Plusieurs points caractérisent notre visage d’Eglise, et cela
se vit à travers la vie et le parcours des personnes. Une certaine
façon d’assumer évangéliquement la solitude m’amène
à m’arrêter à la vie des personnes, comme cellules vivantes
de nos communautés. Car chacune apporte ce qu’elle est pour le
bien de tous.
Le premier point que je retiens est celui de l’enracinement
Parlons d’abord de notre enracinement humain, tout simplement.
Il a commencé par de difficiles exercices de langue, par un
apprentissage à vivre au quotidien, une certaine façon d’accueillir
la différence de l’autre tout en restant soi. Je ne crois pas que
notre Eglise soit perdue ou " enfouie dans l’océan de l’Islam ",
comme on nous le dit quelque fois.
Je suis plutôt enclin à penser que notre rayonnement et
personnel et communautaire est sans commune mesure avec notre nombre,
et que nous n’avons pas prise sur ce rayonnement. Il n’est pas de l’ordre
de la tactique. Dieu en fait ce que bon lui semble. Je crois qu’il vient
tout simplement de notre choix à " être " plutôt qu’à
chercher quelque influence.
L’enracinement dans ce peuple, et son amour jaloux pour tout ce qui
le touche est bien l’un de ses traits les plus marquants de notre
existence évangélique.. Je vois parmi vous des hommes et des
femmes qui totalisent souvent plusieurs dizaines d’années sur place.
Cela veut dire que vous portez en vous l’expérience du temps.
Et l’on dit souvent que pour vivre ici il vous a fallu " durer ", vous
enraciner sur place, faire votre trou avant d’être accepté,
repéré, reconnu. Un certain nombre ont exercé un
ou plusieurs métiers, pris divers engagements, mais " sur place
".
Plusieurs familles de notre environnement connaissent " les Pères
et les Sœurs ", la communauté chrétienne dans ses composantes,
depuis plusieurs générations, et nous héritons de
ces liens créés avant nous. Nous récoltons là
où nous n’avons pas semé. C’est peut-être cet enracinement
là qui nous vaut (à tort ou à raison) les qualificatifs
d’une Eglise " enfouie ", d’une Eglise silencieuse, plus proche de Nazareth
que de Capharnaüm.
L’expérience de la vie des Fraternités s’inspirant de
la spiritualité du P. de Foucauld y est pour quelque chose. Elles
sont nées dans le Diocèse.
Nous avons vu se dessiner deux vocations " croisées " qui marquent
la vie de notre communauté chrétienne. J’y ajoute aussi
nos quelques Laïcs qui se font nommer ou " Père, ou Frère,
ou Sœur… ". Ce n’est pas un atavisme, mais souvent nos braves amis musulmans
y perdent leur latin ! Ceux de l’extérieur qui nous visitent aussi
parfois.
Une note que je veux ajouter, et que j’aurais sans doute dû mettre
en premier, c’est notre enracinement évangélique.
C’est lui qui donne consistance et force à notre enracinement humain.
On me demandait dans l’un des forums du Synode diocésain de Vendée,
en France, qu’est-ce qui nous aidait à tenir. Et j’ai appuyé
sur ce point de solidité. Si nous n’avons pas Jésus comme
colonne vertébrale, et au niveau personnel et au niveau communautaire,
je crois que nous ne tiendrions pas. Et j’admets que sur ce point nous
pouvons nous référer à Jésus Christ de façon
diverse, mais c’est bien Lui que je vois comme votre premier point de référence.
Mais il nous faut nourrir cet enracinement, sans cesse le confronter
avec un monde qui évolue, un questionnement qui nous est fait et
qui ne se posait pas ou peu par le passé. Ajoutons qu’au regard
de l’Eglise Universelle, nous faisons parfois piètre figure, contestés
dans notre théologie, qui pourtant s’inspire en ligne directe de
Vatican II.
