose de beau dans cette remarque de Jean : À ces mots, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus vieux (Jn 8,9). Ils n’ont peut-être pas plus à se reprocher que les autres. Ils comprennent plus vite, semble-t-il... Quand on vieillit, on acquiert un peu plus de sagesse et de compréhension. Je dis cela parce que je me sens devenir vieux... Jésus va garder sa pudeur et son silence du début. Il n’adopte pas une attitude triomphaliste... il a toujours les yeux fixés sur le sol. Tout semble s’opérer dans le plus grand silence et la plus grande discrétion, celle de la conscience qui – enfin – comprend.

    Et il ne reste plus que Jésus, seul face à la femme qui est toujours là, attendant la sentence... Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée... ? – Personne, Seigneur... C’est sa première et seule parole ! Moi non plus, lui dit Jésus, je ne te condamne pas. Va. Désormais ne pèche plus... (Jn 8,10-11)

    Ce qui est juste dans cette parole de Jésus, c’est qu’il ne nie pas le mal qui est fait. Jésus ne nie pas notre mal. Il nous en libère : Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui (Jn 3,17).

     Il n’a que des paroles pour faire vivre, pour relever, pour sauver. Va, désormais, ne pèche plus (Jn 8,11). Tu es libre ! Il redonne un avenir à cette femme condamnée par son entourage. Mais il redonne aussi un avenir à ceux qui l’ont condamnée et se sont esquivés sur la pointe des pieds :
                  « Celui qui ne se fie pas en sa propre force ; qui se défend de toute amertume ; qui sait rester humble, qui se sait dans la main de Dieu, qui ne désire rien d’autre que
                   participer à la construction d’un monde juste et fraternel, celui-là ne perd pas courage, ne perd pas l’espérance. Il sent, invisible, l’ombre protectrice du Père!»
                  (Don Helder Camara. Le désert est fertile, Livre de vie, p. 43)

    Jésus nous révèle un Dieu qui croit en notre avenir, un Dieu qui croit en chacun et chacune de nous. Sa Parole ressuscite aussi bien la femme prise en délit d’adultère que les hommes qui la condamnaient.

    Être disciple, c’est vivre en communauté, c’est un choix qui est sans cesse à renouveler, parce que cela ne va pas de soi ! Nous avons fait ce choix en choisissant Jésus. Quel que soit notre genre de vie communautaire : communauté de vie, communauté de partage, vie de famille le «vivre ensemble» a une résonnance profonde sur notre témoi- gnage. Et il est important de veiller à la qualité de ce témoignage. Vivre en communauté, faire communauté n’est pas facile, c’est aussi un défi : notre premier témoignage, plus encore dans un monde qui souffre de l’inflation de la parole ! Notre parole ne peut prendre consistance que sur la cohérence de notre vie ! Et veiller sur la qualité de notre vie, c’est aussi veiller sur la qualité de nos paroles, parce qu’elles en sont le reflet.

    Nos paroles font-elles vivre? Nous pouvons nous interroger, au terme de cette médiation, sur la qualité de notre parole et de nos propos. Condamnent-ils facilement ou, au contraire, sont-ils sensibles à ce qui peut relever l’autre? L’amour excuse tout, dit saint Paul (1 Co 13,7). Interrogeons-nous et pensons à Jésus penché sur le sol. Son silence suffit. Laissons-nous donc habiter par cette Parole faite chair, cette Parole de vérité qui, dans le silence et le respect, ouvre l’horizon d’un nouvel avenir : Moi non plus, je ne te condamne pas. Va. Désormais ne pèche plus (Jn 8,11). Tout le reste n’est peut-être que bavardage inutile...


POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE

               Je me remets face à une situation où quelqu’un d’autre s’est trouvé pour des raisons sérieuses « en procès ». Comment ai-je réagi ? En versant de l’huile sur le feu?                  Par des paroles qui condamnent ? Par un silence respectueux ? Par des mots qui ouvrent l’avenir ?

               Je relis l’hymne à l’Amour (1Co 13), et je le prends comme critère de toute appréciation.

               Je contemple Jésus, la Parole qui se fait silence devant la femme accusée.

               Et je lui demande de ne mettre sur mes lèvres que des paroles qui ouvrent à l’avenir.

© Abbaye Val Notre-Dame, 2012 250, chemin de la Montagne Coupée
Saint-Jean-de-Matha (Québec) Canada J0K 2S0

 GUÉRISON DE L’AVEUGLE-NÉ (Jn 9,1-41) bookjesus2_fichiers/boutonhaut.jpg
Je suis la lumière du monde


                                                Un vieux rabbin demandait à ses disciples à quoi l’on peut reconnaître le moment
                                                où la nuit s’achève et où le jour commence.
                                                      – Est-ce lorsqu’on peut sans peine distinguer de loin un chien d’un mouton ?
                                                      – Non, dit le rabbin.
                                                      – Est-ce lorsqu’on peut distinguer un figuier d’un dattier ?
                                                      – Non, dit encore le rabbin.
                                                      – Mais alors, quand est-ce donc ?, demandèrent les élèves.
                                                 Le rabbin répondit : C’est lorsqu’en regardant le visage de n’importe quel homme,
                                                 tu reconnais ton frère ou ta sœur. Jusque-là, il fait encore nuit dans ton cœur.

                                                                                        (Jean-François Six. Les Béatitudes aujourd’hui, p. 221)



     La clé de cet événement de la guérison de l’aveugle-né est, bien sûr, dans la ligne de cette autre vision qu’est la vision intérieure. Si nous voulons accéder à la lumière, il faut d’abord reconnaître que nous en sommes dépourvus. Et si nous faisons cet aveu, alors nous commençons à voir. Si vous étiez des aveugles, vous seriez sans péché ; mais vous dites «Nous voyons»: votre péché demeure (Jn 9,41). Il a seulement manqué aux pharisiens de laisser de côté leur savoir usé et trop sûr de lui-même et d’accueilli cette Lumière nouvelle venue éclairer leur nuit.

     Tout cet épisode est construit à la façon d’un procès qui n’est autre que celui de la Lumière elle-même. Il est facile d’en suivre les diffé- rentes étapes. Vivons ce procès « de l’intérieur ». Avec l’aveugle, nous entrons dans une démarche de foi qui nous conduira à percevoir Jésus avec des yeux renouvelés. À moins de renaître, nul ne peut VOIR le Royaume de Dieu... (Jn 3,3)


Jésus guérit l’aveugle-né (Jn 9,1-7)


     Dans tout procès... il faut un délit, sinon, il n’y a pas d’accusation ! Celui de l’aveugle-né sera d’y voir clair ! Et celui que l’on imputera à Jésus sera bien sûr d’avoir été à l’origine de la vue de cet homme qui n’avait jamais vu. En passant, il VIT un homme qui était aveugle de naissance... (Jn 9,1). Jésus est peut-être passé plusieurs fois devant cet aveugle... et ils étaient nombreux en son temps ! Aujourd’hui, il passe et il le « voit » dans un nouveau relief. C’est un homme qui n’a pas encore achevé de naître puisqu’il ne sait pas encore ce que c’est que de voir. Comme tous les handicapés, les mal voyants, les boiteux, cet homme est à part, marginalisé, regardé de travers ou par pitié par ceux qui le voient car s’il est aveugle, c’est qu’il y a quelque chose dans sa vie qui doit se situer dans l’ordre du péché, de quelque faute cachée... Les disciples aussi le voient... et ils interrogent Jésus avec la question classique : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents ? (Jn 9,2). La souffrance de l’autre – le malheur innocent – nous désarçonne toujours :

                       « Dieu a été bien trop souvent diffamé par ceux qui semblent être de vrais descendants des amis de Job et qui se croient mieux informés que tout le monde et se
                        comportent comme s’ils étaient reliés par téléphone rouge à la salle de conseil de la divine Trinité. Avec respect, nous devons reconnaître notre manque total de
                        connaissance en la matière. En fin de compte le mal et la souffrance restent un mystère. Connaître leur pourquoi, leur sens profond, c’est être Dieu et non plus
                        homme. Nous ne saurons jamais tout ce qu’il y a à savoir, car nous sommes chair et non pas Dieu. » (Desmond Tutu. Prisonnier de l’Espérance, p. 27)