Une nécessaire et continuelle adaptation
L’Eglise d’Algérie est passée par des étapes,
des passages historiques, moins accentués que dans le Nord, où
les personnes ont faire preuve de créativité. Il y a eu le
" passage à l’indépendance ", bien vécu
par l’ensemble. Celui-ci a amené un certain nombre à choisir
la nationalité algérienne. Les autres sont de toute façon
entrés dans cette nouvelle phase au gré de leur engagement
qui, à cette occasion, n’a guère changé.
Les nationalisations des écoles, des centres de formation
professionnelle, des centres de santé, ont provoqué plus de
remous et amené à plus de créativité pour trouver
un nouveau pôle d’engagement. Mais globalement, le milieu aidant,
chacun a trouvé, un nouveau créneau, un nouvel élan.
Ce changement a davantage ouvert nos maisons, qui sont devenues plus fréquentées
que par le passé, sans doute à cause d’une plus grande disponibilité
qui nous était offerte.
La montée du terrorisme a davantage épargné
notre région, du moins le grand Sud, mais elle a provoqué
aussi des questions sérieuses d’adaptation. Il n’a pas été
évident de vivre sa vocation de chrétien dans cette tourmente
qui a soulevé tout le pays.
Une autre étape que nous vivons, et qui touche aussi notre capacité
d’adaptation, nous oblige à lâcher nos certitudes acquises
sur ce point, c’est l’arrivée d’une nouvelle génération.
Elle n’est pas massive, mais elle est là. Nous en avons débattu
lors de l’Assemblée Interdiocésaine. Elle touche notre capacité
à accueillir de nouveaux membres sans faire peser sur elles tout
le poids de notre passé.
Je dirais que c’est d’autant plus difficile que pendant presque une
génération nous n’avons pas malheureusement eu à accueillir
de nouvelles vocations. Nous sommes globalement passés de la génération
des " fils et des filles " à la génération des
" grand pères et des grand-mères " ! Cet écart ne rend
pas facile la transmission, même si la nouvelle génération
est loin d’être majoritaire, et pas nécessairement de la première
jeunesse.
Cette " nouvelle génération " a-t-elle assez d’espace
pour mettre en œuvre la capacité de créer, d’inventer, d’oser,
qui n’est pas celle de la génération des anciens et des anciennes
? Laissons-nous assez de champ dans l’avenir pour cela ? Laissons-nous
aussi assez de droit à l’erreur et à vivre " autrement "
?
La question reste ouverte, et est d’une grande importance, d’autant
plus que d’autres familles spirituelles, et aussi des Laïcs nous rejoignent
et viennent nous " voir " pour un engagement possible.
Ils vont trouver une " Eglise atypique " et ont besoin de faire leur
place tout en étant accompagnés. Un bel exercice d’accompagnement
et de lâcher prise à la fois nous est donc requis.
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Je voudrais continuer en étant
plus sur le terrain réel de nos différents engagements,
dans cette phase de notre Eglise que nous vivons. Nous aurons l’occasion
d’y revenir lors du temps consacré aux différents ateliers
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De
nos engagements présents aux défis de l’avenir
Nos terrains d’engagement.
Le reproche qui nous est souvent fait par certains regards extérieurs
c’est que nous " donnons dans l’humanitaire " pour délaisser le
terrain d’une véritable évangélisation.
Si nous nous situons sur le terrain de l’humanitaire, c’est à
dire au niveau du souci concret et réel de la personne humaine,
de toute personne humaine, c’est bien à cause de l’Evangile.
Nous ne sommes pas une sorte de super ONG évangélique.
Et je salue comme stimulant pour nos engagements quels qu’ils soient la
dernière encyclique de Benoît XVI, notamment dans la seconde
partie intitulée :
" CARITAS. L’exercice de l’Amour de la part de l’Eglise en
tant que communauté d’Amour ".