    Remarquons que Jésus ne cherche pas le « pourquoi ». Il ne s’attarde pas à cela, il ne se tourne pas vers le passé, mais une fois encore il se tourne vers l’avenir. Car pour lui, cet homme a un avenir et dans cet avenir, il va lui manifester la miséricorde et l’humanité de Dieu. La lumière qui est en lui, il va, par un geste créateur, la communiquer à cet homme qui en est privé. Il me faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé (Jn 5,17 ; 9,4). De sa propre salive, il fait de la boue et en met sur les yeux de l’aveugle. C’est le geste de Dieu modelant l’homme. Yahvé modela l’homme avec la glaise du sol ; il insuffla dans ses narines une haleine de vie... (Gn 2,7).

     Et il l’envoie à la piscine de Siloé, « la piscine de l’Envoyé ». Jésus n’est pas un magicien, ni un simple guérisseur. Il fait de l’homme un partenaire de sa propre guérison. Il faut qu’il fasse une démarche libre, ce ne sera pas immédiat. Il renvoie l’homme aveugle avec sa propre obscurité. Sa démarche confiante, dans la nuit de sa foi, avec la seule parole reçue de Jésus va devenir lumière pour les générations futures.

                        « Les pauvres qui se lèvent à l’appel de Dieu sont les premiers théologiens qui nous appellent à redécouvrir que la Parole de Dieu
                         est la seule qui fasse ce qu’elle dit. En faisant ce qu’elle dit, ils nous révèlent qu’elle est à l’œuvre dans l’histoire »
                             (Vincent Cosmao. Problématique de la théologie de la libération).

     La guérison n’est ni automatique ni instantanée. L’aveugle doit faire une démarche de foi, partir tout seul, pour être libéré de sa nuit. La seule lumière est une parole dite par un homme qu’il n’a pas encore vu. Nous sommes d’emblée aux prises avec notre existence chrétienne. L’aveugle s’en alla, il se lava, et il revint voyant clair (Jn 9,7 ; cf. Jn 9,11b). Mais il va lui falloir maintenant assumer sa guérison.

     Ce défi d’assumer me fait penser à un cousin qu’un accident est venu enlever soudainement à la vie. Profondément handicapé depuis sa naissance, il avait, avec l’aide de ses parents, mais avec une volonté farouche, surmonté cet handicap, passant son permis de conduite, se lançant dans les études jusqu’à obtenir un doctorat en droit... Un jour, au cours d’un repas pris ensemble, sa sœur qui avait beaucoup de mal à accepter le handicap de ce frère qu’elle chérissait, et qui le connaissait fort bien, lui demanda: «mais pourquoi n’as-tu jamais prié pour ta guérison ? » Et lui de répondre : « Parce que je ne suis pas sûr de pouvoir assumer ma guérison ! ».

     C’est maintenant ce que va devoir faire l’aveugle guéri qui est maintenant lancé dans une aventure à rebondissement, et qui va l’exclure de sa communauté ! Il va falloir que son entourage l’accepte : maintenant... il voit !


Rencontre avec les voisins, les gens habitués à le voir mendier (Jn 9,8-13)


     Est-ce lui ? Non, mais quelqu’un qui lui ressemble... Mais non, c’est bien moi ! On voit comme cet homme va déranger tout le monde. Il est maintenant sujet de division autour de lui... On veut l’enfermer dans le vase clos de son statut social antérieur, dans son image de mendiant. La question de ces gens n’est au fond qu’une manifestation de curiosité. Ce sont des «voyeurs». Devant cet événement qui apporte du neuf dans leur actualité, on s’interroge sur le « comment ». Comment il avait recouvré la vue (Jn 9,15). Non pas « pourquoi », « par qui » mais « comment » ? C’est toute la distance entre le « signe » et le fait extraordinaire, le « miracle », l’attachement à un sensationnel qui va faire la «une»! Si la télévision avait existé, il y aurait sûrement eu un « scoop ».


Rencontre avec les Pharisiens et début du procès (Jn 9,13-17)  bookjesus2_fichiers/boutonhaut.jpg

     C’est à partir de maintenant que l’événement prend la tournure d’un procès. Jésus le constatera à la fin : C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne voient pas et pour que ceux qui voient deviennent aveugles (Jn 9,39). Les questions vont toujours tourner autour du «comment»... Et plus nous allons avan- cer, plus nous allons voir les pharisiens s’enfoncer dans la nuit tandis que peu à peu, l’homme guéri va parvenir à la vraie lumière.

     Jésus est déjà condamné : il a osé faire de la boue un jour de sabbat ! Toujours la Loi. Rien que la Loi. Bien sûr, pour protéger l’honneur de Dieu ! Mais voici que l’ardeur de l’observance de la Loi, ferme les yeux à ce que Dieu peut faire de neuf dans la vie des hommes. Devant cette fermeture, l’ancien aveugle est catégorique : C’est un prophète ! (Jn 9,17). Première démarche vers la foi, une foi qui ne va cesser de grandir au fur et à mesure que le procès va se dérouler.


L’intervention des parents (Jn 9,18-23)


     On fait venir les parents. En termes juridiques, on appelle cela « la comparution des témoins ». On cherche à noyer le poisson : et si cet homme n’avait pas été vraiment aveugle ? Quelle aubaine si cette guérison n’était qu’un truquage ! Mais ce sera, comme souvent, la déposition de la peur. Oui, il était aveugle... c’est tout ! Pour le reste, surtout ne nous en demandez pas plus. Il a l’âge, il s’expliquera lui- même (Jn 9,22). Surtout, pas d’histoire... Notre homme est lâché par sa propre famille et se trouve de plus en plus seul. Et Jésus est toujours absent.

Mais peu à peu une autre lumière semble faire son chemin en lui.


De nouveau devant les Pharisiens (Jn 9,24-34)

     On revient devant les Pharisiens. La parodie de procès continue. L’aveugle guéri va opposer aux pièges de ses accusateurs, son simple et lumineux bon sens : celui d’une foi simple, non pas basée sur ce qu’il sait, mais sur ce qu’il a vécu, sur sa vérité intérieure. Sa clair- voyance est gênante et ne va faire que mettre en relief la nuit où ses adversaires s’enfoncent un peu plus à chaque investigation.

     Il n’y a rien de pire que l’aveuglement religieux, d’où qu’il vienne. Tous les intégristes du monde sont des gens tristes, sans humour, absolument démunis de ce bon sens où peut se greffer la vraie foi. Ils se prennent pour les serviteurs d’un dieu terriblement ennuyeux et tyrannique : alors, il vaut mieux se mettre de son côté ! Le fanatique en vient à se substituer à Dieu sous prétexte d’en défendre l’honneur... alors en son nom, les intégristes aveugles peuvent tout justifier: la violence, le mensonge, la torture, la corruption... et que savons nous encore ! Puisque c’est la Loi de Dieu que l’on défend !

     À l’orgueilleux Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur (Jn 9,24) des Pharisiens, notre homme oppose un très humble Je ne sais pas. Et il poursuit avec un pointe d’humour ce que ceux d’en face font tout pour ne pas voir : ...je ne sais qu’une chose : j’étais aveugle et maintenant, j’y vois ! (Jn 9,25). Nouveau questionnement sur le passé : Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? (Jn 9,26). Et le nouveau voyant de continuer à ironiser sur l’intention de ces hommes qui décidément deviennent de plus en plus aveugles : Auriez-vous envie de devenir ses disciples vous aussi ? (Jn 9,27). Le ton monte, l’écart se creuse... Nous avons d’un côté la science sclérosée (notez l’utilisation répétée du verbe « savoir ») et de l’autre un homme tout seul qui ne peut témoigner que de ce qui lui est arrivé. Au savoir moisi et durci de ses accusateurs, l’homme en procès oppose la sagesse des humbles et des petits. Il n’a jamais pu lire dans les livres. Il n’a pas fait d’études. Il confesse ce qu’il croit : Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire (Jn 9,33). Ces hommes de science n’apprécient guère qu’on leur fasse la leçon et leur dernier argument est celui de la violence par l’exclusion. L’aveugle guéri est chassé de la synagogue, pour simple délit de vérité et de guérison.