Pour moi, deux événements récents viennent en
quelque sorte nous fortifier dans nos engagements :
- C’est la béatification de Charles de Foucauld comme
Frère Universel. En même temps est " béatifié
" notre choix fondamental de faire éclater nos étroites frontières
pour aller vivre cet Amour aux mains nues avec l’autre quel qu’il soit.
- C’est aussi cette première lettre de notre Pape Benoît
qui nous aide à trouver notre place dans l’exercice de la Charité
du Christ, à l’égard de toute personne.
Je le cite (N°25) :
" La nature profonde de l’Eglise s’exprime dans une triple
tâche :
annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria… je traduis annonce
et témoignage),
célébration des Sacrements (Leitourgia … Liturgie), service
de la charité (diakonia… diaconie). Ce sont trois tâches
qui s’appellent l’une et l’autre et qui ne peuvent être séparées
l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Eglise une sorte
d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait laisser à d’autres,
mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence
elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer ".
Et il rattache à cet exercice de la Charité,
celui de la Justice, déjà défini comme constitutive
de la vocation évangélique de l’Eglise.
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Notre projet diocésain,
je le vois s’articuler autour de trois pôles majeurs, qui
se diversifient selon les personnes et les vocations.
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- L'accueil -
Nous sentons combien est prenante cette disponibilité à
toute personne qui s’adresse à nous et à nos communautés.
Nous sommes parfois amenés à dégager du temps ou des
personnes pour que cette disponibilité soit assurée. C’est
une chance qui nous est donnée, un don qui nous est fait, et qui
exige discernement et disponibilité. Nous devons veiller à
ce que cet accueil ne devienne pas sélectif, et se sclérose
autour des seuls amis proches. Il y là un danger réel.
- Les pauvretés -
J’emploie le pluriel parce que la pauvreté a plusieurs visages
: celui du non savoir, celui de l’handicap, celui de la solitude, de la
migration, de la situation de réfugié.
- La culture -
C’est aussi un terrain où il nous faut continuer à travailler
parce qu’il est une passerelle entre le monde chrétien et le monde
musulman, entre l’orient et l’occident, entre l’Afrique du nord et l’Afrique
subsaharienne, et aussi dans les relations Sud-Sud, étant donné
que des vocations nous viennent d’autres continents que l’Europe et l’Afrique.
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Et devant cet éventail
où déjà nous sommes engagés, je pose quelques
questions :
Comment aller plus loin ?
Quels champs nouveaux, quelles possibilités nouvelles s’offrent
à nous ?
Quelle créativité allons-nous mettre en œuvre due aux
signes des temps que nous percevons ?
Quel réalisme aussi adopter face à la pauvreté
de nos propres moyens ?
Mais je ne vais pas faire le travail à votre place, je donne
des références, des pistes pour aller plus loin que mon regard
limité.
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Je note d’abord celui de notre renouvellement,
celui de la trans-mission.
De nouvelles vocations, de nouvelles personnes, animées de la
même flamme que nous, désirent venir travailler à
nos côtés, et faire caravane avec nous. Je l’ai déjà
noté plus loin, quelle sera notre capacité d’accueil et d’audace
?
Nous allons sans doute encore connaître l’épreuve de la
diminution numérique. Il va falloir accueillir cette réalité
sans gémissement, et sans retour sur le passé. Ce qui a
été semé germera.
L’essentiel n’est pas de faire nombre, mais de faire signe,
disait en substance Jean Paul II aux évêques venus à
Rome pour une visite " Ad Limina ".
Comment allons-nous continuer à être une Eglise vivante,
rayonnante de la Charité du Christ au cœur de ce monde ?
Comment allons-nous accueillir ces nouvelles vocations dans leur désir
de créativité ?
Comment cette nouvelle génération va aussi assumer l’héritage
sans se laisser écraser par lui ?