      J’ai reçu un jour cette belle lettre d’une vieille amie quasiment aveugle, lettre écrite à la machine: «Jésus est notre lumière. Il peut faire de nous des aveugles qui voient, des sourds qui entendent. De toute façon, ceux qui croient voir doivent s’incliner très fort pour l’apercevoir, tant il est petit, notre Dieu, à moins d’être eux-mêmes des enfants... Prie pour moi qui ne reverrai que dans la mesure où je deviendrai petite »..

Rencontre entre l’aveugle et Jésus (Jn 9,35-41)

    Ce qui est frappant et à la limite choquant dans ce récit, c’est l’absence de Jésus ! Il s’est tenu à l’écart, lâchant l’aveugle guéri, obligé d’avancer tout seul, de s’éveiller peu à peu à la liberté. Jésus veut des disciples libres et debout. Jamais il ne se substituera à notre propre liberté. Il dit plus souvent « va ! » que « viens ! »
La rencontre finale est d’une grande brièveté. Quelques mots échan- gés : l’essentiel est dit. Crois-tu au Fils de l’Homme ?Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ?Tu le vois : c’est lui qui te parle. Alors il dit: «Je crois, Seigneur». Et il se prosterna devant lui. (Jn 9,35-38)

     La rencontre finale est d’une grande brièveté. Quelques mots échangés : l’essentiel est dit. Crois-tu au Fils de l’Homme ? – Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? – Tu le vois : c’est lui qui te parle. Alors il dit: «Je crois, Seigneur». Et il se prosterna devant lui. (Jn 9,35-38)

Et maintenant...

     Dans les Évangiles, il n’est de plus belle parabole de notre vie de foi que celle de l’aveugle-né, il n’est pas de cheminement plus significatif de notre existence de croyants. Comme l’aveugle, nous avons été «baptisés», nous avons eu les yeux lavés à la piscine de l’Envoyé.


     Notre baptême s’est déroulé pour la presque totalité d’entre nous dans la nuit de notre petite enfance. Il nous a fallu assumer notre baptême dans une absence quasi-totale d’évidence, voire même dans une solitude qui n’est autre que celle de notre propre liberté ! Il faut que Jésus s’efface de notre existence, précisément pour que notre liberté se mette en branle. Il nous faut marcher parfois seul et dans la nuit, affronter les doutes, les questionnements qui ébranlent, et marcher dans notre vie chrétienne ou notre engagement religieux, sur la seule parole qui nous a été dite : Va te laver à la piscine de l’envoyé.

     La foi du disciple n’est pas une démarche qui baigne dans l’évidence ; il nous faut affronter les contradictions de la vie – celles du dehors, et plus encore, celles qui nous viennent de l’intérieur. Nous aurions tellement de bonnes raisons de laisser notre engagement sur le bord de la route : nos échecs, nos insuffisances, nos médiocrités. La tentation la plus subtile qui nous guette, ce ne sont pas les grandes tentations à la saint Antoine, c’est le découragement du « à quoi bon... »

     Nous étions partis «tout feu tout flamme» dans l’ardeur de notre engagement premier, souvent tout à fait inconscients de nos propres limites et des épreuves du futur. Et voici qu’avec le temps, nos ardeurs se sont émoussées. Nous allions transformer la face du monde... le monde est resté tel... et souvent, nous avons été pris par le piège de l’habitude, des conventions et des pratiques pieuses. Nous nous sommes quelque peu tassés ! Nous nous découvrons avec plus de réalisme et donc moins d’enthousiasme. Un certain nombre de nos compagnons et de nos compagnes, autrefois militants, prêtres, religieux, religieuses, ont parfois choisi d’autres engagements. Des collaborateurs proches, amis, sont partis militer ailleurs. Des membres de nos familles religieuses – et pas des moins donnés - ont fondé une famille, et il leur a fallu souvent beaucoup de courage pour affronter une nouvelle existence.

     Et comme Élie, nous nous disons : Je ne suis pas meilleur que mes pères (1 R 19,4). Subtilement, le découragement risque de s’installer... À quoi bon ? Le Seigneur n’a pas besoin du bien piètre croyant que je suis, et finalement, la sainteté (celle que l’on couronne d’une auréole...) est une aventure qui n’est pas faite pour moi...

     Il faut chasser ce démon, parce qu’il nous conduit à la médiocrité ou à la démission. Je ne puis le faire qu’en sortant de moi-même, qu’en prenant acte de ma propre faiblesse. Oui, je suis pécheur... je suis difficile en communauté ou en famille, indolent dans mon service, lent à me mettre en route... Je sens et je sais mes blessures.

     Et puis après ? Mon handicap peut être le lieu où va se manifester les œuvres de Dieu. Jésus croit en l’avenir de l’aveugle que je suis : C’est pour qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu (Jn 9,3). Je suis une terre en travail, une terre d’avenir. Voilà ce que je suis. Et je n’ai pas le droit de dire qu’avec moi le Seigneur n’a rien à faire. Mon insuffisance, mon péché, mes chutes, tout cela peut être le point de départ d’une existence sans cesse renouvelée. Pourquoi ? Parce que le regard de Jésus s’est porté sur moi. En passant, il vit un homme... Il me voit. Avec lui, une nouvelle étape commence. Parce que lui croit en mon avenir.

     Le Père Aimé Duval, ce jésuite à la guitare dont certains anciens chantent encore les refrains, raconte comment le retour à la vie et à la lumière lui ont été possibles après avoir sombré dans l’alcoolisme. Tout a commencé le jour où, devant d’autres personnes pauvres comme lui, le voile est tombé.

                « Je m’appelle Lucien et je suis alcoolique. Si vous saviez le choc que l’on reçoit en disant ces mots ! À haute voix ! En public ! Tout seul, je me le disais depuis un
                   an, mais jamais je n’avais osé le dire, pas même à mes copains. Pour la première fois enfin, publiquement, je fondais ma vie sur cette vérité. Vérité douloureuse
                   mais vérité capitale : « Je m’appelle Lucien et je suis alcoolique. » Et les autres me regardent. Et nous scellons une amitié, à la vie et à la mort. Un respect à la vie
                   et à la mort. Une confiance à la vie et à la mort. Quelque chose de monumental se fissurait dans ma tête : la honte. Et puis la raideur. Et puis le désespoir... Comme
                   si nous autres chrétiens qui n’avons pas assez de cou- rage, nous nous mettions à dire devant la communauté rassemblée : je tiens à vous dire que j’ai volé... que
                   j’ai humilié mon voisin... que j’ai été dédaigneux et fricailleur... À coup sûr, on serait guéri de la peur, de la méfiance. De la peur des autres, de la peur de leur
                   jugement sur nous... L’humilité guérit de tout. » (Aimé Duval. L’enfant qui jouait avec la lune, p. 57-58)

     Nos pauvretés, notre lenteur à croire, nos limites, notre péché même, peuvent être, en creux, le lieu où Dieu déverse la grâce pour un nouveau départ.



POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE

                       Je prends plus grande conscience de ce qu’est la Foi. Elle est un don à conquérir. Je prends du temps pour remercier le Seigneur pour le baptême, pour la Foi
                       accueillie, pour cette lumière intérieure qui brille dans ma vie. Je Le remercie de pouvoir donner sens à ma vie.
                       Il me laisse libre, au point de me faire éprouver absence et solitude.
                      Ai-je parfois éprouvé cette absence de Dieu ? Le vide ? La nuit ? La solitude ? Qu’est-ce qui m’a aidé à surmonter ces heures de doute ?
                      Qu’est-ce qui a fortifié ma foi ?
                      Ces heures difficiles m’ont-elles aidé à être plus proche de ceux et de celles qui marchent dans la nuit ?
                      Comme l’aveugle guéri, je me prosterne et j’adore. Je crois, Seigneur ! Je le reconnais comme la lumière dans ma nuit.


© Abbaye Val Notre-Dame, 2012 250, chemin de la Montagne Coupée
Saint-Jean-de-Matha (Québec) Canada J0K 2S0

CONCLUSION bookjesus2_fichiers/boutonhaut.jpg

     Cette méditation évangélique nous ramène là où le Seigneur nous a placés. Il serait dommage que ce temps passé ne soit qu’une parenthèse dans une existence agitée. Déjà nous pensons peut-être aux soucis qui nous attendent, aux questions restées en suspens et sans réponse. Reprenant notre vie de tous les jours, retrouvant les nôtres, nous ne tardons pas à nous apercevoir que nous n’avons pas beaucoup changé... eux non plus, d’ailleurs ! Et cela risque fort de nous désoler. « Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console... ».