Des Laïcs sont venus nous rejoindre, et le champ reste ouvert
pour l’avenir. Quels projets allons-nous leur offrir tout en leur donnant
la possibilité de mettre en œuvre cette créativité si
nécessaire à notre renouvellement ?
Enzo et Franca sont ici pour se mettre à nos côtés
et continuer cette ouverture à l’autre. Benoît vient aussi
de nous arriver. Nous avons fait la demande d’un nouveau couple pour Tamanrasset.
Nous avons déjà accueilli les Sœurs Franciscaines à
Ain Sefra. Elles sont porteuses d’une différence marquée de
par leur origine et leur culture. Elles vont écrire une nouvelle
page de notre vie d’Eglise dans cette ville où François Cominardi
a tant donné de lui, et aussi tant reçu de cette population.
Bientôt nous allons accueillir les PIME, une communauté
de Pères Italiens qui prépare sa venue à Touggourt.
Trois autres Congrégations ont manifesté un réel
intérêt pour nous rejoindre, et au moins " venir voir "…
Nous accueillons presque chaque année un ou deux stagiaires
pendant leur temps de probation.
Nous espérons un prêtre Fidei Donum pour Tamanrasset.
Reste préoccupant l’avenir plus lointain d’El Abiodh, d’El Goléa.
Des appels sont lancés, mais… espérons envers et contre
tout!
Notre avenir est petit… mais il frappe à notre porte.
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Je voudrais, en conclusion,
jeter un regard vers trois grands défis, trois zones de souffrance
et de pauvreté qui nous talonnent, sans que nous puissions vraiment
y prendre un engagement effectif, tant ces défis sont démesurés
par rapport à nos forces. J’en ai déjà parlé
à plusieurs reprises.
- L’avenir des jeunes. Ils viennent souvent grossir les rangs
des chômeurs, des sans avenir, et c’est vrai que justice ne leur
est pas faite tant le travail est source de dignité.
- Les migrants venant d’Afrique subsaharienne. Ils continuent
de venir, malgré les peurs, les barrages, les mises en garde de
toute sorte.
- Les camps de réfugiés sahraouis présents
sur notre Diocèse. Les pluies torrentielles qui se sont abattues
sur leurs camps ont réveillé les Organisations humanitaires,
mais ces réfugiés connaissaient déjà des conditions
de précarité.
Peut-être ne pouvons-nous pas grand chose devant
ces plaies et ces défis. Peut-être pouvons-nous être
plus inventifs, oser davantage, aller un peu plus loin dans l’exercice de
notre Charité, dans notre éveil à plus de justice ?
La moisson est abondante, dit Jésus, et les ouvriers peu nombreux…
Priez le Maître de la Moisson d’envoyer des ouvriers à la moisson.
Il dit cela à ses disciples avant même de les envoyer.
Cette compassion de Jésus commence par un regard
vers son Père. Prions. Nous avons la chance, la grâce d’avoir
parmi nous des personnes dont la prière est le cœur de l’engagement.
Je n’en ai pas parlé. Mais c’est à ces personnes que
je m’adresse d’abord. Elles nous rappellent le sens profond de notre Présence
et sont au milieu de nous comme des veilleuses, des rappels incessant
à revenir à la Source. Prions.
Notre prière ne changera pas les choses, comme par enchantement.
Mais si nous prions, notre prière nous changera.
Et si nous changeons, c’est sûr, alors nous pourrons changer
quelque chose sur la face de cette terre parce que nous aurons puisé
à la vraie Source.
Et fortifiés par l’eau qui donne la Vie, nous pourrons continuer
à faire caravane ensemble, chargés d’une énergie nouvelle,
et renouvelés dans cette Espérance qui ne trompe pas parce
qu’elle est le don de l’Esprit Saint.
+Claude , évêque du Diocèse
de Laghouat-Ghardaïa
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3 -
(et fin) - Notre Eglise diocésaine au coeur de ce
monde saharien:vie des personnes, engagements, valeurs et défis
par Mgr Claude Rault
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