     Mais je suis sûr qu’une petite poussée en avant a été faite, qu’un pas de plus à la suite de Jésus a été posé. Même si vous ne vous en apercevez pas, j’en suis sûr, vous n’êtes plus tout à fait comme avant ! Si vraiment vous avez rencontré Jésus, même dans l’aridité, même dans la désolation de n’avoir pu prier comme vous auriez voulu, quelque chose a changé en vous, dans votre regard intérieur, dans votre être profond. Il vous faut y croire, parce que toute rencontre avec Lui est transformante.

     J’espère seulement que cette lecture aura renforcé votre relation à Jésus. Il vous a chargés d’énergie nouvelle. Mais c’est dans le secret de votre cœur. Croyez-le enfoui au plus profond de vous-mêmes, dans les replis de votre âme. Vous emportez avec vous comme une perle précieuse, un trésor caché, enfoui dans votre champ, une certitude, une parole qui vous a été dite à chacun et à chacune en particulier. C’est votre « provision de route ». Gardez-la précieusement. La Parole peut être aussi une « Présence réelle », un souvenir qui réactualise sa Présence. Il vous redira Je suis ! dans vos moments de doute et de vide. Portez cette Parole dans votre cœur comme le médaillon du bien-aimé.

     Lorsque, au séminaire diocésain, je m’étais ouvert à mon accompagnateur spirituel de ma vocation missionnaire, il m’avait répondu : « Eh ! bien mon cher, il va te falloir une « spiritualité portative ». Cette réflexion ne m’a pas quitté. Cette « spiritualité portative », que ce soit la certitude que jamais le Christ ne vous abandonnera. Il marchera à vos côtés, présence invisible ou à peine perceptible comme celle qui accompagnait les disciples après la résurrection.

     Cette présence n’a pas cessé, il en est toujours ainsi. Nous sommes les bienheureux qui croyons sans avoir vu. Parmi les moyens qui nous sont donnés pour raviver cette présence, pour en être plus conscients, il y a la prière. N’oublions pas qu’elle est « relation ».

     Encore une fois, ne cherchons pas pour ce qui est de la prière à nous poser la question de savoir si cela sert à quelque chose. Au sens moderne du mot, cela ne « sert » à rien, cela peut à la rigueur se compter en heures... mais cela n’a aucune valeur sur le marché du travail et cela n’est pas coté en bourse !
On ne se pose pas la question de savoir si des amis, cela sert à quelque chose. C’est de l’ordre de la gratuité.

     Prier, c’est entretenir cette relation toute simple avec le Seigneur. C’est de l’ordre de la vie. Si cela « sert » à quelque chose, disons tout simplement que cela sert à vivre. Même si nous constatons, comme Paul que nous ne savons pas prier : De son côté, l’Esprit vient en aide à notre faiblesse ; nous ne savons pas ce que nous devons demander, ni prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous, par des soupirs ineffables. (Rm 8,26)

     Prier, c’est avant tout laisser Dieu être Dieu en nous. Lui donner un surcroît d’existence. C’est laisser l’Esprit faire en nous ce qu’il a à faire. C’est laisser l’Esprit de Jésus prier en nous. En effet, nous ne savons pas prier. C’est la constatation que faisaient les disciples en s’adressant à Jésus. Et il les a introduits dans sa propre prière : ...Jésus priait en un certain lieu. Lorsqu’il eut achevé, un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a fait à ses disciples. Il leur dit : Quand vous priez, dites : “Père...” (Lc 11,1)

     Prier, c’est avant tout une qualité d’être : la qualité de notre relation à Dieu, relation qui change notre relation à l’autre. Il nous offre Jésus comme l’Ami qui nous appelle par notre nom. Puissions-nous de jour en jour voir se renforcer, s’épanouir cette relation qui ne peut que nous changer et nous changeant changer aussi la face de notre monde.

© Abbaye Val Notre-Dame, 2012 250, chemin de la Montagne Coupée
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